Poursuivi pour outrage, l'écrivain camerounais a été relaxé le 27 décembre dernier, avant la date de son procès, puis expulsé vers les États-Unis, où il réside. De son arrestation "rocambolesque" à sa libération surprise, Patrice Nganang raconte à Jeune Afrique les dessous de ce feuilleton judiciaire.
Le 6 décembre dernier, l’écrivain camerounais Patrice Nganang était arrêté à l’aéroport de Douala, alors qu’il embarquait dans un vol de la Kenya Airways à destination de Harare. Interpellé par la police camerounaise et placé en détention pour des faits d’outrage suite à une publication Facebook, il a finalement été relaxé le 27 décembre, avant son procès prévu le 19 janvier.
Privé de son passeport camerounais et expulsé vers les États-Unis, dont il a également la nationalité, Patrice Nganang revient pour Jeune Afrique sur cette affaire polémique.
Jeune Afrique : Comment se sont passées votre arrestation et votre détention depuis le 6 décembre dernier ?
Patrice Nganang : C’était assez rocambolesque. J’étais dans la zone internationale de l’aéroport de Douala, j’ai été cueilli après avoir passé tous les contrôles et toutes les fouilles habituelles. Cinq policiers m’ont approché, j’ai été menotté et emmené à la police judiciaire de Yaoundé, sans que la raison de mon arrestation ne me soit notifiée. J’ai été fouillé à nouveau, mes effets ont été confisqués et j’ai été placé dans une cellule à part, sans aucun autre détenu. Je n’ai pris connaissance de ce qui m’était reproché qu’après 48 heures de garde à vue. Je n’avais alors pu prévenir personne, personne ne savait où j’étais et je n’avais pas encore pu demander à voir un avocat.
C’était kafkaïen comme situation
Quels sont les faits et les déclarations sur lesquels la police vous a interrogé et mis en cause ?
Lors de ma première audition par les policiers, après deux jours de détention, on m’a informé que j’étais mis en cause pour « outrage » au chef de l’État, le président Paul Biya. On m’a présenté un texte qui était celui que j’avais publié sur mon compte Facebook personnel à l’issue de mon voyage anglophone. On m’a demandé de le lire à voix haute, j’ai refusé et j’ai été renvoyé en cellule. Deux jours plus tard, sans que l’on m’explique pourquoi, les motifs de mon accusation avaient changé.
Ce n’était plus outrage au chef de l’État, mais outrage « à corps constitué », et on me reprochait désormais également des faits d’« immigration illégale » et de « faux et usage de faux ». Là encore, sans explication. Enfin, lors de l’audience préliminaire, c’est encore un nouveau scénario qui s’est présenté avec trois nouveaux chefs d’accusation. C’était kafkaïen comme situation.
Les faits d’outrage qui vous étaient reprochés se basaient sur une publication Facebook où vous menacez de « donner une balle exactement dans le front » du président Paul Biya. Vous avez également qualifié l’épouse du président de « wolwoss » (synonyme de « prostituée » en camfranglais, argot camerounais). Comment justifiez-vous ces propos aujourd’hui ? Regrettez-vous ces déclarations?
Non. C’était un texte d’indigné, écrit à l’issue d’un voyage dans une zone anglophone en conflit, où des militaires se baladent en cagoule, une région qui vit sous couvre-feu, où internet est coupé et d’où aucune information ne filtre. D’ailleurs, il faut préciser ceci : ce post Facebook a à peine été effleuré durant l’audition. C’était un texte d’humeur, écrit en parallèle d’un texte narratif sur ce voyage et sur la gestion de la crise.
Les officiers […] m’appelaient tous « Ambazonia ». Elle est là, la vraie raison de mon arrestation
La veille de votre arrestation vous veniez de publier, dans Jeune Afrique, ce carnet de route dans lequel vous critiquez la gestion de la crise anglophone par le gouvernement. Est-ce que, selon vous, ce positionnement a joué dans votre arrestation ?
J’en suis convaincu. Dès mon arrivée dans les locaux de la police judiciaire, les officiers, que je n’avais jamais vus de ma vie et qui ne m’avaient pas donné les raisons de mon arrestation, m’appelaient tous « Ambazonia ». Elle est là, la vraie raison de mon arrestation. Ce n’est pas l’ensemble de mon « oeuvre anti-Biya », mais mon séjour et mon récit sur ce qui se passe en zone anglophone. Pendant ma détention, les questions consistaient seulement à savoir pourquoi j’étais allé là-bas, avec qui et ceux que j’avais rencontré sur place.
Le procureur a abandonné les charges sans qu’il y ait eu de débats sur les raisons de ma présence, comme si rien ne s’était passé
Votre procès devait se tenir le 19 janvier, vous avez finalement été jugé le 27 décembre à la surprise générale et le parquet a décidé de vous relaxer. Comment l’expliquez-vous ?
Je ne sais pas vraiment l’expliquer. Je ne savais rien jusqu’à 21 heures [mardi 26 décembre], la veille de l’audience au tribunal de première instance. Trois hommes sont venus me voir dans la cellule pour m’informer que mon procès était avancé au 27 décembre, soit le lendemain, à 8 heures. Deux gardes sont venus me récupérer le matin dès 7 h 30, la salle d’audience était entièrement vide. Le procureur a abandonné les charges sans qu’il y ait eu de débats sur les raisons de ma présence, comme si rien ne s’était passé. Il faut dire qu’après mon arrestation il y avait eu des comités de soutien, des pétitions… C’était probablement délicat de maintenir les poursuites.
La Constitution camerounaise n’inclut pas la double nationalité. Les autorités camerounaises ont conservé votre passeport. Qu’en est-il aujourd’hui de votre situation civile ?
Pour le moment, je suis juste en exil. Je suis né au Cameroun et j’ai été expulsé de la ville où je suis né, l’ironie de la situation est là. Mais le régime va bientôt changer. On me redonnera mon passeport lorsque Paul Biya sera parti.
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