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[ Contribution ] Et la République dans tout ça ?

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[ Contribution ] Et la République dans tout ça ?

Invité à l’émission « Remue-ménage » de la Rfm le dimanche 7 février 2010 et interrogé sur les gaffes du ministre Bécaye Diop, j’ai eu à répondre que sa responsabilité est limitée, voire nulle. Le seul et vrai responsable, c’est incontestablement le président de la République, qui s’est permis de nommer ministre de la République ce compatriote, qui n’a manifestement pas le profil de l’emploi. J’ai expliqué comment Bécaye Diop a été nommé ministre par défaut dans le premier gouvernement dit de l’alternance. Ce monsieur trouverait difficilement un poste de chef de cabinet dans un gouvernement sérieux mis en place par un président de la République digne de ce nom. Malgré ses limites objectives, Bécaye est aujourd’hui à la tête du Ministère de l’Intérieur, un département sensible, stratégique qui compte au moins treize (13) grosses directions, pilotées par des administrateurs civils de classe exceptionnelle, des colonels des Forces de sécurité, des commissaires divisionnaires qui ont gravi tous les échelons. Cette camisole qu’on lui a mise est trop ample pour son corps malingre. Il est vrai que c’est d’hommes et de femmes de l’acabit de Bécaye que Me Wade a besoin : sans relief, sans épaisseur, sans ambition politique et dont l’idée ne leur traversera jamais l’esprit de lorgner le fauteuil présidentiel.

Bécaye Diop n’est donc pas à sa place et n’appréhende pas à leur juste valeur les importants enjeux qui caractérisent le ministère à la tête duquel il a été contre toute attente propulsé, de surcroît avec le grade de Ministre d’Etat, comme lorsqu’il était à la tête des Forces Armées d’ailleurs. Personne ne devrait donc être surpris aujourd’hui de sa bourde de Touba, comme des nombreuses autres. En tous les cas, la dernière a irrité et indigné plus d’un, et soulevé une va gue de vives réactions. C’est le « Le Réseau des jeunes cadres tidianes » qui s’est le premier et le plus illustré dans une déclaration vigoureuse dont voici un extrait : « Toute la communauté tidiane confondue se sent indignée par les déclarations inopportunes et idiotes du Ministre de l’intérieur lors de la cérémonie marquant le Magal de Touba. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que de telles provocations sont distillées par les plus hautes autorités du pays avec en tête Abdoulaye Wade chef de l’Etat mais qui de plus en plus se sent aux services exclusifs de sa communauté mouride. » Au fur et à mesure qu’on lit la déclaration, le ton monte et se fait plus menaçant. Jugeons-en : « Jusqu’à présent aucun justificatif valable n’a été servi aux sénégalais pour expliciter le choix hautement partisan d’entamer l’investissement dizaines de milliards dans les infrastructures par la cité de Touba. Déjà en ridiculisant nos institutions depuis l’entame de l’alternance par l’acte d’allégeance de l’Etat sénégalais à une seule et unique famille religieuse, encore celle de Touba, les différents gouvernements de Abdoulaye Wade ont posé les jalons d’une dislocation pérenne de notre unité nationale. » Et les jeunes cadres tidianes de promettre de « répondre mot à mot, geste par geste à toute autorité, qu’elle soit de l’Etat, du milieu politique, et du milieu religieux, qui s’aventurerait à organiser une quelconque hiérarchisation des communautés religieuses au seul profit de Touba. » Ils ont même déclaré Bécaye Diop persona non grata à Tivaouane lors du prochain gamou.

Une voix plus autorisée encore, celle du porte-parole du Khalife générale des tidianes, s’est fait entendre sans ambages. Elle « met en garde les autorités qui font des déclarations intempestives pour semer la zizanie entre les confréries ». Le porte-parole dénonce « les incursions des politiciens dans les confréries religieuses », cloue au pilori le ministre Bécaye Diop et annonce une conférence de presse à Dakar, « pour mieux décliner la position de la famille Sy par rapport à cette question ». 

