« C’est un sentiment qui m’est commun
avec tous les mortels : je ne rougis pas
d’avouer que ma personne m’est très chère »
EURIPIDE
On peut avoir une tête de cocher et réussir des coups de patte de génie. Qu’on l’ait aimé par le passé ou pas, Farba Senghor est en train de sauver Abdoulaye Wade du naufrage. Disons qu’il est en train de le tirer des bas fonds où le président de la République est resté en immersion depuis plusieurs mois. Dieu seul sait si son apnée le mènera jusqu’à la surface. Mais quoi qu’on en dise, c’est un retournement de situation spectaculaire. Le troubadour attitré du Wadisme est, de tous, celui qui a reçu le plus de coups de ses propres camarades de parti. Le préfet de Dakar l’a fait bastonner par la police; le président de la République l’a chassé du palais. Farba Senghor a patienté à la porte avec son air de chien battu, sûr qu’il n’attendrait pas longtemps pour se remettre au service du maître. Sûr qu’après avoir fait le vide autour de lui, « Wade » ferait appel à sa fidélité canine.
Quand Farba Senghor est parti à la faculté de droit pour recevoir le titre de docteur Honoris Causa, les étudiants de Moustapha Sourang l’ont chassé comme un malpropre indigne de cette distinction. Eh bien, c’est une revanche que cet homme fourbe et emprunté prend sur ceux qui le prenaient pour un fou. Quatre ans après, les plus sérieux « stratèges » du président de la République pensent que ce coursier émérite de madame Wade est le seul digne de commander le prochain gouvernement. Dans l’immense désert hostile qui entoure « général Wade », il tient le poste le plus avancé. C’est Farba qui va au front, négocie avec les ennemis, prépare les redditions de son chef pour le sauver de l’humiliation. Le coup de cette semaine, quels qu’en seront les effets, est un bon coup. La politique est comme la nature. Elle a horreur du vide. Farba Senghor est maintenant le seul à atteindre Abdoulaye Wade à l’épaule quand il se met debout sur ses 25 ans de vains et loyaux services. Les autres têtes ont été coupées parce qu’elles étaient devenues trop hautes.
On est loin de l’époque où le président de la République bombait tellement le torse qu’on croiyait qu’il s’était installé des pectoraux artificiels. Ceux qui l’ont visité un soir pouvaient prendre la température du pays, juste en tâtant la fermeté de son salut. Le président pouvait redresser son abdomen trois fois pour s’assurer qu’il tenait debout, avant de pousser son hôte sur son fauteuil « Louis XIV ». Ce n’est plus le cas. Farba Senghor, qui lui apporte les nouvelles du front tous les matins le trouve le dos courbé, les mains moites comme s’il anticipait une mauvaise surprise. Le président n’arrive même plus à afficher son sourire commercial qui rendait sa face supportable. Il s’abandonne à son destin, comme s’il s’avouait maintenant son inaptitude tragique.
Mais des bonnes nouvelles, la météo politique n’en sort plus depuis longtemps. Les caisses de l’Etat sont désespérément vides, les entreprises privées sont tenues à la gorge, les paysans crient famine. C’est une compagnie privée qui avait accepté l’année dernière de financer la campagne arachidière. L’Etat s’était engagé à la laisser répercuter cet investissement sur les prix, mais il n’a pas respecté sa parole. Ce serait « trop dangereux socialement ». Pour renflouer les caisses, il ne reste qu’à brader les derniers bijoux de la famille, la Sonatel et Air Sénégal international. Pour des questions de survie. C’est la bêtise que le régime a décidé de s’accorder pour entretenir son train de vie et payer les salaires des fonctionnaires.
La dégradation du tissu économique a surpris tout le monde, même les caciques du régime qui rêvaient de passer 50 ans au pouvoir. Au point où, dépité, le président de la République répète tous les matins « Je ne sais pas ce qu’il a ce Hadjibou, mais depuis qu’il est là il n’y a que des problèmes ». Ca ne l’empêche pas de s’arcbouter contre vents-et-marées sur sa brioche matinale et ses œufs brouillés. Le mettre au régime serait trop lui demander, maintenant que ses dents ont retrouvé leur pleine capacité.
