« Le ciel défend, de vrai, certains contentements ;
Mais on trouve avec lui des accommodements »
MOLIERE
Nos marabouts sont ainsi faits qu’en matière de parole, l’avarice l’emporte sur tout le reste. Ils maintiennent ainsi le mystère sur tout, suscitent la curiosité de leurs disciples. Ils laissent fermenter la parole une bonne année, avant de la laisser traverser leurs lèvres bénies pour la glisser dans les oreilles chastes de leurs fidèles. Le temps d’attente n’est pas du temps perdu. Il sert justement à susciter le besoin chez celui qui écoute. Entre deux mots, ils gardent un silence si long qu’ils créent en leur auditoire un besoin digne des sujets de Pavlov. Pour plus creuser le mystère, ils prennent le soin de s’adresser d’abord à Allah dans une littérature arabe aussi sophistiquée qu’inaccessible. Plus ils agrémentent leurs phrases de gutturales à les faire vomir, plus on les croit en conversation directe avec le bon Dieu. Les fidèles, qui n’y comprennent rien, adoubent leurs héros avec des salves d’applaudissements, comme s’ils revenaient d’une marche victorieuse sur la planète Mars. Si nos marabouts se mettaient à parler à tout va et à s’envoyer des textos, il y a longtemps qu’ils perdraient leur crédit. Ils doivent cultiver la distance et l’éloignement, tourner la langue sept fois avant de se libérer de leurs sages aphorismes.
Malheureusement, le voyage ne se fait pas toujours sans péril. Malgré ces longues précautions oratoires, il arrive que certains d’entre eux laissent échapper de leurs palais immondes des paroles infamantes. D’autres se rappellent leurs foucades de jeunesse et envoient des « droites » bien méritées aux journalistes impertinents. Il peut arriver qu’ils s’en excusent au bout d’une année, mais la plupart oublie. Le seigneur ne s’embarrasse point de détails.
C’est donc dire qu’après de longues randonnées célestes soutenues par une rude diète verbale, il arrive à cette race d’hommes distingués le vilain malheur de se perdre entre leurs méditations transcendantales et leurs propres hallucinations. Un marabout a ainsi expliqué que pour envoyer des SMS, il faut se rendre à un télé-centre, sous le regard compassé de ses fidèles auditeurs. Il s’essayait en « paraboles », son domaine d’expression favori quand il ne veut pas être compris.
C’est pourquoi chaque ascension vers le ciel est précédée d’un bourrage du ventre qui met les poulets assaisonnés et les oranges du Maroc en compétition. S’ils veulent pousser l’ascension plus haut, nos marabouts accompagnent le tout d’un peu de jus de raisin fermenté, leur eau bénite. Que voulez-vous ? Aussi élevés qu’ils soient en religion, nos hommes n’oublient jamais leurs ventre et bas-ventre. C’est pourquoi ils prennent des épouses en quantités suffisantes et justifient cette position couchée par un « wa », une conjonction de coordination semée quelque part, dans les mystérieuses pages du Coran. Nos marabouts aiment aussi se prosterner devant la forure du milieu. Et puisqu’en toute chose, nous pensons qu’ils ont la science infuse, ils ont déployé un immense arsenal oratoire pour dire tout sans rien dire, et ne rien dire pour tout dire. Ils se laissent « prêter » des propos. C’est une façon de se réserver le droit d’être plus précis, quand la météo politique le permet enfin.
