« Le difficile n’est pas de monter, mais,
en montant, de rester soi »
Jules MICHELET
Pour garder une bonne place à côté du « soleil » Abdoulaye Wade, ses collaborateurs de la présidence de la République imaginent tout. La réflexion n’étant pas leur plus grand fort, certains lui ont tout bonnement adressé par anticipation des cartes de vœu pour son anniversaire, qu’il doit fêter le mois prochain. Ils croyaient ainsi faire plaisir à leur chef, qui aura 83 ans, selon son âge civil. Erreur ! Le maître des lieux, qui veut se ménager, puisque sa tâche n’est pas encore achevée et que le monde a encore besoin de lui, ne souhaite pas vieillir ostensiblement. Il trouve là la preuve que ses collaborateurs veulent « l’embaumer »comme un mort, alors qu’il s’accroche encore à la vie.
Retiré dans ses bureaux à double porte capitonnée depuis lundi, le président de la République ne laisse pas sa carabine chômer. Il accuse ceux qui sont autour de lui de lui avoir menti ces cinq dernières années sur les réalités du pays. Du fond de sa cellule, on l’entend crier comme un forcené :« Mais vous me prenez pour un imbécile. » Babacar Gaye, qui aurait sans doute préféré le poste influent de Directeur de cabinet politique à la chaleur étouffante de Kaffrine, n’en revient pas d’avoir été chassé aussi brutalement du « soleil ». Hassan Bâ est déjà près de la porte. Il n’est pas encore parti que les conseillers de la présidence soupirent discrètement. L’idéologue de Boyinadji leur faisait peur en laissant croire qu’il déjeunait tous les jours à la table du président. Tous les jours, une tête tombe indistinctement. Abdoulaye Wade soumet ses collaborateurs à la dure épreuve de la roulette « ruse ».
Au total, une vingtaine de personnes, proches collaborateurs du président de la République ou ministres conseillers s’en iront très loin du « soleil ». Ce n’est pas une simple purge, c’est une épuration. Tous ceux qui ont symbolisé le Wadisme arrogant jusqu’ici, de Babacar Gaye à Ablaye Faye en passant par le Directeur de cabinet administratif Zacariah Diaw, s’en vont au purgatoire. Ils attendent tous le document qui fait son chemin « dans le pipe line ». Le président Wade a commencé par le commencement. Celui qui, le premier, a mis dans sa tête que son fils Karim Wade était le meilleur des sénégalais, l’inénarrable Ahmed Niasse, est tombé le premier. Pour se faire pardonner ses fautes déjà commises, l’Ayatollah de Kaolack a envoyé séance tenante une version télécopiée de sa repentance. Comme si le larbinisme lui collait à la peau, il traite son grand maître d’être « exceptionnel ». De ce peuple de serviteurs joufflus qui aimait afficher sa morgue et sa suffisance, il ne restera que Pape Samba Mboup. Le ministre-chef de cabinet est le seul qui tenait à jour le thermomètre social. On lui reprochait de trop lever le coude, raison pour laquelle ses prévisions ne pouvaient pas être justes.
Qu’Abdoulaye Wade commence par balayer devant sa propre porte avant d’entreprendre les changements institutionnels qui s’imposent me semble salutaire et tout à fait normal. La présidence de la République est l’institution la plus importante dans la marche de la République et sans doute la plus influente. Mais elle était devenue ces dernières années un refuge pour gens désœuvrés. Je suis littéralement tombé de ma chaise en apprenant qu’un ancien coursier du Cafard libéré, Yaya Sakho, y occupait le poste « prestigieux » de Conseiller en communication. Quand nous disions à notre président « ressaisis-toi avant qu’il ne soit trop tard », sa bande de communicateurs informels lui disait « rassasie-toi, demain il sera trop tard ». Cette meute boulimique réunie autour de Hassan Bâ a fait prospérer ces dernières années la thèse du complot permanent contre le président de la République. Et surtout l’idée que nous tous qui le critiquons souhaitons son départ précipité du pouvoir. J’ai répondu que nous l’avons tellement aimé qu’il nous a fallu de bonnes raisons pour le détester. Vivement donc le nouveau Wade. Il avait lui aussi fini par donner l’image d’un boutiquier qui avait tout dans son magasin à bas prix. Même une opposition ! Qu’il tente de s’extirper de cette fange glauque qui l’avait encerclé est à saluer. C’est sans doute ce qu’a voulu dire le brillant avocat Doudou Ndoye, en évoquant les fondements d’une nation forte en train d’être posées.
Il aurait été tout de même plus avisé que le président Wade commençât ce « coup de palais » par son propre fils. S’il doit chasser les perdants de la présidence de la République, son conseiller Karim Wade doit diriger le convoi, sans quoi il ferait preuve d’un parti-pris flagrant. On ne sait pas en quoi Amadou Sall, Pape Diop et Ablaye Faye auraient plus de responsabilité que Karim Wade dans le naufrage du Sopi à Dakar. Karim Wade a été, quatre années durant, le grand patron de la capitale sénégalaise, perché au dixième étage de l’immeuble Tamarro.
Or, la structure qu’il présidait vient de s’illustrer à nouveau de façon très honteuse. Que des dizaines d’hectares de la zone de sécurité de l’aéroport se retrouvent entre les mains de promoteurs privés est d’une gravité inouïe. N’importe quelle autre structure aurait été auditée, puisque le but premier était la construction de villas dans le cadre du sommet de l’Oci, et qu’il s’agit manifestement d’un détournement d’objectif opéré par les promoteurs.
Mais avant ces villas non encore livrées, Karim Wade nous avait annoncé à la télévision nationale des hôtels « nouvelle génération ».
Au-delà de l’aliénation de l’espace aéroportuaire qui menace la sécurité des voyageurs, il y a toute la question de la redevance aéroportuaire sur laquelle Karim Wade s’était personnellement impliqué. Le 5 avril 2007, le fils du président de la République avait déclaré avoir mobilisé, avec ces fonds déposés dans un compte séquestre de la BMCE, un prêt de 230 milliards de francs Cfa pour la construction de l’aéroport de Diass. Il avait déclaré, par la même occasion, que les travaux devaient durer 30 mois. C’était l’époque où il chantait le cantique de la « génération du concret », celle qui ne parle pas et travaille. Nous sommes à six mois de la fin supposée des travaux de l’aéroport et toujours rien. Si ces milliards ont été effectivement mobilisés, où sont-ils passés ? Nous ne pouvons pas sortir de là et éructer sans vergogne qu’il nous faut vendre les actions de la Sonatel pour avoir du cash.
C’est pourquoi, malgré l’optimisme qui m’habite ces derniers jours, je suis d’avis qu’Abdoulaye Wade n’a pas bien saisi le signal du 22 mars 2009. La portée révolutionnaire de ce vote, ce n’est pas la perte de Dakar par le pouvoir, comme il a tenté de l’expliquer. C’est le fait que jamais dans l’histoire, les mairies des grandes villes ne sont tombées dans les mains de l’opposition. C’est le peuple souverain qui exige des comptes et il doit les avoir.
SJD
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