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Chronique

Meurtres en famille

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Meurtres en famille

« Ce qu’il en coûte aux gens
de se désintéresser de la chose publique,
c’est d’être gouvernés par des gens pires qu’eux-mêmes »
Platon


Abdoulaye Wade doit désespérer de ses hommes. Ils analysent, développent, projettent et s’indignent tout le temps qu’on ne soit pas du même avis qu’eux. Pour eux, leur manitou est le Coran et la Bible réunis. Mais ils se font toujours surprendre comme d’incultes benêts. Ils attendaient leur « voleur » au pas de la porte, il est passé par la fenêtre, pour leur chiper Insa Sankharé, le Fpj, et transformer tout cela, en un tour de magicien, en ce qu’eux tous redoutaient, « rewmi point final ».

Il y a deux semaines, le 18 septembre précisément, Iba Der Thiam déclarait, à grand renfort d’incantations surnuméraires, que l’ancien numéro deux du Pds est sorti de la forteresse Cap 21 comme il est entré, les mains nues. Il est démenti par un chargé de mission de la présidence de la République, et Wade doit lui en vouloir de lui avoir menti sur l’état de ses troupes. Insa Sankharé, il faut l’avouer, n’est pas une foudre de guerre. Mais ce qui est sidérant, c’est la simplicité avec laquelle les services de renseignement de l’Etat, pas seulement les intellos de la Wadésie, se sont fait endormir et dépouiller par cet auxiliaire de la politique. Ils n’ont rien vu venir, et l’ancien cédépiste, qui n’est quand même pas le dernier né de l’Etat-Roi, se rendait au Cices, avec Macky Sall, pour « présider » le meeting d’investiture d’Idrissa Seck. Imaginez donc le coordonnateur de la Cap 21, le Premier ministre, dans cette salle, sautant comme des cabris, à entendre les moqueries d’Idrissa Seck destinées à leur patron. Le directeur du Cices, qui tient quand même à son poste plus qu’à tout, leur a évité cette suprême humiliation. Mais au lieu de s’en prendre à eux-mêmes, nos amis « capistes » menacent de porter plainte contre Insa Sankharé, « pour les avoir invités ». Excusez-moi, pour leur avoir tendu un guet-apens qui aurait pu leur coûter la vie.

Comme un soldat américain qui va au combat, Idrissa Seck a passé son temps à parler du bon Dieu. Et de Wade. Cette manière d’enrôler Dieu dans la politique n’est pas trop belle. Il fallait le laisser en dehors de cette histoire. Mais c’est sa sortie sur le président qu’on retiendra, avec la litanie de phrases assassines qui scient maître Wade sur la table du boucher. Cela a été pénible d’assister à ce meurtre du père, en direct, surtout que l’ancien Premier ministre ne lui manifeste son « affection » et son « respect » que quand il doit lui asséner des coups aux côtes. Le « vieillard » était à plaindre. Il y a seulement six mois, il appelait cela, en ricanant grossièrement, une « folie ».

Non. Le président de la République a tellement humilié son ancien numéro deux qu’on ne peut pas reprocher à ce dernier de se venger. La politique est ainsi faite, malheureusement. On n’y tend pas la joue gauche. Si Wade avait vraiment réussi son coup, il y a longtemps qu’on compterait le tombeau d’Idrissa Seck au cimetière des morts politiques. Ils ont utilisé tous les moyens de l’Etat pour l’anéantir, et il jouit maintenant de l’envie de vivre d’un rescapé. Ce sont les minutes de cette vengeance sadique qu’il voulait servir à son ancien bourreau, sur le plateau du Cices, là où, il y a deux ans, Wade est allé le mettre en accusation, le juger et l’expédier en prison comme un vulgaire voleur de poules. Le bonhomme n’a dû son salut qu’à son magnétophone et à ses petites notes. C’est ce qu’on lui reproche aujourd’hui, « d’enregistrer tout le monde ». Mais s’il ne l’avait pas fait, il serait mort depuis longtemps, enterré sous la clameur générale, « voleur, usurpateur, blasphémateur, tu t’es dit Dieu à la place de Dieu ». Et c’est fini.

Ne nous faisons pas d’illusion. Si les gens qui peuplent cette race, qu’on appelle poliment « politiciens », étaient aussi vertueux qu’ils le prétendent, ils resteraient chez eux. Ils ne feraient pas de la politique. On vient en politique parce qu’on y trouve ce qu’on ne trouve nulle part ailleurs. On peut mentir, voler, tuer, en toute légalité. On va l’appeler après démagogie, caisse noire, raison d’Etat, mais le résultat est le même.

