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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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Une démocratie biaisée! Par Ibrahima Sadikh Ndour

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Une démocratie biaisée! Par Ibrahima Sadikh Ndour

Dans le domaine scientifique, lorsqu’on dit qu’une démarche ou une méthode comporte un ou des biais, c’est qu’elle a, soit emprunter des raccourcis ou soit elle n’a pas respecté certaines règles fondamentales dans son processus de mise en œuvre. Dans ce cas, on parle de démarche ou de méthode biaisée et les résultats qui en découlent sont considérés comme erronés, donc ne peuvent avoir aucune valeur scientifique. Malheureusement, c’est le cas actuel de la démocratie sénégalaise. Je vais prendre l’exemple de la fulgurante ascension ascension politique d’Aliou Sall, frère du Président Macky Sall, pour le démontrer.

En effet, il est fallacieux, voire absurde, de présenter l’élection de Aliou Sall à la mairie de Guédiawaye puis à la tête de l’Association des maires du Sénégal (AMS) comme le résultat d’un processus démocratique. Les tenants de cette thèse ne se lassent de nous seriner qu’Aliou Sall est un citoyen qui a sollicité et obtenu la confiance de ses mandants, donc n’est pas nommé par son frère de Président de la république, mais élu grâce aux suffrages de ses électeurs. C’est vrai, les résultats (élection comme maire et à la tête de l’AMS) paraissent, en apparence, conformes à la démocratie. Toutefois, lorsqu’on s’intéresse au processus ayant mené à ces résultats, on y décèle plusieurs biais qui les rendraient erronés, donc inacceptables au regard des vraies règles démocratiques. Ce qui me fait dire que la démocratie sénégalaise est biaisée. Plus grave, le fait d’avoir dans un pays comme le Sénégal, qui regorge de talents, de compétences, de femmes et d’hommes engagés, deux frères, l’un « Chef de l’État centralisé » et l’autre « Chef de l’État décentralisé » comme l’a si brillamment résumé, de façon imagée et humoristique, le Maire Talla Sylla, pose un gros problème d’ordre éthique.

 

Une fulgurante ascension politique qui aurait été impossible sans l’influence bienveillante du grand frère

 

Il faut rappeler que lorsque survenait la seconde alternance au Sénégal, le 25 mars 2012, Aliou Sall était en poste à l’Ambassade du Sénégal en Chine. Même s’il est membre fondateur de l’APR, sur le terrain politique, en particulier celui de Guédiawaye, il était un illustre inconnu. Au plan politique, l’éphémère Ministre du commerce dans le gouvernement d’Abdoul MBaye et non moins numéro 2 de l’Alliance des forces du progrès (AFP), El-Hadji Malick Gakou, a toujours été présenté comme l’homme fort de Guédiawaye. Il a été, dans cette populeuse ville de la banlieue, la locomotive de la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) mise sur pied entre les deux tours des élections présidentielles de 2012 et qui a porté Macky Sall au pouvoir. C’est un homme de terrain réputé proche des populations de Guédiawaye en soutenant le développement du football, de la lutte, des activités récréatives et culturelles dans cette ville, à partir de laquelle il avait conquis, en 2009, la présidence du défunt Conseil régional de Dakar.

Les personnes qui connaissent El-Hadji Malick Gakou lui prêteraient des ambitions d’être candidat de l’AFP aux prochaines présidentielles de 2017. Initialement, son schéma opératoire était le suivant : se faire élire Maire de la ville de Guédiawaye (avec la dissolution annoncée des Conseils régionaux) et s’en servir comme rampe de lancement pour les échéances de 2017 (tout comme Khalifa Sall pour la mairie de la ville de Dakar). Comment et pourquoi cet homme, qu’on prête toutes ces ambitions, a-t-il brusquement décidé de s’effacer au profit d’un illustre inconnu, Aliou Sall en l’occurrence, lors des élections locales de  juin 2014 ? Aliou Sall est-il si charmant, si talentueux, si convaincant au point de parvenir, à lui tout seul, à obtenir d’El-Hadji Malick Gakou la renonciation à toutes ses ambitions pour sa ville au point de ne même pas figurer sur la liste des conseillers présentée par BBY ? Tout laisse croire que Gakou avait subi de grosses pressions pour laisser le passage au frangin du Président Macky Sall. À l’époque, je rappelle que certains organes de presse avaient même parlé «d’importantes contreparties» (en termes de nomination) qui lui auraient été promises. À ce jour, 7 mois après les élections locales, on peut constater que Gakou n’a encore bénéficié d’aucun strapontin connu. Est-il désabusé ? Je le pense. Ce qui laisse supposer que sa main ne serait pas étrangère au vent de révolte qui souffle actuellement sur l’AFP et la fronde contre Moustapha Niasse pour reprendre l’autonomie de l’AFP à l’égard de Macky Sall.

