
Après avoir qualifié les spécialistes sénégalais – en désaccord avec de lui – de « constitutionnalistes de bazar », le Président Abdoulaye Wade a mis au travail, des constitutionnalistes… de palace. Là-bas, dans une salle de l’hôtel Méridien. Une initiative du chef de l’Etat et de ses Forces alliées pour 2012 (plus féales qu’alliées), qui a conduit le Sénégal, au carrefour du cocasse et du loufoque.
Curieux Sénégal, en effet, où l’on importe, 60 ans après l’indépendance, une kyrielle d’experts étrangers (avec un bon lot de Français) pour interpréter une Constitution nationale entièrement rédigée par des nationaux, et votée – que dis-je ? – plébiscitée en janvier 2001, par le peuple souverain.
Plus kafkaïen encore, le Professeur Jean-Yves de Cara a eu l’outrecuidance de désosser, au plan du lexique, l’article transitoire 104, devant un auditoire constitué majoritairement de concitoyens du Professeur agrégé et académicien Léopold Sédar Senghor. Une brève leçon de grammaire donnée au moment (mauvais) où l’Elysée rend hommage, dans un communiqué truffé de fautes d’orthographe (selon une dépêche de l’AFP) à la défunte Danielle Mitterrand.
Est-il nécessaire de rappeler, à ces experts sexagénaires, que le Général De Gaulle avait ordonné, en 1958, au futur Premier ministre Michel Debré, de coopter Senghor (le non juriste) dans le comité de rédaction de la Constitution de la Cinquième République ? Devant le silence et le regard interrogateurs du Président du comité de rédaction, Charles de Gaulle expliqua, en substance, que l’agrégé sénégalais se chargera du volet grammatical du travail des juristes. On peut alors croire que, le 21 novembre dernier, vers midi, le premier Président du Sénégal a bougé dans sa tombe de Bel-Air, eu égard aux échos désobligeants du séminaire.
Que diantre, pourquoi le ciel a-t-il ouvert ses vannes pour doucher si abondamment de honte, le Sénégal ? La faute incombe évidemment à cette République des juristes (Abdoulaye Wade, Souleymane Ndéné Ndiaye, Madické Niang et Ousmane Ngom) qui n’a pas été capable de s’auto-défendre. Au point d’organiser un conclave de mercenaires du Droit – pardon de professeurs de Droit – sur lequel a plané l’ombre du contrat juteux. Bizarre et blessant.
Question : est-ce que l’élite politique et la crème universitaire du Sénégal valent-elles moins, en termes de clairvoyance et en patriotisme, que leurs homologues du Burkina qui ont résolu – sans assistance étrangère ni apocalypse national – une équation identique, avant la dernière présidentielle au « Pays des hommes intègres », et farouchement nationalistes ?
Mais le plus renversant, c’est que Babacar Guèye et Pape Demba Sy, hier mobilisés comme de très bons rédacteurs, sont, aujourd’hui catalogués voire calomniés comme de très mauvais interprètes de la même Constitution. C’est à n’y rien comprendre. Sauf que dans le camp présidentiel, la logique fout… le camp. Cette logique, en perpétuelle culbute, qui veut que le panafricaniste Wade – dans une démarche bruyamment souverainiste – ferme les bases militaires de la France, mais ouvre les portes de la vie institutionnelle du Sénégal, à l’expertise universitaire de l’ex-Métropole.
En tout état de cause, ce séminaire international pue davantage la décadence que le Droit. Car il consacre avec la bénédiction du gouvernement (c’est le ministre de la Justice qui a invité par lettre l’ex-recteur Seydou Madani Sy) une fâcheuse catégorisation des agrégations.
D’un côté, une agrégation au rabais dont sont titulaires « les constitutionnalistes de bazar » (Ismaila Madior Fall, Ahmet Ndiaye et Mody Gadiaga) et de l’autre, une agrégation (au-dessus de tout soupçon) dont le Professeur Charles Zorgbibe et son collègue Michel de Guiilenchmidt ont l’étrenne.