Ceux qui vont au combat savent qu’ils doivent tuer ou se faire tuer, manger ou se faire manger. Qu’ils le disent franchement, comme l’a fait Idrissa Seck, ou pas, ils rêvent tous de la même chose, éliminer l’adversaire et prendre sa place. Il y a donc, dans tout discours politique, n’importe quel discours politique, une bonne dose de mauvaise foi, « cocktailisée » selon le goût de chacun. Quel que soit ce qui va arriver le 25 février 2007, si l’apôtre Wade ne se renie pas une troisième fois avant cette « aube » d’espérance, nous ne choisirons pas le meilleur candidat, nous choisirons le moins mauvais. Nos professeurs de vertu ne sont pas si « prophétisés » qu’ils le prétendent. Ce serait une grande naïveté de le penser. Si nous les observons bien, il y a peu parmi eux qui n’aient pas eu quelque chose à se reprocher par le passé. Les rares à qui on donnerait le bon Dieu sans confession n’ont jamais mérité nos suffrages. Nous leur avons jeté la pierre tombale et, quand il l’a fallu, nous nous sommes moqués d’eux comme des piliers de cabaret.

Ceux qui ont été tentés d’utiliser « l’Ethos de vertu » l’ont d’ailleurs appris à leurs dépens. Je me souviens encore d’Iba Der Thiam, sorti traumatisé de sa campagne électorale de 1998, alors que nous avions déjà annoncé à Walfadjri, selon les résultats dont nous disposions, qu’il ne serait pas député. Il fallait le voir, avec sa grise mine, s’apitoyer sur ce pauvre pays, où on ne récompense jamais les vertueux, en rappelant ses 500 questions orales, toutes écrites de sa propre main. Après le second choc de 2000, quand son rival historique Abdoulaye Wade l’a battu à rase couture, il a compris qu’il faut plus que de la vertu, pour faire de la politique. Ceux qui s’engagent d’ailleurs, au sein de l’Etat, en disant « moi, je ne fais pas de politique, je suis un serviteur de l’Etat », ou ils mentent, ou alors ils finissent comme des misérables, sur un paillasson de regrets.

 

Naturellement, nous devons faire la différence entre la mauvaise foi de circonstance, celle qu’on peut comprendre, et la mauvaise foi systématique, celle qu’Abdoulaye Wade nous impose depuis maintenant sept ans. C’est elle qui nous fait désespérer de la politique. S’il avait respecté le premier de ses engagements, celui de ne pas être patron de l’Etat et patron de son parti, nous serions mieux que nous ne sommes en ce moment. C’est en pleine confusion des rôles qu’il veut encore, alors qu’aucune disposition de la loi sur les partis politiques ou la Constitution ne le lui dicte, interdire le nouveau parti qu’Idrissa Seck a créé sous son nez. C’est un peu comme si on interdisait l’ancien Rassemblement pour la République de Jacques Chirac, sous le prétexte que la République est à tous. C’est quand même ridicule ! Et si Abdoulaye Wade et ses intelligents conseillers ne le comprennent pas, ils déroulent le tapis à Idrissa Seck, en le victimisant à outrance. Abdou Diouf n’avait pas fait preuve de la même inélégance, en interdisant la candidature de Djibo Kâ et Moustapha Niasse, ou en mettant la justice à leurs trousses.

Rappelez-vous Abdoulaye Wade, secrétaire général du Pds, critiquant l’ancien président de la République, dans le journal Sud Quotidien du 26 octobre 1999 : « Abdou Diouf est partisan, et il l’a toujours reconnu. N’est-ce pas lui qui a dit : « je ne vais pas scier la branche sur laquelle je suis assis ». Et il a toujours mis son pouvoir au service de son parti… Il est comme un capitaine d’équipe qui prétendrait être en même temps arbitre ».

C’est le même Abdoulaye Wade, devenu président de la République, qui affirme, du bout des dents, dans le journal Le Quotidien du 17 mars 2004, que « s’il y a des gens qui ne veulent pas que je sois président de la République et chef de parti, ils perdent leur temps… Je ne vais pas scier la branche sur laquelle je suis assis. Je suis en train, petit à petit, de reprendre en main mon parti et sous peu, vous verrez les mesures importantes que je prendrai ». Les procès d’intention n’ont jamais été des procès équitables.



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