Si l'application proscrit la nudité totale, une photo de femme en sous-vêtement ou maillot de bain serait montrée 1,6 fois plus qu'une photo d'elle habillée, selon une enquête de "Mediapart".
RÉSEAUX SOCIAUX - Vos photos en bikini récoltent plus de "likes" que celles de vous en pyjama sur Instagram? Il y a peut-être une raison à ça. Ce lundi 15 juin, une enquête de Mediapart révèle que moins vous portez de vêtements sur un cliché, plus celui-ci a des chances de remonter dans le fil de vos abonnés.
Ce constat, les auteurs de l'article Judith Duportail et Nicolas Kayser-Bril l'ont fait une première fois en discutant avec des utilisatrices influentes de la plateforme. Elles expliquent que "pour avoir de l'audience, il faut poster des photos de soi, et encore plus en maillot".
"Le taux de couverture explose dès qu'on se dénude un peu", assure par exemple au site d'information la détentrice du compte @ju_de_peche, suivie par 3500 abonnés sur le réseau social.
Des critères d'engagement
Comme pour la plupart des réseaux sociaux, l'algorithme d'Instagram est maintenu secret. Cependant, un brevet déposé en 2015 par d'anciens ingénieurs de Facebook, entreprise détenant la plateforme de partage de photos, a alerté les enquêteurs.
Intitulé "Feature extraction based image scoring" [en français, "Notation d'image basée sur l'extraction de caractéristiques"], il semble définir les critères sur lesquels le réseau social se base pour rendre visibles, ou non, les photos d'un utilisateur.
Parmi eux, les goûts personnels, "le genre" et "l'ethnicité". Mais pas que. Citant le document, Judith Duportail écrit: "L'interface de programmation peut évaluer le niveau de nudité des personnes sur une image, en détectant des bandes de couleurs spécifiques, identifiées comme des nuances de couleurs de peau."
2400 images analysées
La technologie est-elle utilisée aujourd'hui? En l'absence de réponse d'Instagram, "nous avons donc, avec le soutien financier de l'European Data Journalism Network et Algorithm Watch, la statisticienne Kira Schacht et le développeur Édouard Richard, analysé 1737 publications contenant 2400 images postées sur Instagram entre février et mai 2020, et calculé leur taux d'exposition", indique l'article.
Ses auteurs poursuivent: "À moins de réaliser un audit à grande échelle, toute recherche demeurera ‘imparfaite'. Nos résultats permettent toutefois d'affirmer qu'une photo de femme en sous-vêtement ou maillot de bain est montrée 1,6 fois plus qu'une photo d'elle habillée. Pour un homme, ce taux est de 1,3."
Alors que près d'un Européen sur trois est sur Instagram, une telle découverte pose des questions. "L'algorithme définit une sorte de ligne éditoriale implicite qui influence nos choix, et fait qu'on s'exprime d'une façon ou d'une autre, souffle Judith Duportail au micro d'Europe 1. Là, le message envoyé à toutes les femmes sur Instagram est limpide: tout ce que vous avez à dire sera toujours moins important que votre corps."
Alors que la nudité totale est, elle, complètement proscrite sur l'application, un tel fonctionnement participe davantage à l'invisibilisation des personnes handicapées, obèses, de couleur sur le site. Comme l'illustre la récente censure d'une couverture de Télérama mettant en scène l'activiste Leslie Butch nue, la plateforme est souvent accusée d'empêcher la promotion des publications de certains utilisateurs au motif qu'elles ne correspondent pas aux conditions de l'application.
0 Commentaires
Participer à la Discussion