« Personne n’ose envisager la vicissitude
du temps, quand il a rejeté la loi
et se complaît sans l’iniquité »
EURIDIPE
J’imagine d’ici les moqueries que ma confession va susciter, mais je me suis surpris à admirer un homme que j’avais détesté. Il est d’une témérité si grande que rien ne le peut décourager, même les humiliations. Je suis de ceux qui se sont ligués contre lui, en pensant défendre une République menacée, héros imaginaire de tous les mécontents du Sénégal, et voilà que ce gigantesque président m’épate. Je me suis laissé abuser par des hommes de mauvaise foi qui ne lui veulent que du mal, me suis-je dit, pendant que la caméra découpait un plan parfait de son crâne lustré qui le mettait face aux gardes nationaux du Vermont. Quelle entrée en scène et quel homme formidable ce Wade, accompagné de son épouse qui rappelle si fièrement Marilyn Monroe ! Je me suis mis à écarquiller les yeux et à imaginer toutes sortes de choses que les grandes dames de la haute société peuvent bien mettre dans leurs petits sacs à main en cuir, quand elle se tenait droit derrière son époux.
L’homme que tu dénigres à longueur de journée, ai-je entendu ma conscience me sermonner, force l’admiration jusque dans les contrées les plus lointaines de ce monde. Tous les grands palaces du monde l’ont accueilli, tous les maîtres d’hôtel l’on servi. Il est d’une humilité telle, le professeur Wade, qu’il s’est contenté d’un comité d’accueil réduit à son strict minimum. Mais ce n’est pas une licence à ton insolence. Un gouverneur ou un sénateur aurait été encombré par tant de simplicité et ébloui par tant de sagesse. Si tu le vois atterrir sur cet aéroport de campagne entouré de sa petite coure inféodée, c’est donc par humilité. Pour jouir de ce moment solennel sans être dérangé par les grandes foules, il fallut une inspiration digne des grands de ce monde. Les chefs d’Etat des puissances occidentales ne le reçoivent plus parce qu’ils sont jaloux de sa prestance et de ses connaissances encyclopédiques. Il a en toute chose une connaissance suffisante pour émerveiller ses semblables. Silvio Berlusconi l’a déjà sollicité pour régler la crise économique mondiale, ce qu’il a fait en une heure de cours. Les radicaux du Hamas lui ont déjà promis de lui livrer à domicile le soldat israélien Gilad Shalit, assurés qu’il est le seul capable de ramener la paix au Moyen Orient. Partout où il est passé, en Guinée, en Côte-d’Ivoire comme au Soudan, la paix est revenue. Il est à ce jour le seul chef d’Etat à pouvoir parler raisonnablement à Ahmedinejad, l’homme qui défie l’Amérique. S’il n’a jamais parlé de Nelson Mandela, au point de donner l’impression de le jalouser, c’est qu’il ne tient pas dans une estime sans mélange les hommes de sa condition. Il les trouve trop éloignés des préoccupations de ce monde et trop imbus de leur être.
A ce point, je me suis senti ridicule de m’en être pris à ce grand timonier du monde moderne, en voulant venger le sort des journalistes sénégalais à Chicago. Quelle preuve de modestie, que de s’être déplacé dans cette salle obscure, pour parler aux journalistes noirs d’Amérique. Le voilà donc, le médiateur infatigable, supportant sans broncher les exigences que lui impose la haute diplomatie internationale. C’était pure folie que de vouloir se faire l’ennemi d’un tel homme, gardien de la paix, chef suprême des Armées, ce que la garde nationale du Vermont sait bien maintenant. Je ne savais pas que dans ces creux de montagne qui bordent l’Amérique, se trouvaient des admirateurs de l’homme le plus diplômé du Caire au Cap. Comment donc ai-je pu refuser de m’aplatir devant tant de grandeur et vous accuser, Sire, de vouloir transformer le Sénégal en monarchie ? Si vous en êtes à donner autant de responsabilités à votre enfant, c’est que rien ne sort de vos cuisses, qui ne soit parfait. Je le sais maintenant.