Une fois la liste de BBY devenue majoritaire lors des locales de juin 2014, des tractations et conciliabules, au caractère  nébuleux, ont permis à Aliou Sall de rafler le poste de Maire de Guédiawaye en obtenant le vote de 69 conseillers sur 80. N’est-ce pas fabuleux de réussir ce magistral tour de force, pour un illustre inconnu du landerneau politique de la banlieue ? Il faudrait être de mauvaise foi ou d’une cécité politique pour prétendre qu’Aliou Sall doit cela à son seul mérite en occultant l’influence de la variable principale «être le frère du Président de la république» et celle des variables secondaires non moins importantes que sont  «l’éventuel bénéfice de l’influence du frère du Président» et «la distribution d’enveloppes». Des sénégalaises et sénégalais aussi engagés, compétents et animés de bonnes intentions pour leur localité qu’Aliou Sall ne sont jamais parvenus à se faire élire comme simples conseillers municipaux en dépit de plusieurs participations aux joutes locales. Je peux citer l’exemple de plusieurs cadres supérieurs et ingénieurs qui se sont investi, à plusieurs reprises, sur des listes «d’indépendants» sous le couvert ou «en empruntant le récépissé» d’anonymes partis politiques légalement reconnus. Lui-même, n’aurait jamais été adoubé par Guédiawaye s’il n’était pas le frère de l’autre ! Ses soutiens, loin d’être désintéressés, pensent qu’en s’offrant à lui, ils s’ouvrent la porte aux faveurs et attention du Président de la république.

 

Des partis politiques qui brillent par leur incohérence et par leurs capacités à faire des combines sur le dos du peuple

 

Le processus «démocratique» qui vient de conduire à l’élection d’Aliou Sall à la tête de l’AMS a permis de mettre à nu les turpitudes et prévarications de la classe politique sénégalaise dans sa grande majorité. Il ne suffit pas être un divin pour savoir que le frère du Président de la république est porteur d’un agenda politique en se faisant élire à la tête de l’AMS alors qu’il n’a même pas encore bouclé 6 mois à la tête d’une mairie. Son couronnement est révélateur de la boulimie de pouvoir de la famille présidentielle, le phagocytage de BBY, l’inexorable décadence du Parti socialiste (PS) et l’incohérence qui frise la frivolité de la part du PDS.

Au sein de l’APR, Aliou Sall est venu à bout de cadres historiques du parti (le maire de Yoff Abdoulaye Diouf Sarr et Mor Ngom, maire de Dangalma, tous deux ministres) à l’issue d’une médiation (ou choix ?) de la Commission ad-hoc du Secrétariat exécutif national (SEN) chargée des questions concernant l’AMS présidée par le Ministre d’État MBaye NDiaye. Qu’à t-il fallu pour que le monumental travail de terrain, réalisé par Abdoulaye Diouf Sarr et Mor Ngom afin de porter Macky Sall au pouvoir, en 2012, soit passé en pures pertes au profit d’une personne qui pantouflait, au même moment, à l’ambassade du Sénégal en Chine ? Comment expliquer que le seul cadre de l’APR qui a résisté au tsunami de Taxawu Dakar (nom des listes présentées sous la bannière de Khalifa Sall) qui avait déferlé sur la presqu’île, grâce à son crédit personnel au sein de Yoff, n’ait pu peser lourd face à un nouvel arrivant ? Dans quelle mesure la proximité et la complicité légendaires entre le Ministre d’État MBaye NDiaye et le Président Macky Sall ont-elles joué en défaveur des autres candidats à la candidature et au profit d’Aliou Sall ? Quels ont été les critères de sélection qui ont permis d’aboutir à un choix consensuel ? Sur toutes ces questions, et sur bien d’autres, aucune réponse n’est fournie. Ce qui laisse penser, une fois de plus, que la variable «être le frère du Président de la république» a été déterminante. Ce couronnement d’Aliou Sall risque d’exacerber les inévitables luttes de positionnement au sein de l’APR. Le Président Macky Sall semble le comprendre en tentant, dès le lendemain du sacre de son frère, de procéder à un rééquilibrage des pouvoirs au sein de son parti en décidant de créer une Chambre des élus de l’APR et d’en confier la présidence à Mor Ngom.

