
La mort tragique, par balle, de l’étudiant en Faculté de mathématiques et physique, Bassirou Faye, survenue jeudi dernier à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, lors des violents heurts qui ont opposé étudiants et éléments du Groupement mobile d’intervention de la police nationale, peut-elle vraiment nous surprendre quand on voit les années se suivre et se ressembler avec le même spectre de violence grandissant dans cet environnement surpeuplé qu’est l’UCAD et qui plus est expose de plus en plus à la mort, aux situations imprévues, à la conspiration, à l’exaction ?
On ne l’acceptera pas que la vérité reste ce qu’elle est et montre ce qu’on voit : l’UCAD est devenue un temple du savoir où l’on tue ses étudiants.
Tribune du tout confessionnal, micro amplifié de la pauvreté, pépinière torride des obédiences électoralistes grabataires surchauffées, l’UCAD à laquelle les différents gouvernements n’ont osé s’attaquer dans le fond comme sur la forme, depuis le Président Senghor, souffre des répercussions sur ses ressources matérielles et financières, sur ses ressources humaines et sur sa propre réputation fortement mise à mal.
La responsabilité de l’Etat dans cette déchéance et dans ce désordre est entière et totale, de la même manière qu’elle l’est dans la mort de Bassirou Faye, survenue dans un cadre des plus propices à la logique de la violence qui est naturellement irréfléchie, irrationnelle, incohérente. Logique de violence dans laquelle tout peut arriver comme tout peut y être orchestré.
Quoi qu’il en soit, il y a des violences que l’on ne peut pardonner, surtout celles suivies de mort d’homme. Bassirou Faye et Balla Gaye, tué aussi par balle 13 ans plus tôt, ont payé tous deux au prix de leur vie, soit par leur mort, leur bref passage dans le temple de la connaissance. Deux vies trop brèves, deux promesses familiales trahies, deux investissements nationaux perdus.
Pour leur mémoire et afin que rien de tel ne se reproduise, l’enquête appelée de toutes ses forces par le président de la République devra donner des résultats et désigner le coupable, quel qu’il soit.
L’Etat, la police ne peuvent faire autrement.
Par ailleurs, il est temps de mettre fin à cette image indécente, inappropriée, présentant d’un côté des étudiants désargentés et désobligés, armés de pierres et ayant pour seule stratégie de combat l’intifada et, de l’autre, des forces de l’ordre bardées d’équipements, dotées de grenades lacrymogènes prêtes à foncer dans le tas au premier commandement, après des réveils matinaux dès 5H30 du matin, des heures de fatigues, de faim, de guets, d’astreinte ?
C’est la recette par excellence de tous les excès. De toutes les exactions. Cette situation dangereuse pour notre pays ne peut prospérer sans dégénérer. La preuve.
L’irréparable survenu jeudi dernier nous a suffisamment prévenu sur le consensus que l’Etat et les étudiants doivent trouver pour un cadre conforme et adéquat pour les apprenants et pour l’intégrité et la survie de l’Université qui est sérieusement menacée.
Refuser d’aller vers la concertation et le climat de confiance, ne pas admettre les principes de devoirs et de droits, ignorer l’ordre et les investissements, conduiront le gouvernement et les étudiants vers un fossé où l’on comptera par dizaines les morts et de blessés.
Les autorités comme les étudiants savent que les objectifs de la violence irréfléchie ou non, irrationnelle ou non, incohérente ou non, sont la destruction définitive dont les manifestations peuvent être le meurtre (Balla Gaye, Bassirou Faye), l’anéantissement de biens (caillasse de bus, saccage de locaux et bureaux), de l’ordre établi (chaos)?
Sommes-nous capables d’être de tels coupables.
Cette douloureuse affaire de bourse revendiquée avec acharnement et réprimée dans la violence doit nous ouvrir les yeux. La reconduction partagée de la méthode «rapport de force» a montré ses limites. La gestion de la prévention et de la sécurité semble être la voie la mieux indiquée pour un climat de confiance et de performance universitaire.
L’Etat, qui a failli à sa mission, doit se ressaisir en mettant en place une structure qui devra non seulement assurer le fonctionnement optimal de la coordination nécessaire en temps de crise mais devra encore privilégier et articuler davantage la prise de décision consensuelle.
Garant de la sécurité des biens et des personnes, soit ces mêmes étudiants qui revendiquent le paiement de leurs bourses, l’Etat, dont l’objet est aussi de veiller à l’application du respect des droits humains, a l’obligation de faire en sorte que nulle exaction ne vienne souiller et trahir l’université. Les étudiants aussi.
Ainsi sont attendues de l’Etat, des dispositions salvatrices et courageuses et leur totale application pour le respect des délais de paiement des bourses.
Le déploiement des forces de l’ordre doit être une exception. En effet, c’est en amont et dans les délais requis qu’on se donne les moyens de sa politique. Tout Etat qui n’anticipe pas sur les incidences à gros risques fait face au désordre, à la violence et se voit contraint de réprimer sans pitié parce que le délit d’attentat au droit d’autrui est devenu un fait.
Mais c’est aussi ainsi que commence la faillite de l’Etat.
Faut-il démontrer que la gestion des crises universitaires s’avère limitée et inadaptée dans notre pays. L’Etat qui a eu du mal à faire face à plusieurs générations d’étudiants de 1960 à 2014, parce qu’ayant raté des rendez-vous importants avec sa jeunesse en manquant d’investir dans l’éducation, la recherche et les Sciences, doit convoquer de nouvelles solutions à travers des cadres de concertations qui s’imposent désormais aux sociétés modernes.
Ailleurs dans le monde, des universités ont mis en place des structures de coordination et de prise de décisions, afin de gérer de manière optimale les crises, dans les meilleurs délais et toujours dans un cadre de concertation. Qu’elles découlent d’un incident, d’une situation imprévue, d’un sinistre, d’une orchestration, les crises sont toujours prises en compte par une gestion mutuellement élaborée, suivie, partagée.
L’Etat qui ne peut dire qu’il a été surpris par la revendication des étudiants et qui ne peut prétendre qu’il a été surpris par l’envergure de cette même revendication dont l’une des phrases fortes tenues a été : «S’il le faut nous marcherons sur le palais», est désormais averti sur la nécessité du pacte universitaire.
L’instauration d’un climat serein, propice à la formation est absolument nécessaire pour notre pays, dans ce monde globalisé où tout est question de savoir-faire et de faire-savoir
Ne rien faire de ceci serait trahir la promesse et l’avenir. Nous ne serions alors pas digne, ni comme Etat ni comme disciples du savoir.
Voilà à quoi nous invite feu Bassirou Faye.
La lumière sur sa mort tragique est la première réponse du pacte de sang qui nous lie désormais !
Va en paix Bass, amor patriæ nostra lex !
Par Charles FAYE
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