Au moment où on s’apprête à célébrer la Tamkharite, plus connue au Sénégal sous le vocable de ’’Tajabon’’, il n’est pas superflu de se demander pourquoi cette fête musulmane a pris chez nous une forte dimension profane. Si profane qu’il est de bon ton, dans une permissivité tirée dont on ne sait où mais à laquelle on croit fermement, qu’on peut tout se permettre sans coup férir.
Y compris, se déguiser en homme lorsqu’on est femme et vice versa, voler le bien d’autrui, s’adonner aux chants et danses les plus obscènes. Le tout décrié à tue-tête pour que nul n’en ignore et au grand dam des ménagères qui s’empressent dès la nuit tombée de bien ranger leurs ustensiles de cuisine, pour ne pas avoir le lendemain la désagréable surprise de constater leur disparition.
Avec comme auteurs de joyeux drilles aux étranges accoutrements qui tout en vous sollicitant pour des étrennes lorgnent, à défaut de voire trimballer un bol, des cuillers ou une marmite, du côté du poulailler pour se saisir en étouffant ses cris de la première poule à portée de main.
Depuis la nuit des temps, les filles et garçons, des villes comme des campagnes, se sont adonnés à cette pratique du ’’Tajabon’’ perçue encore de nos jours comme un grand moment de grande permissivité. On se lâche vraiment, conforté à l’idée que Dieu pardonnera automatiquement.
Cela commence par le dîner qui à l’instar de tout ce qui va suivre est entouré de plusieurs recommandations plus proches du ‘’bida’’ (tradition) que de la religion : il faut préparer du très bon couscous, le couper avec du lait d’où affleurent des quartiers de viande dont les pieds du mouton de la dernière Tabaski et, surtout, il faut manger jusqu’à ne plus pouvoir.
Toute autre attitude, pourrait vous coûter cher car si on n’est pas rassasié on ne le sera plus durant toute l’année. Dans l’immédiat, et comme vous êtes léger parce que ne s’étant pas empiffré, ce sont les ancêtres qui vous feront regretter votre défaut de gourmandise en venant vous faire tomber du lit en vous tirant par les pieds durant votre sommeil.
La sentence est chuchotée à l’oreille des gamins par des adultes qui n’hésitent pas à donner l’exemple à travers de grandes bouchées de ‘’cere’’ (couscous) dont la préparation requiert de nos jours des trésors d’imagination chez les femmes qui y mettent toutes sortes d’épices, de cubes, du raisin, du beurre et…du sucre pour en relever fortement le goût.
Le même allant dans la bouffe est recommandé pour le ‘’kepp’’ (action de recouvrir), une séance intervenant après dîner et consistant à faire dans la cour un petit amas du sable que l’on recouvre ensuite bruyamment et à intervalles réguliers avec le grand bol ayant servi à manger le couscous en famille. Avant tout, on formule les voeux qu’on désire voir se réaliser durant l’année et après on recouvre d’un coup sec le tas de sable pour ensuite faire d’autres prières et répéter le même manège jusqu’à ce qu’on épuise le registre de ses souhaits.
A tout seigneur tout honneur, le père de famille débute, puis c’est au tour de la maîtresse de maison et ensuite l’opération se poursuit par ordre d’âge, les grands passant avant les petits.
Cette séance épuisée, on en n’aura pas fini avec le bol : il restera non récuré avec ses reliefs de ‘’cere’’ jusqu’au lendemain pour qu’on puisse tôt le matin y verser de l’eau que chaque membre de la famille, dans un défilé rappelant le ‘’kepp’’, va utiliser pour se laver le visage et se prémunir ainsi durant l’année de toute maladie des yeux.
Entre ces deux opérations, a lieu le ’’Tajabon’’. Pendant une bonne partie de la nuit, filles et garçons arborant toutes sortes de déguisements se rendent dans les maisons pour demander des étrennes, chantant d’une voix de stentor relayée par le chœur d’une bande d’amis dont certains battent des bidons vides et des tam-tams de fortune, un air où l’ange de la mort ‘’Abdou Diambar’’ est décrit sous un double personnage qui vient du ciel pour s’introduire chez chaque musulman et lui demander s’il fait ses cinq prières et observe le jeûne.
De sa réponse, affirmative ou négative, dépendra sa destination finale (le paradis ou l’enfer), décrète la chanson du ’’Tajabon’’’ qui se mue en un rythme saccadé provoquant une danse générale quand, apeuré (agacé ?) par le bruyant concert la personne sollicitée donne le ‘’sarax’’ (aumône), en nature ou en espèces sonnantes et trébuchantes.
La quête se poursuit de la sorte, rythmée malheureusement par des rapines commises aux dépens de personnes négligentes (gare aux objets oubliés au dehors !), voire de groupes de demandeurs d’étrennes formés de gamins. En effet, des enfants ayant amassé un ‘’duun sarax’’ (bonnes étrennes) n’ont que leurs yeux pour pleurer après avoir été agressés et délestés de leurs avoirs par des adolescents sans scrupules, animés par le seul désir de se constituer un magot du tonnerre.
Ainsi va au Sénégal, la Tamkharite ou Achoura, ce neuvième jour de l’année musulmane dont la célébration est devenue l’une des fêtes les plus chargées de pratiques païennes, quand dans le même temps les érudits freinent des quatre fers et enseignent en lieu et place le jeûne, la lecture du Coran, la prière, l’évocation du pardon divin et des œuvres charitables. Allez faire savoir cela aux tenants du ’’Tajabon’’…
8 Commentaires
Golo
En Décembre, 2010 (15:48 PM)Boy Dkr
En Décembre, 2010 (15:52 PM)Tc
En Décembre, 2010 (15:53 PM)Nubianne
En Décembre, 2010 (15:54 PM)B52
En Décembre, 2010 (16:01 PM)Princesse
En Décembre, 2010 (16:49 PM)Sniper
En Décembre, 2010 (21:26 PM)Sniper
En Décembre, 2010 (17:13 PM)Participer à la Discussion