
A la veille du sommet européen extraordinaire de l'Union européenne qui s'est ouvert vendredi 11 mars, Nicolas Sarkozy et le premier ministre britannique, David Cameron, ont adressé une lettre aux Vingt-Sept proposant, entre autres, l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne sur mandat du Conseil de sécurité des Nations unies. Toutefois, note The Guardian, les deux pays ont affirmé en privé qu'une résolution de l'ONU n'était pas nécessaire pour une intervention militaire, citant l'exemple du Kosovo. Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire général de l'OTAN, posant des conditions à une telle intervention, s'est contenté vendredi de décider l'envoi de navires de guerre en Méditerranée pour contrôler l'embargo sur les armes.
CONFUSION AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE
Si la Maison Blanche a exprimé un certain intérêt à l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne, les divisions se sont fait jour au sein de l'UE sur son opportunité. L'Allemagne s'est prononcée contre, de même que l'Italie et la Grèce. "Nous ne voulons pas être entraînés dans une guerre en Afrique du Nord", a répondu le ministre des affaires étrangères allemand, Guido Westerwelle. La Belgique et les Pays-Bas ont exprimé leurs divergences, sans s'y opposer si elle s’établit sous mandat de l’ONU et en lien avec la Ligue arabe et l’Union africaine.
De nouvelles divisions sont apparues après la poignée de main de Sarkozy sur le perron de l'Elysée à deux représentants du Conseil national libyen, entérinant sa reconnaissance officielle par la France. Cette décision a plongé l'UE dans la "confusion", analyse The Independent et suscité "colère" et "consternation". Selon Guido Westerwelle, Sarkozy aurait agi "sur un coup de tête". William Hague s'est contenté de dire que la Grande-Bretagne ne reconnaissait que des Etats et non des groupes en particulier, note le Financial Times (article payant).
Bien que dérangeante, la position de Sarkozy sur le dossier libyen pourrait bien se révéler "habile" tant sur le plan de la politique étrangère que de la politique intérieure, analyse Gero von Randow du journal Die Zeit. M. Sarkozy a en effet tout à gagner à se montrer aux côtés des Britanniques et contre les Allemands. Et, en reprenant des mains du nouveau ministre Alain Juppé la politique étrangère, il montre que "quand le monde brûle, c'est bien lui le chef des pompiers".
"LA FRANCE N'A PAS TIRÉ LES LEÇONS DE L'HISTOIRE"
"Le syndrome des divisions de l’UE à propos de l’intervention américaine en Irak en 2003 reste dans toutes les mémoires", rappelle Le Temps. Le quotidien suisse avance une interprétation qui circule à Bruxelles : "La surenchère française pourrait procéder d’un savant partage des rôles : aux grands pays de l’Union le soin de manier le bâton et aux autres, comme la Grèce, le soin de négocier en coulisses avec le clan Kadhafi."
Une stratégie à laquelle ne croît pas Patrick Cockburn du Independent. "La France n'a clairement pas tiré les leçons de l'histoire", analyse-t-il simplement. "Cette décision est la preuve que [Nicolas Sarkozy] ne sait pas plus que les autres dirigeants européens quoi faire", assène le journaliste britannique. Ce geste, empreint d'un "impérialisme très XIXe siècle", pourrait décrédibiliser localement l'opposition. Ce qui rend cette décision encore plus difficile à comprendre, l'intervention américaine en Afghanistan et en Irak ayant montré les conséquences dévastatrices de ne pas avoir d'allié local crédible.
LA FIN DES SOLUTIONS SIMPLES
"Le pari de Nicolas Sarkozy est risqué, mais la solution consistant à laisser le colonel Kadhafi reprendre le contrôle du tiers du pays qui a fait sécession est bien pire", estime pour sa part Christophe Lamfalussy dans l'éditorial de La Libre Belgique. Il appelle toutefois à la "prudence" sur l'engagement de forces européennes en Libye. Il ne devrait être pris, estime-t-il, "que si les pays arabes et africains le demandent clairement et s’engagent à soutenir, y compris financièrement pour ceux qui le peuvent, cette opération".
Dans son éditorial, Le Temps appelle à son tour les Etats à "se méfier des solutions simples", même s'ils "ont eu parfaitement raison" de privilégier jusqu’ici sanctions économiques, interdiction de visa, embargo sur les ventes d’armes, isolement diplomatique et menaces militaires. Mais, avertit-il, "l’heure des solutions difficiles approche". "Sauf miracle, les pays susceptibles d’intervenir devront choisir dans de brefs délais entre une intervention militaire périlleuse et l’abandon d’une population en danger. Avec, dans les deux cas, l’assurance que leur décision pèsera non seulement sur la Libye mais sur tout le 'printemps arabe'".
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