La presse s’est  aussi largement fait l’écho de la réaction de Serigne Mansour Sy Djamil qui a, en particulier, accordé une longue interview à la « La Gazette » n° 45 du 11 au 18 février 2010. Le khalife de Serigne Moustapha Sy Djamil n’a pas épargné Me Wade dont il estime  qu’ « il ne connaît pas sa fonction ».

Ces vives réactions, personne ne peut les reprocher à la communauté tidiane : c’est son droit le plus absolu de se faire entendre, de la manière qui lui semble la plus appropriée. J’ai cependant des problèmes quand c’est Bécaye qui est pilonné et déclaré persona non grata. Le pauvre n’est qu’un second couteau. Ndeyi bill gi, Ablaay Wadd la ; lu njiin njaaga te mooy njaag. En d’autres termes, c’est Me Wade le principal responsable. C’est ce qui ressortit d’ailleurs nettement de la déclaration des jeunes cadres tidianes comme de l’interview de Serigne Mansour Sy Djamil. Et ils ont raison. S’en prendre au seul pauvre Bécaye, c’est laisser passer le serpent et s’acharner sur ses traces. Il n’a fait sa déclaration que pour plaire à Me Wade. Il n’était surtout point en transe, comme certains l’avancent pour lui trouver des circonstances atténuantes. Il ne sait même pas ce que Mouridisme signifie. Sans les nombreuses déclarations ostentatoires de Me Wade en faveur du mouridisme, Bécaye Diop se serait bien gardé de tenir les propos qui lui ont valu le volet de bois verts dont il se souviendra toute sa vie.

C’est Me Wade qui est donc le vrai et seul responsable. C’est de lui, et de lui seul, que viennent le malaise et l’inquiétude qui nous envahissent tous aujourd’hui. C’est lui qui a donné le ton depuis la cérémonie de la pose de la première pierre de la Mosquée Masaalik al jinaan, le samedi 5 décembre 2009, où il affirmait publiquement la primauté de la communauté mouride sur les autres. C’est lui qui, par ses choix politiciens, partisans et souvent maladroits, irritent et frustrent les autres communautés religieuses. Ce sont ces choix qui expliquent les nombreuses sorties au vitriol du porte-parole de la famille Sy contre le gouvernement, en réalité contre Me Wade qui est buur et bummi. Nous nous rappelons l’avoir entendu, à quelques jours du grand Magal de Tivaouane de 2003, adresser une sévère mise en garde aux autorités de l’alternance. Il leur lançait ainsi sans porter de gant : « Tivaouane fait partie du Sénégal et a droit à un peu plus de considération. J’ai dit au Président de la République que les Tidianes font partie de ceux qui l’ont élu. Nous faisons face à toutes nos obligations comme tous les citoyens. Comme tous les citoyens, nous avons autant de devoirs que de droits. Ce sont les droits que nous réclamons. »

A l’époque, les autorités prirent rapidement peur et intimèrent l’ordre à un membre du Gouvernement d’entrer en contact avec le porte-parole, Serigne Abdoul Aziz Sy Jr. Ce dernier le confirmera en ces termes : « Le Ministre de la Décentralisation m’a appelé pour me dire qu’il a reçu des instructions pour "travailler" Tivaouane. Je lui ai répondu que je prends acte et nous nous sommes donné rendez-vous après le gamou. » Le porte-parole reviendra plus tard à la charge, constatant que les rues de Tivaouane n’étaient pas réfectionnées, contrairement aux engagements du Gouvernement. Il va encore malmener les autorités en leur faisant savoir haut et fort son courroux en ces termes brefs et impitoyables : « Rien n’a été fait à Tivaouane. » Le pauvre Directeur général de l’Agence autonome des Travaux routiers de l’époque fera d’ailleurs les frais de ce courroux : il sera purement et simplement relevé de ses fonctions.

Le porte-parole mettait surtout la pression sur Me Wade en déclarant (Nouvel Horizon n° 447 du 03 au 09 décembre 2004) qu’il  ne comprenait  pas pourquoi le président Wade tenait vaille que vaille à médiatiser ses actions à Touba ! Il ajoutait que le Président Diouf allouait annuellement des millions à la confrérie  mouride  mais dans la grande discrétion. « En médiatisant ses actions, on a l’impression qu’il (Me Wade) cherche à froisser la susceptibilité des autres », concluait-il, très remonté contre ce dernier. Du moins en apparence.

