« Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez donc l’ignorance ! » Abraham Lincoln
« Les élèves d’aujourd’hui sont trop nuls. Ils n’ont plus aucun niveau ! » On ne compte plus les parentsd’élèves qui, après une conjugaison fantaisiste ou une rédaction qui ferait honte à un tiraillailleur, commise par leur gosse, ressassent ce qui est devenu l’un des lieux communs les plus éculés aujourd’hui dans les chaumières. Pourtant, il serait trop facile de jeterla pierre aux pauvres potaches. Si nos chères têtes crépues ne sont plus des lumières, la faute en incombe avant tout à un système éducatif en faillite et dont l’effondrement semble irréversible. Au train où vontles choses, le déraillement est assuré et ce n’est plus qu’une question de temps pour assister malheureusement à la mort programmée de l’école publique sénégalaise qui, avec notre arméerépublicaine, fut longtemps une des deux sources de fierté de ce pays.
Le désastre perceptible depuis longtemps , s’est accéléré avec l’adoption par le régime socialiste du fameux Programme décennal de l’éducation et la formation (Pdef), parrainé par la Banque mondiale et poursuivi sans «droit d’inventaire» par le gouvernement de l’Alternance. Un gouvernement au sein duquel a siégé une gauche paresseuse, peureuse et frileuse qui a capitulé en rase campagne devant des libéraux cyniques en abandonnant à son sort sa famille naturelle et en faisant le deuil d’une éducation « populaire et démocratique.»
Entre autres calamités, ce programme dans lequel s’est beaucoup impliqué un ancien ministre de la LD/MPT, marxiste repenti, a favorisé la création du Corps des volontaires et des vacataires de l’éducation nationale. A ce stade de notre propos, il faut tout de suite lever une équivoque : il n’est pas question d’accabler ici de jeunes enseignants qui se donnent le plus souvent un mal fou, avec un salaire au lance-pierre, pour apprendre aux enfants l’art de "lier le bois au bois". Mais il faut reconnaître que le plus souvent, ces nouveaux venus dans l’enseignement, malgré leur bonne volonté, sont expédiés dans les salles de cours après une formation en pédagogie plus que hasardeuse dans le meilleur des cas, après une sélection laxiste. Ainsi, un élève qui à l’examen au BFEM est passé péniblement au second tour avec une moyenne de 8 sur 20 peut se retrouver bombardé volontaire de l’éducation nationale à Makacoulibantang ou Thiaroye alors qu’il peine à faire une dissertation tout juste passable. Son collègue vacataire lui, va se retrouver professeur de français dans un Collège de Matam ou Sédhiou parce qu’il a « cartouché » en Première année…. de Sociologie, suite à une sélection sur dossier des plus nébuleuses. On pourrait multiplier les exemples à l’envi et ils en existent d’autres beaucoup plus caricaturaux. Il arrive maintenant dans certains établissements que ces jeunes issus des « corps émergents » constituent 80% du personnel enseignant. On imagine aisément les dégâts. Jetés ainsi en pâture, notre volontaire et notre vacataire ne peuvent compter que sur l’aide bénévole des « anciens » au sein des cellules pédagogiques pas toujours fonctionnelles. De ce fait, si les élèves sont nuls, c’est avant tout que leurs enseignants eux-mêmes, censés « apprendre à apprendre », bénéficient d’une formation au rabais. Résultat des courses : partout l’illettrisme progresse. Pour ne prendre qu’un exemple, il suffit d’écouter la radio ou de lire certains journalistes, produits emblématiques de cette fabrique de cancres qu’est devenue l’école sénégalaise, pour se convaincre de la profondeur du mal.
A longueur de colonnes, partout sur les ondes, on mutile à qui mieux-mieux Molière, on estropie sans coup férir Voltaire et on massacre allègrement la syntaxe. A la télévision, c’est le triomphe de la vulgarité incarnée par Aida Patra et le règne de la bouffonnerie personnifiée par un histrion comme « Sa nex » . Voilà les brillants sujets qu’on propose comme modèles à nos enfants dans ce qui s’apparente à une inquiétante entreprise de décervelage. Un des signes les plus évidents du déclin de notre système éducatif est le soupçon qui s’est installé dans les universités françaises qui deviennent méfiantes sur la qualité de nos diplômes et instituent de plus en plus d’humiliants test de niveau pour nos étudiants alors que l’école française, comble de l’ironie, est devenue elle-même une « fabrique de crétins » pour reprendre le titre du livre à succès de Jean-Paul Breghelli. Et ce n’est assurément pas la fermeture de la prestigieuse Ecole normale supérieure de Dakar transformée en une obscure Faculté des Sciences et des Technologies de l’Education et de la Formation (Fastef) qui va arrêter cette course folle de l’école vers l’abîme.
Dès lors, est-il étonnant que l’image de l’instituteur ou du professeur soit dévalorisée au sein de l’opinion publique qui les décrit injustement sous les traits de ringards, braillards et radins, toujours à la recherche de cours dans le privé, uniquement motivés par le gain ? Depuis qu’un ancien ministre de l’Education nationale, lui-même appartenant pourtant à la « maison », a imprudemment relayé la fable selon laquelle ils faisaient partie des fonctionnaires les mieux payés dans la fonction publique, cette réputation de « râleurs pros » forgée par le « Cafard libéré » leur colle à la peau comme une tunique de Nessus. Ceci, alors que l’immense majorité des enseignants se tue à la tâche avec des moyens dérisoires et ne demande qu’à être mise dans des conditions minimales pour délivrer un enseignement de qualité.
Devant cette hécatombe qui menace un des systèmes éducatifs autrefois les plus performants de l’Afrique de l’Ouest, au point que Dakar et Cotonou ont longtemps passé pour les quartiers latins de l’Aof, chacun fait la politique de l’autruche. Et il ne faut pas s’attendre à ce que le sursaut vienne des messieurs qui nous gouvernent. Qui d’entre eux a son rejeton dans un établissement public ? En bon « héritiers », pour reprendre Bourdieu, ces derniers sont mis à l’abri à l’étranger ou à défaut, inscrits dans une école privé huppée que le gamin de Fongolimbi n’aura jamais la chance de fréquenter faute de revenus conséquents de ses parents. Une éducation à deux vitesses se met donc patiemment en place. La méritocratie et l’ascenseur social qui avaient jusque-là plus ou moins fonctionné aussi bien pour le fils de cultivateur que celui d’un ministre se trouvent alors grippés avec ce sabotage organisé de l’école sénégalaise. Une école qui a produit Senghor, Cheikh Anta Diop et Cheikh Hamidou Kane ne mérite pas cet excès d’indignité.
Barka BA
Ancien élève de l’Ens , chercheur en sciences
politiques
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