Dans ce tumulte autour de la Constitution, les experts et les politiques oublient ou feignent d’oublier la leçon limpide du sociologue et philosophe Jean Baudrillard : « Le Droit vient après la bataille ». Autrement dit, il est le résultat d’un rapport de forces. Ce que le Roi Hassan II – monarque absolu mais génie politique – a compris et bien résumé, le 7 mai 1996, devant l’Assemblée nationale française : « En matière de constitutions, il n’y a pas de procédés industriels permettant de livrer des usines constitutionnelles, clé en main. Dans ce domaine, la copie n’est jamais féconde ». Magistrale évidence de… sa Majesté.
Quelle pénible répétition ou grimace de l’Histoire ! Le séminaire rappelle inévitablement, le système colonial qui avait forgé deux catégories d’administrateurs civils. La première était moulée par l’Ecole Nationale d’Administration (Ena) de Paris. Et avait pour vocation d’administrer les Alpes Maritimes et le Languedoc-Roussillon. La seconde sortait de l’Ecole Nationale de la France d’Outremer (Enfom) toujours à Paris, avec une feuille de route sans équivoque : commander – et non administrer – le pays lobi dans le cercle de Bobo-Dioulasso ou le quadrilatère mouride qui va de Lambaye à Touba, dans le cercle de Diourbel.
Comme quoi, si le vent l’indépendance n’avait pas soufflé fort sur l’Empire colonial, en 1960, Daniel Cabou et Abdou Diouf auraient pu commander les cercles de Bouaké et de Sikasso ; mais n’auraient jamais été Préfets de Nice ou de Strasbourg. Tel est, entre autres effets, le désagréable souvenir que réveille le séminaire du 21 novembre.
Toutefois, les leçons de ce passé choquant n’ont guère empêché les aberrations surprenantes du présent. Sinon comment comprendre l’organisation, par le Conseil constitutionnel, d’un séminaire dit « interne » durant les journées des 6 et 7 septembre dernier ? Difficilement. Le Conseil constitutionnel créé par la Loi organique du 30 mai 1992 (presque 20 ans d’existence) a-t-il sérieusement besoin de panélistes extérieurs pour l’épauler dans la compréhension de sa mission ? Sûrement pas ; puisque les cinq sages de cet organe juridictionnel sont des magistrats chevronnés. Et non des stagiaires. Donc anguille sous roche. Qui côtoie certainement sous la même roche, la nouvelle anguille que le séminaire de Wade et des Fal 2012, vient d’y déposer.
En effet, la prestation de cette escouade multinationale d’experts, légitime d’avance l’enfer policier qu’on envisage de faire tomber sur la tête des futurs manifestants qui voudront empêcher le régime de valider en rond. Et Wade qui n’est plus enclin à faire l’Histoire (mais des histoires) a d’ores et déjà meublé ses pensées et arrières pensées. En clair, ce séminaire est le premier jalon de la chronique d’une victoire annoncée et… enceinte d’un mode de dévolution monarchique ou libérale du pouvoir, durant ce long mandat (7 ans) dont il n’a besoin que de la moitié de la moitié.
Après la victoire de 2007, le Président était secrètement dans une logique de demi-mandat. Le sommet de l’OCI et les locales de 2009 étaient, à la fois, les perspectives structurantes et les points d’ancrage de son schéma de passage du relais. Mais le demi-succès du premier et le fiasco des dernières, ont entrainé les ultimes et radicaux réajustements qui ont conduit jusqu’à ce fameux séminaire.
Mais attention aux querelles phosphorescentes et byzantines autour des articles 27 et 104 qui nous fixent dans le cosmos douillet des théories juridiques ! Pendant ce temps, le MFDC qui est au sol (par opposition au cosmos) arrose la Casamance de sang. Et nous rappelle qu’un symposium sur la Défense nationale est plus urgent qu’un séminaire sur le Droit, la Constitution et les cabales politiques.
Ps : Certes Idrissa Seck a consulté, avant Wade, le constitutionnaliste français Guy Carcassonne ; mais Idy n’est ni chef de l’Etat ni gardien de la Constitution. Laquelle est bien au-dessus de la mairie provinciale de Thiès.
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