Des raisons religieuses, économiques et sociales expliqueraient, le rejet des statues par les populations. D’autres approches sont-elles envisageables ? La renaissance africaine : concept définitivement galvaudé ou urgence de sa définition. Eclairage sur un enjeu continental. Maintenant que le monument est là, que faire ?
Les Mamelles renseignent sur la préhistoire de la région, et ses blockhaus témoignent de son importance stratégique durant la 2éme guerre occidentale. Ce site par excellence pour l’étude de la géologie et du volcanisme ; par sa faune et sa flore spécifiques, mais surtout par ses deux protubérances magmatiques, est un sanctuaire, un lieu mystique pour les lébous, premiers habitants de la région. On comprend, donc que cette composante majeure du paysage, intégrée par chaque dakarois, suscite crainte et respect, et alimente l’imaginaire collectif.
Dés lors, les différentes explications, du refus de ce projet, avancées par les religieux, les politiques et les économistes, ne peuvent nous dissuader d’analyser ce rejet sous l’angle du rapport intrinsèque qui existe entre l’africain et son environnement. En effet, le négro-africain est un être dans le monde, un monde qui l’informe et qu’il informe à son tour. Cette relation presque consubstantielle, fait que toute action non ritualisée contre son milieu, est vécue comme une agression contre non seulement, sa propre personne, mais aussi contre son groupe. Ainsi, pour éviter des difficultés ultérieures, avant toute action sur l’animal, le végétal et l’environnement, les africains organisent un rituel. Les promoteurs du projet ont-ils pris en compte cette dimension? Ont-ils en amont, impliqué, les représentants du culte traditionnel lébou?
Même sous l’influence de religions d’emprunts, à chaque fois que ces croyances, seront bafouées, le background nègre, exprimera toujours d’une manière ou d’une autre, toute sa puissance et sa vitalité. Les interdits de l’univers mental africain enfouis, mais présents en chacun de nous, s’associant aux proscriptions des religions d’emprunts, il s’en suit alors un cocktail explosif. Il importe dés lors, dans l’élaboration de tout projet d’envergure ou dans l’approche des faits sociaux africains, de ne jamais sous-estimer ou mépriser la portée de ces croyances et de ces pratiques, car c’est fausser la compréhension des fondements de la culture et de l’être africain.
Par ailleurs, vu l’ampleur du rejet, qui pourra demain, récuser d’éventuels impacts psychologiques sur certains riverains hostiles au projet ? Ces malheureux devront désormais, tous les matins, se réveiller face à des colosses caucasoïdes d’un autre âge, qui ne leur parlent point, parce qu’en dehors des canons esthétiques habituels. Aussi, si cette construction n’est pas une mammectomie, l’excroissance artificielle rend désormais caduque l’expression : « les mamelles ». Ces statues, loin d’être les substituts de l’être manquant, dépeupleront irrémédiablement le paysage de nombreux sénégalais.
On a parlé de tout, sauf du concept de Renaissance africaine qu’en est-il ? Le professeur Théophile Obenga le fixe à l’expression égyptienne : « Ouhem Mesout » correspondant à « re-naître ». La 13éme dynastie fait référence à une renaissance sociale, administrative et culturelle en Egypte. Séti 1er, s’est fait appelé Ouhem Mesout : celui qui renouvelle les naissances. Par ailleurs, l’histoire africaine est jalonnée de renaissances : (Toussaint Louverture 1770, le Wasu 1925). Mais beaucoup plus que tout autre penseur, c’est l’émérite savant sénégalais Cheikh anta Diop qui le premier, dés 1948 interrogeant la réalité africaine, posa la question de la renaissance africaine et en explicita la notion. Examinant aussi les motivations et les écrits des écrivains africains de langue étrangère, le savant s’interroge sur la valeur de leurs contenus comme base légale d’une culture africaine. Il en déduit que le développement des langues africaines reste un des préalables incontournables d’une véritable renaissance africaine. Pour cela dit-il : « l’Afrique devrait cesser d’être engrennée par ces croyances sordides infusées méthodiquement par l’Occident ». Ajoutons-y également celles de l’Orient. On le voit donc, la vision de Diop de la Renaissance Africaine s’appuie sur des préalables, des méthodes, des perspectives. Quand est-il de celle du promoteur des statues ?
La renaissance africaine ne se réduit pas à construire un monument. Car s’accaparer les deniers et les moyens de l’Etat, et se construire un édifice qu’on baptise arbitrairement « monument de la renaissance africaine », tout chef d’Etat autoritaire, inconscient et irrespectueux des institutions continentales et de celles de son propre pays, peut le faire. Mais cela ne fera jamais, pour autant de lui, ni un promoteur légitime et authentique de la cause africaine, ni un panafricaniste crédible.
Car la Renaissance Africaine est un engagement désintéressé, qui s’inscrit fondamentalement dans l’adhésion aux principes intangibles purement africains que sont : la Mâat : vérité et justice ; Hotep : vertu sociale qui traduit la paix pour Dieu, les vivants et les morts; Sedjem : la vertu de l’écoute basée sur les cœurs. Ces valeurs ancestrales constituent la force conceptuelle idéologique que tout africain doit absolument connaître et s’approprier. Car comme le dit Obenga « il n’y aura pas d’institutions politiques, économiques, financières, culturelles, sans idéologie ».
