Les parlementaires doivent voter mardi 8 août une motion de défiance à l’encontre du président Jacob Zuma, empêtré depuis plusieurs mois dans une myriade d’affaires de corruption. Quel qu'il soit, le résultat du vote ouvrira la voie à une période d’incertitude quant à l’avenir politique du pays.
Jeune Afrique fait le point avec la chercheuse Marianne Séverin, auteure d’Afrique du Sud, 20 ans de démocratie contrastée, paru l’an dernier chez l’Harmattan.
Jeune Afrique : La présidente du Parlement a décidé lundi que le vote de la motion de défiance contre Zuma se fera à bulletin secret. Quelle importance revêt cette décision ?
Marianne Séverin : Elle est énorme. L’opposition réclamait cette disposition, en pensant qu’elle pourrait ainsi récupérer des voix parmi les députés de l’ANC [le parti de Jacob Zuma, NDLR]. Pour cause : beaucoup d’entre eux souhaitent effectivement que Jacob Zuma quitte le pouvoir. Mais ils ne pouvaient pas l’exprimer clairement, par crainte de passer en commission disciplinaire et de perdre leur poste de député − avec tous les avantages qui vont avec. Certains ont également été victimes de menaces et ont peur des représailles. Le vote à bulletin secret leur enlève donc cette épine du pied.
Si la motion de défiance était votée mardi 8 août, que se passerait-il ?
Une conséquence immédiate : la démission du président Jacob Zuma et de l’ensemble de son gouvernement. L’intérim serait ensuite assuré par Baleka Mbete pendant une période de trente jours, le temps que l’assemblée choisisse un nouveau président. Celui-ci resterait en poste jusqu’aux prochaines élections de 2019 et serait forcément issu des rangs de l’ANC, le parti disposant de la majorité absolue au parlement. Difficile de connaître son nom à l’avance, car on peut toujours avoir des surprises. Mais le vice-président Cyril Ramaphosa fait tout de même figure de grand favori.
Ce scénario pourrait néanmoins achopper sur un obstacle de taille, qui se prénomme une fois de plus Jacob Zuma. En effet, même s’il venait à quitter le pouvoir, Zuma resterait président de l’ANC jusqu’aux élections de décembre 2017. Et que se passerait-il à ce moment ? Malgré ses dénégations, serait-il tenté à l’idée de se représenter ? Après tout, l’ANC demeure un parti puissant, qui pèse lourdement sur la conduite de la politique économique et sociale du pays. S’il gagnait de nouveau la présidence du parti − ce qui est toujours envisageable, compte-tenu de ses soutiens au sein de l’ANC − il disposerait d’un puissant levier d’influence pendant les cinq prochaines années. De quoi limiter aussi la marge de manœuvre de son successeur.
Si les parlementaires décidaient de maintenir Jacob Zuma au pouvoir, je ne donne pas cher de la peau de l’ANC aux prochaines élections !
Et si les parlementaires décidaient de maintenir au pouvoir Jacob Zuma ?
Alors je ne donnerais pas cher de la peau de l’ANC pour les prochaines élections. Et ce serait bien la première fois, depuis que je travaille sur ce pays, que j’en viendrais à dire cela ! Aux yeux de l’opinion publique, les députés du parti donneraient l’impression de vouloir maintenir à tout prix un dirigeant corrompu, accusé d’avoir vendu l’Afrique du Sud à une famille étrangère (la famille Gupta, d’origine indienne, et qui a récemment été naturalisée sud-africaine, NDLR). Car ce ne sont plus de casseroles dont on parle, ce sont bel et bien des cocotte-minutes !
Malgré la litanie de scandales autour du clan Zuma, la fronde au sein de l’ANC est finalement assez récente. Pourquoi avoir attendu autant de temps ?
Cela s’explique d’abord par des considérations matérielles et professionnelles. Encore une fois, difficile de s’exprimer ouvertement lorsqu’on risque de tout perdre ! Au sein du parti, il y a également cette habitude de ne pas laver son linge sale en public. En coulisses, certains espéraient ainsi que le président finisse par démissionner suite aux scandales survenus récemment, à l’instar de ce qu’avait fait l’ancien président Thabo Mbeki en septembre 2008.
Les députés sont restés plus ou moins silencieux jusqu’au limogeage fin mars de Pravin Gordhan, alors ministre des Finances de Zuma. Une personnalité très appréciée dans les rangs de l’ANC et au sein de l’opinion publique pour sa probité. Il s’était montré particulièrement critique à propos des liens entretenues par la présidence et la famille Gupta, avant d’être été remplacé par l’ancien ministre des Affaires étrangères, lui-même un intime de cette famille.
Parmi les membres de la majorité, beaucoup ont pesé le pour et le contre entre l’avenir du pays et le leur
L’avalanche des révélations autour des #GuptaLeaks, une série de mails dévoilés dans la presse sur la collusion entre l’actuel chef de l’État et la famille Gupta, a achevé de jeter le trouble au sein de la majorité. Beaucoup ont alors simplement pesé le pour et le contre entre l’avenir du pays et leur propre avenir.
Dans cette fronde, il y aussi le rôle joué par les vétérans du parti, qui ont dénoncé dans un communiqué « un gouvernement de criminels »…
Absolument ! On parle de personnalités très respectées en Afrique du Sud, dont certains ont sacrifié une partie de leur vie durant l’apartheid. C’est le cas par exemple d’Ahmed Kathrada, décédé en mars dernier, et qui était le meilleur ami de Nelson Mandela. Dans son testament, il avait expressément demandé à ce que Jacob Zuma n’assiste pas à son enterrement, alors qu’ils avaient été emprisonnés ensemble sur l’île de Robben Island.
Pendant quarante ou cinquante ans, ces vétérans de la lutte anti apartheid se sont battus pour que leur pays devienne démocratique. Et voilà qu’en moins d’une décennie, leur héritage est abîmé par la cupidité d’un seul homme.
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