Sentant tenir le bon bout, il reviendra à la charge le mardi 29 novembre 2005, plus exigeant que jamais. Profitant d’une visite du ministre Assane Diagne dans la ville sainte de Tivaouane, il lui jette à la figure comme une poignée de piment : « L’alternance n’a rien fait à Tivaouane. » Puis, il rappelle que le président Wade n’a rien respecté de son engagement ferme à reconstruire la ville. Visiblement très énervé, il lance alors cette terrible menace : « Les Tidianes n’hésiteront pas à prendre leurs responsabilités lors des prochaines élections ». Il va même plus loin en martelant, connaissant bien le point faible du politicien Wade : « Le gouvernement de l’alternance doit faire quelque chose pour Tivaouane et je donne un ultimatum au Chef de l’État. » (cf L’AS du mercredi 30 novembre 2005, page 4).

La République est vraiment couchée, humiliée, avec cette volonté effrénée de Me Wade de rester coûte que coûte au pouvoir. Lancer aussi publiquement un ultimatum à l’Etat et à son chef ! C’est quand même très inquiétant !

Le Premier Ministre Macky Sall, à son tour, ira à Canossa, en se rendant à la ville sainte à quarante huit heures du Gamou de 2005, à la tête d’une forte délégation d’au moins quinze ministres. Après avoir présenté ses vœux au Khalife général des Tidianes, il le rassure en ces termes : « Le Président de la République Me Abdoulaye Wade a donné des instructions fermes à son Premier Ministre pour que rapidement le visage de la ville sainte change, avec la naissance de nouvelles infrastructures capables d’accompagner l’essor de la cité religieuse. S’il y a le moindre retard à ce niveau, ce n’est pas le Président Wade, mais le Gouvernement.»

Pour en finir donc avec la réaction de Tivaouane, je le répète avec force, c’est à Me Wade qu’il faut s’en prendre, plutôt qu’au pauvre Bécaye Diop, qui n’est que la voix de son maître.

Ce n’est d’ailleurs pas Tivaouane seulement qui exprime son courroux. De toutes les autres confréries et de l’église catholique fusent des récriminations. La République est ainsi devenue l’otage des foyers dits religieux. Le président est écartelé dans sa volonté inconciliable d’afficher sa nette préférence pour Touba et d’entretenir des relations normales avec les autres confréries. C’est pourquoi, il est obligé parfois de s’humilier et d’humilier la République. Ainsi, lors du gamou de Tivaouane de 2004, il a bu le calice jusqu’à la lie, en s’expliquant publiquement et laborieusement sur son mouridisme. Il faisait remarquer notamment que « sa propre famille est partagée entre les deux grandes confréries sénégalaises, c’est-à-dire les Tidianes et les Mourides », que chez eux (les Wade) « ils sont deux – une de ses sœurs et lui – à être des disciples de Cheikh Ahmadou Bamba ». « Ce qui n’altère en rien, s’était-il empressé de préciser, ses relations avec Tivaouane et la communauté tidiane ».

Cet événement était passé presque inaperçu et n’avait pas, en tout cas, fait à l’époque l’objet de beaucoup de commentaires. C’était pourtant inédit, proprement piteux et gênant, très gênant pour la République, la Démocratie, la Laïcité.

Je ne conclurai pas ce texte sans passer rapidement en revue trois autres réflexions que m’inspirent la gaffe de Bécaye et la suite à laquelle elle a donné lieu :

