Depuis quelques temps, l’actualité est dominée par ce vent d’émigration clandestine que certains ont dénommé « Barça » ou « Barssakh ». Il serait bon de reconnaître avec beaucoup d’objectivité que l’ampleur du phénomène nous a tous surpris. Tout le monde savait que certains jeunes sont des militants convaincus de l’émigration, mais pas à ce prix.
Ce sujet est très sérieux pour être abordé de façon très crue en terme de « politique de jeunesse », « échec de l’alternance ». Nous n’avons généralement pas le sens de la mesure. Essayons plutôt d’aborder la question en toute responsabilité, en toute citoyenneté, avec plus de sérénité et moins de passion. A y voir de prés, les responsabilités sont partagées.
Dites moi quel Etat à eu à éduquer et à donner des emplois à tous ses chômeurs en 06 ans ? L’expression de cette jeunesse, n’est que le fruit de tout ce que l’on a bâti depuis et bien avant notre indépendance. De ce que nous vivons aujourd’hui, rien n’est nouveau. Il y’a toujours eu des émigrations dans l’histoire des peuples. Le monde est ainsi fait et il continuera d’en être ainsi. L’émigration n’est pas le fait de ces quelques jeunes sénégalais, c’est un fait qui affecte tous les peuples sous développés de ce monde. Ceux qui sont dans les pays continentaux traversent depuis longtemps les déserts au risque de leur vie. Combien de sénégalais ont emprunté ces chemins de l’émigration. Combien ont péri dans ce désert du Sahara ? Combien sont morts entre la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Congo. Par ces détours, l’objectif était le même : atterrir en Europe.
Dans les années 1990, est apparu le phénomène d’achat de visas à coup de millions de FCFA. Nous savons que derrière ce trafic, il y avait eu de grosses personnalités de l’Etat derrière des sociétés fictives gérées par leurs proches, des marabouts, des commerçants…Depuis l’avènement de l’alternance, beaucoup de ces réseaux clandestins de l’émigration ont été démantelés et certains de ces faussaires mis aux arrêts.
L’habitude étant une seconde nature, chassée, elle revient au galop, parfois sous une autre forme. Ces faussaires se sont aujourd’hui reconverti et attirent les jeunes innocents et naïfs vers cette émigration suicidaire à travers la mer. Là où des millions étaient demandés, des centaines de milliers de FCA feraient l’affaire pour la même destination. Quelle horreur ! Quelle arnaque ! Quelle illusion !
L’Etat a la responsabilité de veiller au mieux être de la population et sur sa sécurité. De par les politiques mises en place, l’Etat doit promouvoir l’accessibilité à l’emploi aux jeunes, aux femmes et aux chômeurs en général. A ce titre il doit traquer et mettre fin aux agissements de ces faussaires.
La création d’emplois est un des principaux leviers du développement. C’est pourquoi le Sénégal s’est doté d’une Politique Nationale de l’Emploi (PNE), basée sur un partenariat tripartite Etat - Secteur privé - Collectivités locales. Les objectifs étant de lutter efficacement contre le chômage, le sous-emploi, la pauvreté et l’exclusion.
De par nos recherches nous avons pu collecter certaines données de plusieurs sources, aussi bien nationales, sous régionales qu’internationales, pour mieux étayer l’engagement de l’Etat et du secteur privé dans ce domaine. L’apport des collectivités locales, n’est pas maîtrisé, malheureusement.
En ce qui concerne la promotion de l’emploi, depuis avril 2000, il a été mis sur pied "une Convention nationale Etat-employeurs privés pour la promotion de l’emploi des jeunes". Cette Convention, jusqu’au 31 juillet 2004, a accueilli 9105 demandeurs d’emploi. Parmi eux, 762 stagiaires sont finalement recrutés au cours ou après le stage, soit par l’entreprise encadrant le stage, soit par une autre entreprise. Les stagiaires et les apprentis ont bénéficié d’une allocation mensuelle. Le programme « Contrat de Solidarité » assimilé à un programme de stage pédagogique, en tant que dispositif permettant à des jeunes diplômés de trouver une occupation.
Un programme « Contrat d’essaimage » qui permet aux travailleurs qualifiés aspirant à un emploi indépendant de créer ou de reprendre une entreprise par le biais d’une aide financière de l’Etat et/ou d’une entreprise, existe à côté du programme de « Financement des ressources humaines des PME » qui a pour but de valoriser le potentiel de croissance ou de développement des micros, petites et moyennes entreprises en les aidant, à coûts partagés, à avoir accès aux ressources humaines stratégiques nécessaires.
La situation de l’emploi au niveau global ne permet pas de cerner toutes les réalités observées d’où la nécessité de l’aborder au niveau des principaux secteurs.