Dans ces cas-là, et seulement dans ces cas-là, leurs « lectures » prennent des formes plus nuancées. Ils parlent d’unité et de paix. Relisez toutes les déclarations de marabouts depuis la mise en place du Conseil supérieur des chefs religieux du Sénégal, en 1958, jusqu’à sa disparition par le fait de ces mêmes marabouts. Ils appellent tous les ans à l’unité des « musulmans », alors qu’ils ne s’entendent jamais. Parfois, ils appellent à l’unité l’un à côté de l’autre, sous des tentes différentes, avec des barricades, en priant le même Dieu et en chantant le même prophète. Nous sommes ainsi devenus le pays qui compte le plus de « khalifes généraux » au monde, chacun se croyant le destinataire privilégié de la parole d’Allah. La fête religieuse qui devait célébrer la naissance du prophète de l’islam est devenue le foirail politique le plus attendu où se négocient les têtes des marabouts. Chacun, pour peu que ses grands-parents aient une fois tenu une tablette coranique, se déclare khalife général et réclame les faveurs de la République. Tous les ans, ils réitèrent frénétiquement le même appel à la paix. Mais on ne les voit jamais appeler à ce qui constitue la matrice de leur religion, la Justice. Ils érigent des châteaux au cœur de baraquements infectes ; ils roulent en Limousines quand les fidèles qui les enrichissent arrivent de partout à dos d’âne ; ils gardent des milliards de francs dans des comptes personnels quand leur religion leur impose de partager. Ils s’en prennent aux conséquences, alors qu’ils sont eux-mêmes la cause des problèmes de ce pays. Comment peut-on appeler à la paix quand on laisse faire tant d’injustices ? Abdoulaye Wade a injustement mis en prison d’humbles citoyens. Il a jeté les jeunes de ce pays dans les océans en s’octroyant toutes les ressources nationales. Il s’est accaparé des terres du pays au seul profit de sa famille. Ils ont eux-mêmes, ces marabouts, accepté un parti-pris flagrant du chef de l’Etat en faveur de sa confrérie.
Une fois par année, ils sortent de leurs grottes luxueuses pour indiquer à la plèbe le chemin à suivre. Ils connaissent le chemin qui mène à Dieu. Mais celui qui mène à Gounass et à Guédiawaye, c’est le chemin du diable. Ils s’en méfient. Ils ne sortent de chez eux que pour aller à la banque ou à l’aéroport. Vous n’accédez à eux et ne grandissez dans leur estime selon que votre fortune est grande ou petite. La bénédiction d’Allah est devenue aussi une affaire de gros sous. Généralement, ils n’accordent leur protection terrestre et céleste qu’à ceux qui daignent bien leur remplir les mallettes, quelle que soit la provenance de l’argent. Plus leur silence est audible, plus leurs actions montent à la bourse des voleurs. Un marabout véreux a ainsi suspendu le vote de ses disciples aux prochaines élections locales jusqu’à la visite de Pape Diop. Et d’un seul coup, tout ce qui était banni était redevenu un objet de culte. Son Conseil « d’admiration », composé d’obscurs zélés, en a décidé ainsi. Mbaye Jacques Diop était menacé de poursuites dans la gestion du Haut conseil de la République. Dès qu’il s’est rendu à Touba, les poursuites se sont éteintes. Encore que dans ce domaine, tout ce qu’ils disent n’est pas parole d’évangile. Les appréciations de nos marabouts varient en fonction du temps qu’il fait chez eux. Ils peuvent dire une chose sur un homme politique aujourd’hui et son contraire le lendemain. Certains se sont lamentablement gourés par le passé, en appelant à voter pour des candidats perdants. En la matière, leur serment n’est pas plus valeureux que celui d’un cabaretier. Mais c’est avec ces gens que nous sommes encore les plus tolérants. Ils ont inventé le privilège de l’érudition. Nous considérons que le bon Dieu a pu les tromper et qu’en aucun cas, ils ne peuvent être tenus comptables des turpitudes du tout puissant. Parmi ceux que nous appelons des marabouts (il y en a dans tous les hameaux du pays), il y a des malfrats de tout poil. La plupart d’entre eux sont des receleurs qui exercent avec un privilège indu. C’est qu’ils ne rendent compte de rien. Les politiciens peuvent un jour rendre des comptes devant les hommes. Mais les marabouts ne rendent compte qu’à Dieu. Et encore... Ils le croient tellement naïf qu’il serait capable de gober leurs arabesques ineptes et les laisser passer au paradis.
SJD
PS : La critique est radicale. Par nos marabouts, il ne faut pas entendre tous nos marabouts. Certains sont dignes d’éloge et de respect.
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