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Tunisie – Noureddine Taboubi : « Les richesses et les sacrifices doivent être partagés »

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Noureddine Taboubi au siège du syndicat, le 10 janvier 2018, à Tunis.

Grogne sociale, négociations avec l’exécutif, solutions préconisées face à la crise… Le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi réaffirme la volonté de la centrale de se poser en force de proposition.

L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) ne défend pas seulement les droits des travailleurs et les acquis sociaux, elle est aussi un acteur majeur de la scène politique nationale. Depuis la chute du régime de Ben Ali, elle est montée en puissance, au point qu’un ancien ambassadeur européen avait asséné qu’« en Tunisie il y a Ennahdha [le parti islamiste] et l’UGTT ».

Forte de 750 000 adhérents et d’un parcours intimement lié à la lutte nationale, la centrale exerce une influence indéniable. Elle a d’ailleurs été à l’origine du dialogue national de 2013, qui lui a valu, avec l’Utica, la LTDH et l’Ordre des avocats, le prix Nobel de la paix 2015. Elle et le patronat figurent parmi les signataires de l’accord de Carthage, feuille de route de l’actuel gouvernement d’union nationale. Pour beaucoup, l’UGTT incarne la seule opposition sérieuse, tandis que la centrale préfère se voir comme une force de proposition. Entretien avec son secrétaire général, Noureddine Taboubi, élu il y a un an.

Jeune Afrique : Depuis 2011, l’UGTT a tenu deux congrès et s’est imposée comme l’un des interlocuteurs privilégiés du gouvernement. Où en est-elle ?

Noureddine Taboubi : L’amour de la patrie et la souveraineté du peuple sont toujours nos mots d’ordre, mais l’UGTT opère sa mue à partir de ses fondamentaux progressistes et démocratiques. Nous travaillons à une restructuration interne avec la mise en place d’un nouveau règlement intérieur et la concrétisation des orientations validées par le dernier congrès, dont une place majeure attribuée aux militantes et aux jeunes.

Sur le plan national, les négociations avec le secteur privé ont été un succès, avec une majoration de 6 % des salaires et des primes sur deux ans, et nous entamerons des négociations sectorielles dès mars 2018 avec l’ambition d’instaurer des relations de partenariat entre l’entreprise et ses salariés. Nos rapports avec le patronat sont bons dans la mesure où, malgré nos divergences, nous trouvons un terrain d’entente.

Les accords signés avec les gouvernements précédents ont été source de perturbations, mais en privilégiant le dialogue 90 % d’entre eux ont été consolidés. Néanmoins, il est intolérable que l’État, premier employeur du pays, ne verse pas de salaires décents et n’offre pas, dans certains cas, de couverture sociale. Dès avril, nous entamerons un nouveau round de négociations avec lui pour proposer des ajustements au regard de l’inflation et de la dévaluation du dinar.

S’accorder avec le gouvernement n’est pas toujours aisé…

Effectivement, nous avons conclu un accord pour que le prix des produits de première nécessité soit maintenu, mais le gouvernement estime qu’il s’agit des produits bénéficiant de la compensation, alors que nous considérons qu’internet ou les forfaits téléphoniques sont tout aussi nécessaires que le sucre, les pâtes et l’huile.

Que pensez-vous de la grogne qui s’exprime à travers tout le pays ?

Rien d’inattendu. Des signes avant-coureurs laissaient présager des débordements en janvier. Bien entendu, l’UGTT soutient les manifestations pacifiques. Les partis ou les organisations qui y appellent doivent assumer leurs responsabilités et encadrer ces mouvements. Nous refusons que des milices ou des personnes aux visées obscures instrumentalisent la lutte sociale, incitent à la violence et encouragent la destruction des biens publics ou privés. Ce ne sont plus des revendications, c’est une volonté de nuire.

On ne peut continuer à lever toujours plus d’impôts sur la même population, c’est une injustice

En cause la loi de finances 2018, très critiquée…

Elle ne fait pas de place à l’investissement et ne prévoit pas une répartition équitable de la compensation qui soulagerait le budget de l’État. Pour contrer l’augmentation des taxes, les aides et les pensions reversées aux plus démunis doivent être majorées, et les jeunes doivent avoir un carnet de soins. Au vu de l’importance des problèmes des caisses sociales, nous avons accepté 1 % de cotisations en plus, mais nous avons aussi proposé un ensemble de solutions, comme des taxes sur les voitures de luxe, un prix de l’essence indexé sur des catégories, le recouvrement des impayés d’impôt et la généralisation des factures.

