
Des hommes ligotés à l’arrière d’un véhicule, traînés torse nu à même le sol… Ces images ont été tournées dans le camp de Kati, près de Bamako, qui abrite le quartier général de l’ex-junte malienne où ont été enfermés pendant huit semaines des militaires proches de l’ancien président Amadou Toumani Touré (dit "ATT"). La scène, filmée par d’anciens putschistes, est d’une grande violence et apporte la preuve que des bérets rouges ont été maltraités en détention.
La vidéo montre d’abord l’arrière d’un véhicule militaire où sont allongés au moins trois hommes à moitié nus, pieds et mains liés dans le dos. La scène est filmée par un militaire à l’aide de son téléphone portable. Dès le début de la vidéo - puis à la 14e seconde, quand le vidéaste tourne son appareil - on voit plusieurs hommes en tenue de soldat utiliser leur téléphone portable pour filmer. À la 23e seconde, le vidéaste montre d’autres militaires qui s’approchent du véhicule en traînant un homme au sol, ligoté. Les soldats le traînent sur plusieurs mètres en le frappant à coups de pied. On s’imagine que ce traitement a également été infligé aux autres détenus qui gisent à l’arrière du camion…
Cette vidéo a été publiée sur un groupe Facebook du Journal Foufou, un bimensuel gratuit distribué au Mali. Voici la traduction de la vidéo (les soldats parlent en bambara, la langue nationale du Mali) :
Coupez les couilles de leurs pères. C'est pour le Mali. Si tu meurs pour le Mali, tu as tout perdu !
Moi je filme.
Tirez-le comme un chien ! Tirez-le, tirez-le comme un chien !
Tu connais Dieu, toi ?
Ces images circulent sur Internet depuis dimanche 24 juin. Mais, selon nos Observateurs à Bamako, elles auraient été tournées juste après les affrontements entre bérets verts (ex-putschistes) et bérets rouges, des militaires de la garde rapprochée de l’ancien président ATT. Le 30 avril dernier, les forces loyales à ATT ont en effet tenté d’attaquer les anciens putschistes en trois points stratégiques que ces derniers occupaient depuis le coup d’État du 22 mars (la radio-télévision d’État, le camp de Kati et l’aéroport). Après plusieurs heures d’intenses combats, l’offensive des bérets rouges est un échec. Les bérets verts se targuent alors d’avoir déjoué un "contre-coup d’État" et procèdent, dès le 1er mai, à une véritable chasse à l’homme à Bamako, traquant les bérets rouges jusqu'à leur domicile pour les emmener à 15 kilomètres de la capitale, dans la ville-garnison de Kati. Parmi les détenus figurent des officiers supérieurs et des hommes du rang, au nombre de 47 selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui a eu accès à Kati.
La semaine dernière, le CNRDRE (le Comité national pour le redressement de la démocratie et pour le rétablissement de l'État, l’ex-junte) a accepté de transférer les détenus au camp de la gendarmerie de Bamako, comme l’exigeaient leurs avocats. Ces transferts ont commencé samedi 23 juin pour les officiers supérieurs et devraient se poursuivre ces jours-ci pour les soldats du rang.
Les bérets rouges ont été inculpés pour atteinte à la sûreté de l’État. Leurs huit semaines de détention à Kati étaient toutefois illégales au regard du droit malien qui stipule que, lorsqu’ils font l’objet de poursuites judiciaires, les militaires doivent être gardés dans les locaux de la gendarmerie jusqu’à leur jugement. Le sort de ces soldats continue de susciter l’inquiétude à Bamako : le 13 juin dernier, un collectif d’avocats a adressé au ministre de la Justice une lettre ouverte dans laquelle ils dénoncent les traitements inhumains, dégradants et humiliants subis par les "otages" de Kati. Plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme de Bamako, parmi lesquelles le CICR, se disent "préoccupées" par ce qu'il s'est passé à Kati.
Nous avons montré ces images à l’une des ONG qui a pu se rendre au camp de Kati. Elle a préféré ne pas être citée, mais nous a confirmé que cette vidéo était authentique. L’environnement visible sur les images ressemble en de nombreux points à la caserne de Kati. La méthode de ligotage correspond à celle décrite sur place par les détenus.
Nous sommes toujours sans réponse du CNRDRE, à qui nous avons aussi envoyé la vidéo afin de recueillir sa réaction.
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