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Francophonie en "guerre culturelle" : la liberté de choisir

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Francophonie en "guerre culturelle" : la liberté de choisir

Face à l'ébullition de la scène intellectuelle francophone ces dernières semaines, notamment après les prises de position d'Alain Mabanckou, Abdourahman Waberi et Achille Mbembe, le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne plaide au nom d'une francophonie qui permet de choisir, et de faire communauté.

Tribune. La francophonie est dans une grande agitation. Motif ? Les déclarations, à la veille de la Conférence internationale pour la langue française et le pluralisme dans le monde, d'Alain Mabanckou, d'Abdourahman Waberi et d'Achille Mbembe, qui ont mis en garde le président Emmanuel Macron contre le concept de "francophonie", qui serait à l'origine un "appareil idéologique" à part entière de l'impérialisme français.

Rappelant néanmoins qu'Emmanuel Macron a confié à une écrivaine franco-marocaine, Leïla Slimani, la mission de traduire une vision ouverte et pluraliste de ce que doit devenir le français, l'hebdomadaire britannique The Economist n'hésite pas à parler de "guerres culturelles".

Diantre ! Personne, cependant, à ma connaissance, n'a adopté la posture radicale de rupture de Ngugi Wa Tiong'o : on reste entre interlocuteurs qui parlent la même langue à défaut de parler le même langage.

Faut-il avoir honte de son amour de la langue ?

?

Lorsqu'on est l'un des maîtres de la langue, lui déclarer sa flamme, quoi de plus normal ?

Je voudrais évoquer ma rencontre avec Ngugi Wa Thiong'o, en 1984, lorsqu'il était professeur en visite à l'université de Bayreuth, en Allemagne, où je fus moi-même invité pour quelques semaines.

J'eus ainsi le privilège d'entretenir avec le célèbre auteur kényan des échanges qu'il a évoqués dans l'introduction du livre qu'il écrivait alors et qui fut publié deux ans plus tard sous le titre Decolonizing the Mind : the Politics of Language in African Literature.

Nous parlions de Marx et d'Althusser, mais, surtout, beaucoup de Léopold Sédar Senghor, de son amour pour la langue française et du rôle que le poète sénégalais avait joué dans la création de la francophonie institutionnelle.

Ngugi, à qui je traduisais en anglais les différents passages des écrits de Senghor dans lesquels il déclarait avec effusion son amour du français, se demandait comment on pouvait dire tant de douceurs de la langue qui vous a colonisé.

Je m'amusais beaucoup des indignations de l'écrivain kényan devant un Senghor qui, parlant d'une langue qu'il avait, selon son expression, "mâchée et enseignée", disait que ses premiers contacts avec elle avaient un goût de "confiture" et de "chocolat".

Mais, surtout, tout en comprenant et en partageant l'engagement de Ngugi à défendre et (aussi, dirais-je quant à moi) à illustrer les langues nées en Afrique, je trouvais pour ma part tout à fait naturel également que Senghor parlât du français sur le ton du dithyrambe.

Lorsqu'on est l'un des maîtres de la langue que l'on sait si bien faire chanter, lui déclarer sa flamme comme on le fait à chaque vers que l'on compose, quoi de plus normal ? De ce qu'il aimât la langue française et qu'elle le lui rendît bien en ayant fait de lui l'un des plus grands poètes d'expression française de son siècle, fallait-il donc "avoir honte", pour reprendre une question que Senghor lui-même a posée, comme s'il répondait à Ngugi ?

Justement, voilà un des motifs de la querelle que font Mabanckou, Waberi et d'autres écrivains au mot "francophone" : dire, pour parler d'un auteur, "poète de la langue française" n'est pas la même chose que l'appeler "poète francophone", une expression qui enferme et réduit, quelque majeur que soit le poète en question.

La responsabilité des penseurs

Mais, par ailleurs, il est vrai qu'aujourd'hui, dans les universités américaines, "francophonie" se définit aussi comme la manière de nommer ce monde qui imagine et crée en français, dont l'Hexagone n'est pas le centre mais une province, et ce sont les études dites "francophones" où, en plus des auteurs classiques comme Senghor ou Césaire, l'on lit Tanella Boni ou Boubacar Boris Diop (en wolof même dans certains cas !), Léonora Miano et Véronique Tadjo, où l'on discute Paulin Hountondji ou Achille Mbembe, qui attirent au moins autant sinon davantage les étudiants que ce qui s'enseigne traditionnellement en France sous le nom de "lettres françaises".