L’évangélisation, l’islamisation, le colonialisme et l’école française ayant incontestablement introduit en nous l’aliénation sous toutes ses formes, il nous faut impérativement par un profond examen de soi: RE-NAÎTRE en dépassant notre posture de peuple perméable et docile ; en surmontant nos réactions de peuple dominé et aliéné. La prise de conscience et la valorisation de notre glorieux passé est le socle mental dont chaque fils et fille de KEMET (l’Afrique ) a besoin, pour participer à la création, d’un puissant Etat Fédéral d’Afrique Noire, dont voici sommairement l’agenda :
-2005-2015 : sensibilisation des populations, organisation d’un Forum Mondial sur l’Afrique.
-2015-2030 : financement et réalisation des grands projets (techniques, technologiques, politiques, socio-humains) ;
-2030-2050: penser un Etat Fédéral d’Afrique : qui gérera et discutera des questions de géopolitique, de géostratégie ; la question d’un programme nucléaire, africain, entre autres.
-Puis vers, 2100 : l’Exploration, spatiale africaine. Cette perspective n’est pas une utopie mais est incontestablement à notre portée.
Mais pour revenir à la construction de ce monument, quelles alternatives s’offrent désormais à nous ? Pour des raisons religieuses et autres, détruire un édifice qui aura coûté des milliards et dont le sous-sol en béton est figé dans des roches volcaniques serait coûteux et irresponsable. De même, vu les cours du bronze sur les marchés mondiaux, jeter les statues ne serait ni intelligent, ni financièrement rentable; dés lors, nous n’avons d’autres choix que de réfléchir. Propositions de solutions :
-Au départ du pouvoir actuel, nous nationaliserons immédiatement toute l’infrastructure du monument, ainsi que tous les éléments financiers et juridiques y afférents.
- Ensuite, afin d’atténuer les souffrances et la frustration du peuple, et annihiler toute tentative future de survivre à la postérité, nous débaptiserons le site.
- Après cela, pour tirer des leçons de l’histoire et d’éviter aux générations futures pareille forfaiture, nous déboulonnerons en toute sérénité, sans haine, les statues. Cet acte symbolique, consacrerait la fin de la période la plus chaotique de l’histoire de notre pays.
- Après, seulement, étant entendu que la renaissance africaine concerne le monde noir et sa diaspora, nous ferons officiellement et publiquement un don à L’Union Africaine, de l’ensemble de l’infrastructure.
- Il reviendra alors à celle-ci (l’U.A) de redéfinir le projet initial. Mais on verrait bien une commission de cette institution qui soumettra à une équipe composée des artistes noirs les plus talentueux du continent et de la diaspora, un cahier des charges où non seulement la culture, l’histoire et l’avenir de l’Afrique seront mis en exergue, mais également où les codes et conventions de l’esthétique négro-africaine seront rigoureusement exigés. Cette équipe d’artistes pluridisciplinaires élaborera et finalisera un projet artistique consensuel -qui ne représentant pas forcément des figures humaines- transmettra l’esprit de la renaissance africaine. Cette solution aura l’avantage, tout en ménageant les susceptibilités et les croyances religieuses locales, de susciter l’adhésion des masses noires.
En définitive, les religions d’emprunts, le politique et l’économique n’expliquent que partiellement les faits africains. En dernière analyse, l’examen et la prise en compte de l’univers mental nègre, peuvent éclairer significativement le phénomène social africain. A ce titre, ils ne sont pas à négliger, car les faits humains ne sont pas des choses.
L’action sans le concept est une nébuleuse, ce projet farfelu le prouve. La renaissance africaine ne pouvant être saisi qu’à travers un ensemble d’institutions, de pratiques collectives, de données historiques, culturelles et politiques, partagées. Ces usurpateurs pressés en manque de thèmes, de visions et de convictions ont considérablement brouillé le message de la renaissance africaine. L’ont-ils seulement jamais émis? Leur sabotage sera vain, car ils n’ont fait que retarder, l’indispensable éveil et restauration de la conscience historique de nos frères et sœurs en manque de solides et authentiques repères idéologiques. Mais l’espoir est permis, car l’engagement de nos frères et sœurs des Caraïbes, d’Afrique, des Amériques et d’Europe, est partout manifeste. Rien qu’en France, dans des instituts africains compétents et organisés, des universitaires noirs émérites, enseignent à des jeunes noirs : l’histoire, l’écriture hiéroglyphique, la linguistique, les mathématiques, la physique, égyptiennes… Cette jeunesse disciplinée et appliquée se prépare déjà aux enjeux continentaux futurs. Aussi, dans certains forums internet africains en particulier -au Sénégal ça commence- on voit désormais dans les interventions: « Hotep », « kamit » « kemet » « Mâat » principes fondamentaux nègres. Ce processus irréversible est donc enclenché. Cet épisode pitoyable des statues, n’est qu’un coup d’épée dans l’eau d’usurpateurs en manque de visions, de thèmes et de convictions, car inéluctablement nous changerons l’histoire. Le peuple sénégalais -comme jadis nos valeureux ancêtres de l’ancienne Egypte confrontés à des épreuves - saura mobiliser ses ressources pour surmonter cet écueil et prendre définitivement son destin en main. Car nous ne doutons pas de son courage, de son sens du sacrifice et de son intelligence à comprendre les enjeux continentaux et d’y participer pleinement pour le bénéfice de tout le peuple noir.
Pape Pûr Meera Diop dit AK – 47
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