On ne peut continuer à lever toujours plus d’impôts sur la même population, c’est une injustice. Une réforme fiscale est nécessaire. Il est aussi inconcevable que le secteur informel réalise 54 % du PIB. L’instabilité politique contribue à cette confusion. En six mois, nous avons eu trois ministres des Finances. Avec la dévaluation du dinar, un ancien ministre du Commerce, dans l’objectif idéologique et politique de complaire à un pays ami, n’a pas protégé la production locale et a laissé se creuser le déficit de la balance commerciale par l’importation de futilités.

Dans quelle mesure l’UGTT apporte-t-elle son soutien au programme du gouvernement ?

Signataire de l’accord de Carthage, l’UGTT adhère aux principes de base qu’il édicte, mais il faut s’accorder sur le contenu et le traduire en actions concrètes et planifiées. Cela permet d’avancer et de déterminer les responsabilités de l’exécutif et du législatif. Le pays a besoin de stabilité politique et de continuité dans la gestion des affaires. Mais sept années ne suffisent pas à implanter un environnement démocratique, à sensibiliser les citoyens à leurs droits et obligations, et à pratiquer la même justice pour tous.

Les Tunisiens et leurs forces de l’ordre, sans grands moyens, ont réussi à juguler le terrorisme

On en est loin, d’où les troubles sociaux et le désintérêt affiché pour les élections. Les acquis, comme la liberté d’expression, sont là. La bataille qui reste à mener est socio-économique. Les richesses et les sacrifices doivent être partagés. Nous devons être plus solidaires, plus généreux, moins égocentrés. C’est une culture que les partis et les associations doivent acquérir.

Vous accusez la classe politique ?

On ne peut construire une démocratie sur des fondamentaux chancelants. Aujourd’hui, les problèmes s’accumulent, mais la dégradation a pour toile de fond une crise politique aiguë. Nous ne savons plus qui dirige. Tous sont contre tous et tous veulent être populaires. Le gouvernement a besoin d’un appui politique. Or l’exécutif actuel est issu de Nidaa Tounes, qui prend des positions différentes selon les circonstances. La lutte contre la corruption est difficile, car les mafieux résistent. Mais tout n’est pas négatif. Les Tunisiens et leurs forces de l’ordre, sans grands moyens, ont réussi à juguler le terrorisme.

Que préconise l’UGTT ?

Le secteur public est saturé, seul l’investissement privé peut relancer l’emploi. Les banques doivent accompagner l’économie et les entreprises, la bureaucratie doit être allégée. Il faut devenir attractif. Avoir des bas salaires ne suffit pas. Au contraire, cela génère de l’instabilité sociale. Au vu de l’inflation et du coût de la vie, nous devrions avoir un salaire minimum à 866 dinars [environ 292 euros] et non à 350. Nous devons envoyer les bons signaux. On ne peut d’une année à l’autre modifier les lois de finances. Tout investisseur a besoin d’un environnement sociopolitique apaisé, d’une situation lisible.

Les privatisations sont-elles la solution ?

Qui dit secteur public dit bien du peuple tunisien. Des secteurs comme la distribution de l’électricité et de l’eau, ou les transports doivent être contrôlés par l’État. Nous sommes pour la restructuration des entreprises publiques. Mais nous désapprouvons les politiques qui veulent vendre ce qui ne leur appartient pas.

La priorité est de faire aboutir le processus démocratique, de nous concentrer sur la lutte contre le terrorisme et pour le développement

Avant d’envisager les cessions, les dossiers doivent être étudiés au cas par cas, d’autant que l’État est le plus important débiteur de ces entreprises publiques et la première cause de leur déficit. L’UGTT a des propositions et est prête à en débattre mais refuse que ces discussions aient lieu dans le cadre de l’accord de Carthage, c’est-à-dire avec les partis. Nous considérons que cela relève des prérogatives de l’exécutif et qu’il faut éviter le mélange des genres.

Y aura-t-il un nouveau dialogue national ?

L’accord de Carthage y supplée. La priorité est de faire aboutir le processus démocratique, de nous concentrer sur la lutte contre le terrorisme et pour le développement en ayant les femmes et les hommes qu’il faut aux postes qu’il faut.



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