Il faut de l’hypocrisie pour évoluer dans la haute politique. Mais Abdoulaye Wade y ajoute trop de mauvaise foi. Pendant qu’il insultait les enseignants et les menaçait de leur couper les vivres, il était d’accord avec eux sur tous les points sauf un seul : le président de la République ne voulait pas, une fois des accords trouvés, recevoir les enseignants pour en garantir l’application. C’est ce qui rend le rôle de Farba Senghor utile dans cette affaire. Au moment de devoir respecter ses engagements, le président de la République pourra dire « ah mais moi, je ne sais pas ce que Farba vous a dit ». L’avenir dira si les enseignants ont le droit, quoiqu’ils aient raison sur de nombreux points, d’engager des discussions avec un ministre autre que leur ministre de tutelle et de signer des accords sans l’accord du ministre du Budget.
L’éthique républicaine réprouve le genre de procédés utilisé contre Sourang, mais la paix sociale est à ce prix. Jusqu’à la prochaine tempête. C’est pourquoi, de bout en bout, ce sont des courtisans peu crédibles qui ont mené la médiation pour la signature de ces accords. Babacar Gaye et Iba Der Thiam pourront demain se dédire sans la moindre gêne. Ils ne cherchaient pas à sauver l’année scolaire. C’est le dernier souci d’Abdoulaye Wade. Il en a grillé deux. Juste sur commande, quand son parti contrôlait encore le mouvement étudiant. Ils cherchaient à s’assurer eux-mêmes une tranquillité civile.
Mais de toutes les interventions, la plus surprenante est sans doute celle d’Amsatou Sow Sidibé. Cette belle-sœur d’Abdou Diouf qui a dirigé un mouvement de soutien pour la réélection de l’ancien président exige du pays qu’il rende « hommage au président Wade »! Evidemment, après avoir demandé aux enseignants de « ne pas sacrifier les enfants ». Après les courbettes à Abdou Diouf, elle fait les ronds-de-jambe à Abdoulaye Wade. Elle fait partie des membres de la « société civile » comme Malick Ndiaye et Momar Ndao qui, après s’être nuitamment engouffrés dans le bureau du président, lui trouvent désormais une sagesse qu’ils ne lui trouvaient pas. Chacun d’entre eux pense qu’il sera ministre dans le prochain gouvernement. Mais c’est la force de Wade de faire espérer.
On s’attendait à un deuxième mandat difficile. Mais pas à une descente aux enfers aussi rapide. C’est une grande malédiction qui frappe ce président de la République, une incapacité à gouverner que l’on ne pouvait pas imaginer chez cet agrégé de Droit et d’Economie qui avait réponse à tout. Les traces de ses hauts faits resteront à tout jamais visibles. Dans toutes les grandes artères des grandes villes, ses hommes ont rasé leurs maisons familiales pour y édifier des résidences de luxe à plusieurs centaines de millions. Tout cela en moins de 8 ans. C’est le prix de cette générosité à double détente que les plus pauvres payent aujourd’hui.
Et malheureusement, notre agrégé en Economie n’en tire pas les leçons. Quand les caisses de l’Etat manquent d’argent et qu’on ne peut pas agir sur la fiscalité, le bon sens voudrait qu’on réduise les dépenses publiques. Maître Wade a décidé de les augmenter. La satisfaction des enseignants, qui réclamaient la tête de Sourang, va nous coûter deux nouveaux ministères et de nouvelles dépenses de fonctionnement. Mais ce n’est rien à côté des folies à venir. Il faut voir les sommes dégagées pour réfectionner les locaux de la Maison Djim Momar Guèye, siège de l’Apix. On aurait construit un autre immeuble avec les centaines de millions engagées dans la rénovation de ce site. Karim Wade, qui doit remplacer Aminata Niane au poste de Directeur général, ne l’a pas trouvé à son goût. Aux yeux du régime, ce petit détail est plus important que les indemnités des enseignants et les semences des paysans.
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