Cela dit, il faut préciser que, en des lieux importants comme la Sorbonne, l'École normale supérieure ou Créteil, l'ouverture pluraliste de ces lettres s'affirme aujourd'hui et se développe. Ngugi Wa Thiong'o a raison : il est de la responsabilité des penseurs, créateurs et artistes africains de développer les langues du continent comme langues de science et de création.

Et Senghor, il faut le rappeler, tout chantre de la francophonie qu'il était, a lui aussi exalté, et depuis ses toutes premières interventions, le bilinguisme, la capacité de vivre, penser et créer dans plus d'une langue.

La francophonie institutionnelle a fait le choix radical de ne plus se définir défensivement comme le village gaulois assiégé

Justement, la francophonie institutionnelle a fait le choix radical de ne plus se définir défensivement comme le village gaulois assiégé mais comme une ouverture pluraliste, à l'extérieur, contre un monde où l'on n'aurait guère le choix d'une autre langue de la recherche et de la science, de la diplomatie et des sports que l'anglais, mais aussi à l'intérieur, en se sachant une langue parmi d'autres qui habitent également l'espace francophone et doivent aussi se développer.

Faire communauté

Simple intention ? Vœu pieux ? Je crois qu'il faut y voir au contraire un chantier et une tâche à accomplir. Et, plutôt que de soupçonner quelque ruse impériale, s'aviser qu'il est de la responsabilité des intellectuels et créateurs eux-mêmes, vis-à-vis de ces langues qu'ils habitent également, de faire en sorte que la francophonie signifie aussi le développement du créole, du wolof, du lingala : le cahier de doléances sur cette question n'est à présenter à personne d'autre que nous-mêmes. Ainsi ferons-nous de la francophonie la liberté de choisir.

Achille Mbembe et Alain Mabanckou ont raison. S'il faut accomplir l'acte de foi de croire qu'avoir une langue en partage, cela doit faire communauté, il faut le rappeler à ceux qui décident du sens des mots.

Communauté, cela s'oppose aux ethnonationalismes, aux tribalismes et aux murs. Une communauté qui donne sens à la recherche en français, au partenariat en français, à la science et à l'imaginaire en français, c'est une communauté continuellement créée par la mobilité sans entrave dans l'espace qu'elle se donne. Le francophone est migrant.

Par Souleymane Bachir Diagne
Philosophe sénégalais, professeur de langue française à l'Université Columbia, New York



13 Commentaires

  1. Auteur

    Anonyme

    En Mars, 2018 (20:19 PM)
    Emancipate youself from mental slavery.

    Mr Diagne egoistic moron. Because He's just making money thanks to French language, he's ready to defend it.







    No dignity .

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  2. Auteur

    Anonyme

    En Mars, 2018 (20:31 PM)
    Bachir, vous savez bien qu'on doit développer l'usage de l'anglais si on veut sauvegarder notre intérêt propre dans un monde globalisé, l'outil international de communication est l'anglais. Si la France veut nous imposer sa langue et qu'on accepte le fait, nous seront plus lâches que l'esclave débousolé de retrouver sa liberté
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    Auteur

    Deugu

    En Mars, 2018 (20:53 PM)
    merci Pr, toujours égal à lui-même, brillantissime, honnête, et sur les cimes de l'élégance morale et intellectuelle;
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    Auteur

    Serere Sine

    En Mars, 2018 (20:55 PM)
    Ouverture oui mais noune WOLOPHONIE lanou Wakh

    Wolophonie mandinguophonie lingalaphonie ... En force



    De la part d un serere
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    Auteur

    Lamine Dieng

    En Mars, 2018 (21:03 PM)
    Bonjour,



    Personnellement, le wolof,

    le 'maure' et le Poular, sont

    mes premières langues.



    C'est à six ans que j'ai

    commencé à apprendre

    le Français.



    Mon message,

    c'est que nous devons

    maîtriser le français et

    l'anglais : notre porte

    sur le Monde.



    Et

    développer l'écriture

    de nos langues nationales.

    Notamment en abandonnant

    le 'x', 'c'.... et mettre

    à la place 'kh', 'tch'...



    Lamine DIENG
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    Auteur

    Anonyme

    En Mars, 2018 (21:37 PM)
    Goog point Mr. Diagne.

    J'espere que vous acceptez aussi que d'autres aient un point de vu different.

    Pourquoi une autre communaute et pas la communaute (monde) avec l'anglais comme langue de commerce et le wolof, polar, etc... comme langue de culture, d'expression artistique ou...

    Pourquoi nous investir a defendre et promouvoir le francais?