S’agissant du PS, la cacophonie (annonces candidatures individuelles de maires socialistes, officialisation du soutien du PS au candidat de l’APR suivie de démentis) qui a prévalu ne fait que confirmer que l’aîné des partis politiques au Sénégal est sous la coupe réglée d’un leader, qui n’a jamais rien gagné depuis 19 ans, et de sa garde rapprochée.  Elle est révélatrice, également, du manque, apparent, de courage de Khalifa Sall, qui appuyait ostensiblement la candidature du maire de Dakar-Plateau (Alioune NDoye) en assistant à sa conférence de déclaration de candidature, et qui n’a pas trouvé utile de réagir, voire de dénoncer le soutien du PS à Aliou Sall décidé «en dehors des instances habilitées du parti». Au fait, de quoi ont-ils tous peur face à Tanor Dieng, à l’exception notable de quelques récalcitrants comme le Maire de Podor ? Tanor les tiendrait-il par des dossiers ? Cette question mérite d’être posée, car un esprit sain et logique ne pourrait jamais comprendre pourquoi les responsables du PS continuent de laisser un looser à la tête de leur parti, depuis le congrès sans débats de 1996 à nos jours, sans aucun résultat probant. Aujourd’hui, Tanor Dieng a fini de faire du PS un instrument de promotion au service d’un individu (lui-même) et des membres d’un groupuscule (ses soutiens inconditionnels). Ils ne se refusent aucun honneur ni prébende de la République au détriment de la construction d’un parti fort prêt à servir d’alternative au régime actuel. Ce ne sera pas Aminata MBengue NDiaye (Ministre de l’Élevage), ni Serigne MBaye Thiam (Ministre de l’Éducation nationale), ni Abdoulaye Wilane, dernièrement parachuté Président du Conseil de surveillance de l’Agence nationale des écovillages (ANEV), qui trouveront à redire sur cette situation qui sert leurs intérêts personnels. Il appartient aux responsables de ce parti, qui inscrivent leur engagement et leurs actions dans la perspective d’une conquête du pouvoir, de se lever et de se battre pour remettre, sur ses deux pieds, un parti gagné par «une léthargie au sein des structures» (Tanor Dieng dixit). Participer à des élections présidentielles, requiert une préparation longue et minutieuse. 2017 profile déjà à l’horizon, alors qu’on n’entend aucun frémissement du côté de ce parti en dehors des sporadiques sorties de Me Aïssata Tall Sall.

Le comportement du Parti démocratique sénégalais (PDS) lors des élections de l’AMS est beaucoup plus renversant. Il est d’une incohérence qui frise la frivolité, voire l’insulte au peuple sénégalais. En effet, comment comprendre que ce parti, par la voix d’Oumar Sarr, Coordonnateur national du PDS, ait déclaré dans l’affaire Petro-Tim, qui secoue la république, que «nous demandons des poursuites pénales contre Aliou Sall, les coauteurs et les complices » accusés de «vol sur le dos de la nation sénégalaise» et revenir ensuite, en l’espace de quelques semaines seulement, donner comme mot d’ordre à ses élus locaux  de «contacter les différents candidats pour voir ce qu’on peut avoir avec eux» y compris le candidat Aliou Sall ? Ce dernier s’est empressé de saisir la perche (de réhabilitation ?) qui lui est tendue en offrant au PDS sept postes dans le bureau et dans les commissions. Ce qui pose la question de savoir comment accorder son soutien à un présumé voleur des biens de la nation, contre qui on annonce une plainte, en contrepartie de sinécures ? La réponse coule de source : absence de vision politique et cupidité. C’est, aussi, faire preuve d’un manque de respect à l’égard de ses militants, d’incohérence dans ses prises de position et d’avidité dans la jouissance d’avantages personnels sur le dos du peuple. C’est sidérant ! En tout cas,

 

Tout cela montre que le processus ayant mené Aliou Sall à la tête de l’AMS est loin de répondre aux exigences et règles démocratiques. Ce fut un processus qui sent l’odeur de combines, de magouilles et de corruption comme le confirme, courageusement, Talla Sylla, en affirmant que «de grosses enveloppes ont été distribuées pour détourner les objectifs». Cette dénonciation et sa «candidature de principe» sont à son honneur. La corruption, l’achat des consciences et des votes sont bien incrustés dans les mœurs politiques sénégalaises. Ce sont des pratiques honteuses qui gangrènent et rythment la vie politique sénégalaise et qui contribuent à biaiser notre démocratie. Dans son dernier ouvrage (Ces Goulots qui étranglent le Sénégal), Cheikh Yerim Seck écrit que l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, «sous le slogan de la rupture, n’a rien changée. Installé au pouvoir […], le nouveau Président perpétue une tradition bien ancrée dans nos mœurs politiques : partager les deniers publics pour conforter son pouvoir. Chaque mois, chacun des principaux leaders de Benno Bokk Yakaar, la coalition qui l’a porté au pouvoir, reçoit 20 millions de FCfa tirés des fonds politiques de la Présidence». Dans ces conditions, dire que l’élection d’Aliou Sall à la mairie de Guédiawaye, puis à la présidence de l’AMS est le résultat d’un processus démocratique, donc légitime, relève d’une escroquerie purement politicienne. CQFD.

 

Ibrahima Sadikh NDour



1 Commentaires

  1. Auteur

    @depecer_le_senegal

    En Février, 2015 (00:30 AM)
    sadikh desole mais depuis que j ai compris que tu roulais pour le pds je ne peux plus te lire...avant de savoir cela je me disais ca c est qun d objectif qui aime son pays...mais en fait ....c est comme pour jules diop.
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