1)   – en attendant la conférence de presse annoncée, la première position du porte-parole du Khalife général des Tidianes a, tout d’un coup, notablement évolué. Il invite curieusement les journalistes à « savoir censurer les propos négatifs ». C’est  à l’homme de presse, selon lui, qu’il revient de pouvoir « disséquer » dans les discours, « ce qui pourrait heurter et l’éliminer ». N’est-ce pas plutôt aux autorités, et à la première d’entre elles, qu’il appartient de s’autocensurer, en remuant mille fois la langue avant de parler ? Le rôle de la presse est d’informer et de commenter, s’il y a lieu, ce qu’elle voit, entend ou lit. L’invite du porte-parole devrait à la rigueur s’adresser à la télévision des Wade, qui les suit comme leur ombre et rend compte de façon exhaustive de tous leurs gestes et propos. Et puis, dans cette affaire, il n’y avait rien à censurer vraiment ! Nous avons tous entendu en même temps la bourde de Békaye et la déclaration de Me Wade du 5 décembre 2009 ! Et bien d’autres encore d’ailleurs. Laissons donc les journalistes tranquilles !

2)   – cet animateur d’une certaine émission, affichant de plus en plus sa volonté inébranlable de faire plaisir aux Wade, s’est époumoné à vouloir défendre Bécaye Diop et à banaliser sa bourde. Selon lui, chaque confrérie estime avoir une longueur d’avance sur les autres et la justifie par des preuves tangibles. Bécaye n’aurait donc commis aucune faute en prononçant les propos incriminés. C’est justement parce que chacune d’elles affiche sa suprématie sur les autres que Bécaye et tous les représentants de l’Etat républicain devraient s’abstenir de prendre partie dans cette « rivalité ». Bécaye serait aussi blanc comme neige puisque le militant qu’il est défendait les intérêts de son parti, comme tous les politiques qui viennent à Touba d’ailleurs. Quelle grave appréciation ? Où est la place de l’Etat républicain dans tout ça ? L’argument brandi est faux d’ailleurs : les prédécesseurs de Bécaye (Macky Sall, Ousmane Ngom, Cheikh Tidiane Sy) sont aussi militants que lui. Ont-ils jamais commis à Touba ou ailleurs la bourde qui fait jaser aujourd’hui ? Le nouveau bouclier de Wade estime aussi que les relations heurtées entre ce dernier et les différentes familles religieuses ne sont pas un fait nouveau : c’était pire du temps de Senghor. Quelle hypocrisie ! Quel mensonge ! Il y a mille exemples pour le confondre mais ce texte est déjà long. On l’a entendu aussi qualifier Me Madické Niang et Me Abdoulaye Wade de mourides « saadiix ». A-t-il déjà oublié que c’est lui qui, le premier, a réfuté catégoriquement le « mouridisme » de Me Wade, dès son accession à la magistrature suprême ? Il est vrai que, à l’époque, il ruait dans les brancards pour avoir sa télévision. Un autre bouclier des Wade, qui a gagné ses galons dans l’émission très orientée et très colorée du premier, explique la bévue de Bécaye par les subtilités de la langue wolof. Et ses nombreuses autres sorties malheureuses en français ? Ce sont aussi les subtilités de cette langue qui sont en cause ? Trêve de balivernes waay !

3)   – les malheureux choix de Me Wade et des siens n’entraîneront peut-être pas de graves conséquences sur les relations entre les différentes familles religieuses, donc sur la cohésion nationale. Je renvoie les lecteurs à l’intervention remarquée à cette certaine émission (du jeudi 11 février 2009 à 21 heures), de Serigne Abdou Lahat Mbacké Gaïndé Fatma, digne fils de son père et président de la commission culture et communication du Magal de Touba. « Touba et Tivaouane ont le même sang, ils sont de même père et de même mère », a-t-il proclamé. « La religion au Sénégal, ajoute-t-il, c’est comme une maison et les confréries des chambres de cette maison ». En outre, il trouve normal que l’Etat investisse à Touba, deuxième ville du Sénégal par sa population. Ce faisant, il s’acquitte de son devoir. Mais, il précise avec bonheur que « dans sa démarche, l’Etat doit être neutre et traiter tout le monde au même pied d’égalité ». Avec de tels esprits de tolérance et on en trouve dans tous les foyers religieux du pays, les maladresses et choix politiciens de Me Wade ne nous conduiront peut-être pas au chaos qui nous menace sans cesse avec sa nauséabonde gouvernance. Pour cette chance, nous devons rendre grâce à Dieu. 

MODY NIANG, e-mail : [email protected]



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