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    Auteur

    Babs

    En Mars, 2018 (22:14 PM)
    Bien dit Monsieur Diagne chacun doit trouver sa place dans cet outil communicationnelle qui est le francais Nos langues africaines nont pas besoins décris ou de communautarisme pour se promouvoir a part le peul le sonike qui serai pret a parler lingala au senegal pas moi qui le serrere moi j utilise le français comme une outil qui doit etre perfectionner en fonction de la tache. Arretons notre afrocentrisme
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    Auteur

    Anonyme

    En Mars, 2018 (22:24 PM)
    Ni francophonie ni arabophonie:Les langues africaines d abord! On se fait toujours mener en bateau avec ces langues qui ne sont pas notres,le francais ns embrouille avec sa langue soi-disant trait d union et l arabe ns embarque sur le plan religieux pour mieux ns niquer.Eh bien,qu ils gardent leurs langues pour eux.
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    Auteur

    Anonyme

    En Mars, 2018 (22:29 PM)
    Apprendre le français ou pas, là n'est effectivement pas la question! Dans l'absolu, chaque Africain gagnerait à parler un maximum de langues étrangères car la langue sert d'abord à communiquer avec autrui. Ce fait qui nous paraît si anodin tient en réalité du miracle divin. Rien n'est moins naturel que de prononcer des mots et de se faire comprendre par autrui. La preuve, essayez de discuter avec un maori en lui parlant le wolof. Autrement dit, parler une langue est une richesse, quelle que soit cette langue.

    Maintenant, la langue est, bien entendu, un des principaux attributs caractérisant une société. Elle fonde les bases cognitives de ses enfants et les forge pendant un long moment, si ce n'est durant toute la vie. Il est donc indéniable qu'il est important pour les Africains de s'approprier leurs propres langues pour pouvoir s'affirmer culturellement, scientifiquement, diplomatiquement et politiquement dans le monde.

    Dans tous les cas, l'un n'exclut pas l'autre. Bien au contraire.



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    Auteur

    Anonyme

    En Mars, 2018 (22:31 PM)
    Ni francophonie ni arabophonie:Les langues africaines d abord! On se fait toujours mener en bateau avec ces langues qui ne sont pas notres,le francais ns embrouille avec sa langue soi-disant trait d union et l arabe ns embarque sur le plan religieux pour mieux ns niquer.Eh bien,qu ils gardent leurs langues pour eux.
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    Auteur

    Anonyme

    En Mars, 2018 (22:44 PM)
    La langue est à la base de tout développement. Il serait important de penser et produire dans nos langues africaines. J’ai toujours été séduit par le génie africain qui est parvenu à comprendre et à transcender les pensées occidentales dans des langues qui ne sont pas les siennes.

    Tout ce qui nous a été enseigné, nous a été enseigné à l’école dans la langue de l’autre. Qu’il s’agit de la littérature de Poquelin ou des découvertes de Marie Curie. Il est évident que le multilinguisme est un impératif pour tout pays qui veut émerger dans cet Eco monde. Donc il ne s’agit pas de refuser le français, mais de fortifier nos langues africaines à travers une production littéraire, scientifique et économique de classe mondiale. L’Afrique est la dernière frontière de l’humanité. Ce qui explique la ruée effrénée des puissances étrangères vers le continent aujourd’hui.

    Le concept de la francophonie, a fait de facto, de l’Afrique francophone, une chaise gardée de la France. Cela se traduit dans tous les secteurs d’activités des pays concernés, qui traitent plus avec la France qu’avec d’autres pays qui peut- être seraient de mieux partenaires au développement.

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    Auteur

    Anonyme

    En Mars, 2018 (08:22 AM)
    et quelle langue Africaine va-t-on parler dans certain pays comme le Benin Togo

    Cote d'Ivoire Cameroun ;;;etc ou cohabitent plus de 100 langues maternelles , sachan tque souvent les guerres ethniques en Afrique sont liées à des cultures et langues différentes ....

    Veux t-on au Senegal des Lycées ,universités enLangues Poulard ,Wolof ,Serere Diola ????

    Rien n'empèche, en plus de sa langue maternelle d'apprendre le Français et l'Anglais....et

    pouvoir voyager ou étudier dans un grand espace comme l'UEOMA avec le Français et l'Anglais est un avantage considérable .....un peu de bon sens ! :fbhang: 
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    Auteur

    Anonyme

    En Mars, 2018 (08:29 AM)
    Citer moi un seul pays vrailent emergent ou developpé qui eduque ses enfants a parrir dune langue etrangere.
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