Dans le secteur moderne des entreprises, les macro secteurs que sont le commerce, l’industrie, les BTP et les services, dans le secteur des institutions financières, une réelle progression est notée depuis 2000 (1,2, : disponibles sur le net).
Au niveau de la fonction publique, conformément à l’objectif global qu’il s’est fixé dans le cadre de la Politique Nationale de l’Emploi, l’Etat s’est engagé à recruter 15000 agents. Ce premier recrutement massif effectué en 2004 a été poursuivi en 2005 et aura lieu en 2006. Ce qui est effectif, réel et visible.
La hausse observée de l’effectif des fonctionnaires au niveau de la fonction publique devrait se poursuivre, puisque la bonne santé de notre économie le permet (3).
Ce qu’il faut relever et qui est réel, c’est l’insuffisance de communication entre les sans emplois et les structures en charge des questions de l’emploi. Dans ce domaine l’Etat à encore beaucoup à faire.
La question de l’emploi pour les jeunes du milieu rural et des quartiers périurbains est un réel problème. En feuilletant les projets financés par des structures telles que le FNPJ, ce qui vous révolte c’est le nombre incongru de groupements de jeunes de ces localités qui ont eu à bénéficier de ces financements. Discrimination ? Manque d’information ? Management de ces structures ? Réelles lenteurs dans le processus.
Par ailleurs, l’évolution croissante de la population active et du nombre de chômeurs indique qu’il y a encore beaucoup d’efforts à fournir. Mais, il me semble aberrent de parler d’échec d’une politique, tant qu’elle n’a pas encore été évaluée. Encore que ce phénomène auquel nous assistons ne peut en aucune manière constituer un indicateur fiable pour un analyste sérieux.
En posant le débat sur cette nouvelle forme d’émigration, certains journalistes et reporters d’une certaine presse deviennent subitement des spécialistes es la question et font des analyses qui souvent nous mènent vers d’autres terrains qui ne sont pas les leurs. Comme qui dirait « profitons en pour déstabiliser le pays, en dressant les jeunes contre le pouvoir en place ». Nous savons tous qu’aux Etats-Unis, il existe une frange très importante de la population qui est sans emploi, mais cela n’a jamais empêchés aux décideurs de ce pays, de mettre des sommes extraordinaires dans les guerres en Irak, en Afghanistan et dans l’armement. C’est aussi cela la République ! Les raisons de l’Etat peuvent être différentes de celles du peuple.
J’ai beaucoup de respect pour cette profession qui constitue, à mes yeux un gage d’équilibre entre les différentes composantes de l’Etat, de la nation et un moyen de régulation de la vie politique. Autant, la justice a besoin de moyens pour mener à bien sa mission, autant la presse a besoin de moyens pour travailler en toute quiétude et en toute indépendance. Beaucoup de mes promotionnaires au lycée occupent aujourd’hui d’importantes responsabilités dans des groupes de presse de ce pays et je sais leur attachement aux principes de la république.
J’entend souvent des journalistes dire : « les faits sont sacrés, le commentaire libre ». Est-ce que cette liberté de la presse doit se construire aux dépends de notre liberté d’analyser et de commenter les faits, suivant un autre angle, loin des studios, ou des rédactions, en tant que simple citoyen ?
Nous vivons dans un pays, ou l’actualité est dominée du matin au soir par des faits politiques, ou si vous préférez, par les échanges entre l’opposition et le pouvoir. Et à dessein, malheureusement le droit des populations à l’information utile et constructive est confisqué par une presse qui ne joue plus son rôle. Le sensationnel est au devant. La rumeur est relayée. Les faits sont commentés et le jugement rendu. Comme au tribunal : la presse juge qui est coupable de qui ne l’est pas ! La presse manipule l’information, manipule notre opinion. Tel un grand place.
La bonne information c’est aussi organiser le débat.
Un pays ne s’est jamais construit en 06 ans. Et les faits divers n’ont jamais développé ni instruit un peuple. Néanmoins, il y a beaucoup d’opportunités pour la jeunesse.
La question est sérieuse pour être traitée à la légère. Heureusement que certains journalistes l’ont compris, par ce qu’ils pèsent l’importance du pouvoir qu’ils ont au bout de leur stylo, au bout de leur micro. Eux au moins ils savent ce qui s’est passé au Rwanda. Ils sont loin des milles collines.
En tant que jeune, je fais partie de ceux qui croient en nos possibilités, en notre volonté de réussir et de développer ce pays. Ceux qui veulent aussi émigrer en ont le droit et nul ne doit les en empêcher tant qu’ils ne mettent pas en jeu leur vie et celle d’autres compatriotes. Les problèmes d’emploi ne doivent pas être un motif de suicide collectif organisé par des gens imbus du gain facile que j’appelle pirates de nos côtes guinéennes, gambiennes, sénégalaises et mauritaniennes..