Depuis que vous avez pris les commandes de ce pays, le mensonge est parti et la vérité s’est installée définitivement. Vous savez être honnête quand vous vous faites prendre. On vous traite de voleur, mais n’est-ce pas votre propre bien que vous égarez de temps à autre ? Vous aimez tellement les Sénégalais que vous leur donnez sans compter.
Je me suis laissé abuser par vos contempteurs et j’en ai honte, moi qui croyais que vous ne faites que parler. Les 13 millions de Sénégalais qui vivent sous votre règne sont éblouis par les lumières des lampadaires géants qui éclairent vos grandes autoroutes. Nous vivions sous un régime de dictature, vous nous avez apporté la liberté. Nous avions faim et vous avez empli nos greniers de riz et de mil grâce à votre Goana. Ainsi que vous l’avez clairement mentionné dans la Constitution de ce pays, nous pouvons maintenant manifester, exprimer notre mécontentement avec des chiffons rouges attachés à la bouche. Vous êtes si exigeant dans le choix des hommes qui composent votre gouvernement que le plus médiocre de vos ministres, vous l’appelez « docteur ». Ce que les électeurs ont refusé à votre fils, vous savez le reprendre par le seul usage des pouvoirs que vous vous êtes conférés. Et quand la rue vous accule, vous savez renoncer humblement.
Vous méritez cette gerbe de dithyrambes, Sire. Vous avez un tel sens des priorités. Devant tout le temps discuter dans les grandes instances mondiales du devenir de votre pays, vous vous assurez de votre plus grand confort dans les airs, ce que seuls les jaloux peuvent vous reprocher. Tous ceux qui s’opposent à vous sont des gens mécontents. N’est-ce pas votre honorable épouse Viviane qui disait qu’au Sénégal, tous les opposants sont des courtisans déchus ? Elle ne savait pas si bien dire. J’en étais un et je me repends confusément.
Vos méchants délateurs soutiennent que vous avez été humilié par un agent municipal qui a refusé de vous serrer la main, mais quel diacre ne ramperait pas devant votre sainteté pour obtenir bénédiction ! Quand je vous ai vu seul dans votre suite royale, face à la caméra numérique, je me suis encore dit quel homme courageux et savant ! Il s’est débarrassé des ingénieurs, des cadres supérieurs, des conseillers techniques et le voilà maintenant qui se passe de ses interprètes et de son chef d’état-major particulier pour affronter seul ce vaniteux journaliste américain. Et comment ! Je vous ai entendu dire dans un anglais exquis, «i sink zis nacional gard coopère with awo amy… If ever iss possible… Omong many ozer sinks ». Quel talent ! Les amis canadiens qui m’entouraient vous ont aussi entendu déclarer en toute humilité : « I no there iz a nacional aamy, bat i did not no zere is a national gaad. » Je ne vous remercierai jamais assez de me rendre fier d’être sénégalais. A un âge où beaucoup de vos congénères profitent d’une retraite bien méritée, vous refusez d’entendre parler de repos. Dans le portrait que vous dressez de votre remplaçant, nous le savons, se profile votre jeune fils. C’est sans doute par amour pour votre pays que vous le faites. Vous portez sur votre progéniture un regard d’une exemplaire générosité. Tout homme rêve de voir son fils réussir là où il a échoué. Vous voulez, vous, réussir là où votre fils a échoué. C’est si révolutionnaire dans l’histoire de la psychologie que je ne suis pas loin de penser que le Comité Nobel vous a causé un tort en vous refusant sa plus haute distinction. Je voudrais vous dire merci une dernière fois, Sire. Vous êtes loin d’être un homme ridicule. Grâce à vous, le Sénégal est devenu un pays émergent. Nous sommes partout encerclés par les eaux.
SJD
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