A coups de communiqués grinçants et de propos menaçants, Farba Senghor menait, ces derniers mois, une guerre ouverte contre la presse insoumise. Après les leçons de journalisme et les appels au boycott des journaux, il a, le 14 août, publiquement revendiqué « le droit de riposter », de manière appropriée, à ce qu’il considère comme la violence d’une certaine presse. Quarante-huit heures plus tard, les sièges de deux journaux étaient mystérieusement attaqués par des individus qui ont arrosé les occupants de gaz lacrymogène et détruit leur outil de travail. C’est pour le moins troublant !
A force de se mêler de tout en se réclamant urbi et orbi du soutien du président et de sa famille, Farba Senghor était parvenu à se faire craindre de beaucoup, y compris de ses collègues ministres, agacés par ce qu’ils appellent, en privé, les « farberies ».
Il faut croire que le chef de l’Etat lui-même a fini par trouver trop encombrant cet homme qui se présente comme « un pur produit de l’Ecole Abdoulaye Wade », diplômé, accessoirement, de l’Ecole nationale d’administration de Rome. Les tracasseries à l’égard des confrères sénégalais ne prennent pas pour autant fin avec le limogeage de Farba Senghor, puisque, dès le lendemain, l’un des leurs était interpellé et placé en garde à vue pour avoir révélé une affaire de blanchiment d’argent en Côte d’Ivoire, impliquant, dit-on, le président Wade et son fils, Karim.
Cette propension à priver de liberté les journalistes qui publient des informations qui ne plaisent pas jette le trouble dans les esprits. Car l’on ne sait plus si c’est l’information qui est erronée, ou si c’est le fait de la révéler, qui constitue le délit. On n’est pas si loin de ce qui se passe au Niger, avec notre confrère Moussa Kaka. Au regard de ce qu’il subit, on en vient à se demander si le fait, pour le journaliste, de donner la parole aux rebelles n’est pas perçu par certains comme un crime bien plus abominable que la rébellion elle-même.
C’est là une conception bien particulière du rôle du journaliste, qui n’est, hélas, ni nouvelle ni propre aux seuls Niger et Sénégal ! Il y a une vingtaine d’années, Plantu, dont les coups de crayon sont de véritables éditoriaux à la Une du quotidien Le Monde, exprimait ainsi cette anormalité : à un poste-frontière, trois gaillards présentent leurs passeports. « Profession ? », leur demande le fonctionnaire de police. « Trafiquant de drogue ! », « faux-monnayeur ! », « trafiquant d’armes ! », répondent-ils, l’un après l’autre. Et le policier, nullement impressionné, de rétorquer : « Tout ça, moi, je veux bien. Mais qu’est-ce qui me prouve que vous n’êtes pas journalistes ? ».
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