« La force et la faiblesse des dictateurs est d’avoir
fait un pacte avec le désespoir des peuples »
Georges BERNANOS
J’ai toujours pensé, contre ceux qui sont tentés par le découragement, que certes nous n’avons pas de présent, mais nous avons un avenir. Je viens d’être conforté par un homme qui, malheureusement, est méconnu de ses contemporains, le professeur Serigne Diop. Exclu du Pds en 1987 après avoir été sauvagement tabassé par la garde d’Abdoulaye Wade, ce brillant constitutionnaliste est tout ce que n’est pas ce fruste président. Mesuré, économe en parole, il vient de se distinguer dans ce qu’il est vraiment, un patriote et un républicain. Car le débat sur la licence Tigo, engagé dans des formes qui en faisaient perdre la substance, n’avait pas sa raison d’être. Quelles qu’aient été les motivations du fils du président de la République, ce n’était pas à lui de discuter d’une licence de télécommunications, attribuée alors que son père siégeait à la droite d’Abdou Diouf. Il n’en avait pas la prérogative, encore moins la compétence. Nous avions un ministre des Télécommunications, un ministre de la Communication, un ministre des Finances et un Premier ministre, ils ont tous été tenus à l’écart de cette transaction secrète. Mais aussi dissimulé qu’à son habitude, le brillant répétiteur a voulu nous entraîner dans sa vaine comédie, en invitant Ousmane Tanor Dieng à un débat de chiffonnier. C’est apparemment une marque de fabrique familiale. Le président de la République a, lui aussi, invité le journaliste du magazine Marianne qui l’interrogeait sur sa popularité, à le rejoindre dans la rue, sachant qu’il ne le ferait jamais.
Le fiasco des festivités marquant le cinquantenaire de l’indépendance du Sénégal a fait prendre la mesure de l’impopularité de ce régime. Malgré les deux milliards de francs investis pour mobiliser les Sénégalais, il n’y avait que quelques centaines de curieux flanqués dans les gradins d’un stade clairsemé. Personne n’aurait prédit une telle déconvenue là-même où, il y a dix ans, près de cent mille personnes se sont massés pour écouter le Messie de Kébémer. Son propre camp est démobilisé, las des caprices de ce roi fantoche. Il a cherché à faire décoller son nouveau parti par de nombreuses initiatives, mais le Pds-elle reste cloué au sol. Sans copilote, sans mécanicien, sans personnel de bord, le commandant Abdoulaye Wade veut tout être à la fois.
Dans les séances foraines organisées sous la direction de Farba Senghor, il n’y a pas de militants pour acheter des cartes, mais des responsables pour se quereller. Au point que pris de court, l’idée lui est venue de renoncer à la présence physique des militants pour brader les cartes au plus offrant. Mais le chargé de la propagande lui-même n’a aucune base militante. Face à ce désastre annoncé, quelques illuminés tentent de maintenir la flamme. Un illustre inconnu, sur le perron du Palais présidentiel, appelait ainsi « les centaines de milliers de membres de la Génération du concret » à participer aux festivités marquant le cinquantenaire de l’indépendance du Sénégal. A chacun sa bêtise. Mais ce qui surprend, c’est l’obstination avec laquelle Abdoulaye Wade humilie les fils de ce pays, à l’exception du sien. Pape Diop est combattu à Dakar, Ousmane Masseck Ndiaye à Saint-Louis, jusqu’à ce qu’il trouve un grand guignol capable de porter son projet monarchique. Le chef de l’Etat a sans doute apporté sa touche personnelle à la débâcle généralisée du 22 mars 2009, mais son fils n’a pas démérité. Se faire battre dans son propre bureau de vote après des années de campagne et des milliards d’investissement est un véritable exploit.
La symbolique du pouvoir est certes au président de la République. Il incarne encore l’institution présidentielle. Mais la réalité du pouvoir est à son fils. Ce qui rend dangereuse cette gestion patrimoniale, c’est la folie qui en découle. Rien ne se heurte à leur volonté. On lui dit que les gradins qui font face à la statue de la renaissance font penser à la Rome antique, Karim Wade fait détruire un ouvrage qui a coûté près d’un milliard. Avant lui, Abdoulaye Wade s’était ému de la tenue légère de la femme en bronze, soumise aux vents de l’atlantique. Pour couvrir ses postérieurs, les sculpteurs coréens ont établi la facture du petit pagne : 500 millions de francs. Depuis, les artistes volent au secours de son concepteur. Oui, payer la courtisanerie coûte moins cher que cette étoffe précieuse. Ils soutiennent que «le monument montre une famille qui sort d’un cratère et, dans cette situation, ils n’ont pas eu le temps de se rhabiller ou de soigner leur tenue».
Le monde entier se moque maintenant de la folle mégalomanie d’Abdoulaye Wade, de ses cadeaux somptueux et de ses statues gigantesques comme il se moquait des frasques d’un Mobutu ou d’un Duvalier. Sa dernière initiative, organiser le retour des haïtiens en Afrique, suscite des ricanements dans tous les salons du monde. Depuis l’éclatement de l’affaire Segura, ce président est devenu un objet de curiosité pour les médias du monde occidental. Les Sénégalais n’ont aucune raison de rester solidaire de ce bourreau qui prend pour ennemis du Sénégal tous ceux qui dénoncent sa politique.
De tous ses passifs, le social est le plus difficile à solder. Le clergé mouride, qui l’avait jusqu’ici adoubé, s’impatiente maintenant de le voir partir. Victime de ce qu’elle considère comme une injustice, la ville de Tivaouane contient mal sa colère. Ses représentants observent un minimum syndical, le moins que la courtoisie exige pour ne pas être impoli. Mais personne ne se fait plus d’illusions sur ce qu’est Abdoulaye Wade. La Casamance, qui était sa plus grande priorité, renouveau de nouveau avec la violence des années 90. Tout se passe comme si Abdoulaye Wade, forcé par un destin tragique, s’évertuait à saboter sa propre présidence. Il peut se vanter de quelques réalisations au plan des infrastructures, mais elles n’ont servi qu’à des magouilles à grande échelle. Tout ce qu’il a réalisé jusqu’ici a été le prétexte à des enrichissements massifs pour lui et pour son entourage. Il parle déjà d’avenir, alors que ceux qui l’avaient élu l’interrogent sur leur présent. On le voit mal, à 88 ans selon ses propres aveux, arpenter les ruelles cahoteuses du Sénégal pour défendre un bilan qui parle de lui-même. Puisque son but ultime était de se maintenir au pouvoir par tous les moyens, on peut dire qu’il a réussi. Si la conservation de son pouvoir passe par un dialogue direct avec l’opposition, il se pliera à cette exigence. Malgré tout, nous ne devons pas céder au découragement. Il n’existe pas, dans l’histoire des peuples, une dictature qui a bien fini. Mais il a fallu à chaque fois trouver des gens déterminés pour la faire cesser. Les Sénégalais semblent résignés face à la transformation progressive de leur démocratie en une monarchie élective. La dictature d’Abdoulaye Wade a trouvé jusqu’ici des paillassons admiratifs et des opposants passifs. Quand on laisse les manettes de commande à ce pilote fou, il franchit le mur du con. Toutes les limites lui semblent franchissables. Mais croire qu’on peut le laisser aller à une monarchie héréditaire est une pure folie.
SJD
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