Depuis le début de ce vent de folie, personne n’a encore posé très sérieusement, le problème (à dessein ?). L’on s’est surtout focalisé sur la variable emploi, qui du reste n’est pas fondé.
Je refuse que l’on assimile la jeunesse entreprenante, pleine de volonté et d’enthousiasme que l’on retrouve dans l’administration, dans les banques, dans les salles de classe, dans les centres commerciaux, dans les fermes, dans les quais de pêches, dans le transport, dans les marchés hebdomadaires, dans les foirails, dans la police, dans la gendarmerie, aux postes frontaliers de la douane… à ce lot d’individus victime de son innocence et de sa naïveté.
Je demanderais aux psychologues, sociologues et autres professionnels du genre de nous aider à découvrir le statut psychosocial de ces jeunes. Quel est leur niveau d’instruction ? A quel âge ont-ils quitté l’école ? Quelle est leur mentalité ? Quels sont leurs rapports avec leurs parents ? Dans quel environnement évoluent-ils ? Quels sont leurs rapports avec leurs concitoyens ? S’occupent- ils de la vie de leur quartier, …Bref, leur personnalité ? Que sont devenus leurs camarades de quartiers qui avaient continué leurs études, ou étaient à l’apprentissage d’un métier lorsque eux quittaient l’école ? Nous sommes des enfants de banlieue et connaissons cette rivalité entre fils de coépouse, de voisins….Et il en est de même dans les villages. Car, moi ce qui me révolte, c’est qu’on veuille les présenter tous comme des gens réfléchis qui savent ce qu’ils font. Cela me rappelle le début des agressions au milieu des années 90. Au début, tout le monde pointait un doigt accusateur vers les étrangers. Alors que c’était le fait de jeunes sénégalais obnubilés par le gain facile. On s’est refusé à poser le débat et bizarrement, les mêmes causes sont encore entrain de nous être resservies : « nous n’avons pas d’emploi », « nous voulons donner à nos mamans du confort matériel », « notre espoir a été déçu »…
Ces candidats à l’émigration ont tous donné à ces pirates des sommes avoisinant 500.000 FCFA. Aujourd’hui, avec les facilités offertes par les structures de crédit, on peut facilement être financé à hauteur de 2 millions de FCFA avec des modalités de remboursement intéressantes.
A messieurs les journalistes et autres analystes du moment, faites le tour des ateliers , cantines de restauration, buvettes, garages de taxi, petites entreprises d’activités génératrices de revenus, ateliers de coiffure, de couture, télécentre, cybercafés, commerçants voyageant vers Doubaï, le Maroc…Vous vous rendrez compte du nombre impressionnant de ces jeunes qui sont partis de rien, de ceux qui ont bénéficié de l’appui de ces structures pour démarrer, de ceux qui sont appuyés par ces structures pour développer leurs activités. C’est aussi cela une information vraie et constructive à donner à ces jeunes. Tout ceci pour dire qu’avec un peu de volonté, d’imagination, d’organisation et de sérieux, les jeunes peuvent gagner dignement leur vie.
Aux mères de ces enfants qui vendent leurs bijoux et autres biens matériels pour lancer leurs enfants vers ce voyage dont l’issue est incertaine, elles sont tout simplement obnubilées par le gain facile quitte à sacrifier leur enfant. Tel un baiser fatal.
Nous sommes tous responsables de la situation : les parents ont démissionné dans leur mission d’éducation de leurs enfants, l’Etat a accusé un grand retard par rapport aux mutations profondes de ce monde et le fossé est encore béant, la presse oublie parfois son rôle fondamental d’informer juste et vrai, la société civile est emballée par les querelles des hommes politiques, les jeunes comme toutes les jeunesses du monde sont désarmés, sous informés et victimes de toutes les manipulations et escroqueries possibles.
Avec la jeunesse de mon pays, je voudrais partager cette vision que j’ai toujours eue de la vie: « A l’école je travaillerais pour avoir le maximum possible de diplômes, à l’atelier, aux champs, à l’enclos, dans la mer j’apprendrais à être maître dans le métier choisi, à mon environnement je m’ouvrirais pour être au courant de ses mouvements et à ce prix seulement je serais toujours prêt à mobiliser tous mes savoirs et à me battre en toute circonstance et devant toute situation ».
Sources : disponibles sur le net
1- DPS/Situation économique et sociale du Sénégal- Edition 2004.
2-Rapport annuel de la commission bancaire de la BCEAO (2000, 2001, 2002).
3 - Rapport UEMOA 2005.
Dr Talla Diop, Pharmacien
CES Contrôle Qualité des Médicaments et des Aliments
0 Commentaires
Participer à la Discussion