Le spectre de la Covid-19 hante l'humanité. Partout dans le monde, toutes les actualités sont reléguées en second plan, la priorité étant accordée à ce mal terrible qui menace nos vies et nos conditions d'existence.
C'est aussi l'occasion des prescriptions et des préconisations tous azimuts. Dans une spirale de contradictions plus que confuse, on théorise l'endroit, l'envers, le revers, la face, le côté… Chacun avec son savoir propre, son expertise propre, défend des idées propres sur la gestion de la crise, lesquelles idées n'ont pas le temps d'être assimilées qu'elles sont anéanties par un autre préconisateur qui prône exactement le contraire, à tous points de vue. Qui a raison ? Qui a tort ? En tous les cas, l'humilité et la modestie semblent faire défaut à bien des égards. Chacun est convaincu de prêcher la seule bonne parole qui pourrait nous sortir de cette situation éprouvante. Dans tous les pays du globe, c'est le spectacle auquel on assiste. Partout, on perd de vue la pluralité quantitative et la richesse qualitative des avis qui fondent les décisions des gouvernants. L'on se croit détenteur d'un savoir-faire absolu qui fait autorité en tout et sur tous.
Les gouvernants de l'ensemble des pays du monde, avec l'importance et la diversité des moyens à leurs dispositions, pourraient-ils tous se révéler défaillants en même temps face à un même mal au moment où le commun des citoyens serait assez avisé pour pouvoir énoncer la formule appropriée ?
Le Sénégal n'échappe pas au phénomène. La gestion de la Covid-19, conduite avec vision et sagesse par le Président Macky Sall, est ciblée de critiques qui se caractérisent par la flagrance des contradictions entre elles et la forte dose de prétentions qu'elles véhiculent.
On avait critiqué les mesures de restriction destinées à freiner la propagation du virus et qui ont bien rempli leur rôle. Plus tard, on critiqua l'assouplissement de ces mesures qui fut salutaire à l'économie nationale et la cohésion sociale. Aujourd'hui, on critique l'engagement de l'État à respecter les libertés et droits fondamentaux, parce que, pense-t-on, le contexte de crise ne s'accommode pas de ces valeurs. Ainsi, on lui demande d'interdire, au moins dans leurs modalités traditionnelles, les grandes manifestations religieuses et ce, au mépris des principes de la liberté de culte et de la laïcité de l'État qui soustraient les affaires de la religion à l'autorité des pouvoirs publics.
L'environnement socioculturel, le cadre institutionnel et juridique permettent – ils à l'État d'interdire à une communauté religieuse de pratiquer ses rites selon sa foi ? Les politiques sont largement divisés sur la question et on peut constater que la ligne de rupture qui les sépare ne se détache pas trop du critère de l'expérience politique et institutionnelle des uns et des autres. Les juristes aussi risquent de manifester les mêmes clivages mais une récente jurisprudence française tendrait à favoriser la réponse négative, le Conseil d'État, invoquant le principe de la liberté de culte, y ayant désavoué le gouvernement sur la mesure de fermeture des lieux de culte.
Entre la peur que nous inspire le fléau, la volonté positive de contribuer à la réflexion, l'opportunisme d'agenda de certains qui sont animés par le souci de se faire reconnaître vision et leadership, les prétentions démagogiques d'autres qui clament ce qu'ils pensent sonner bien aux oreilles de l'opinion… les motivations à la base de ce bouillonnement d'idées sont bien variées.
La dernière chronique du Professeur Marie Teuw Niane, une personne de courage et intellectuel brillant, nous offre un excellent sujet de réflexion sur ces contributions citoyennes au débat sur la prise en charge de la crise pandémique. Mr Niane qui a intitulé son texte « Covid-19, l'après Tabaski ! » s'alarme à juste raison de la forte augmentation du nombre de cas de contamination observé dans notre pays depuis qu'on est sorti de la période de tabaski. C'est l'occasion pour lui de rappeler ses alertes et préconisations de la veille de cette grande fête musulmane. Là où, reconnaît-il, l'autorité publique avait exhorté les populations, avec beaucoup d'insistance, à éviter les déplacements, il aurait souhaité que l'État usât de mesures administratives pour les immobiliser en interdisant la circulation inter-régionale, ou à défaut, en confinant les 3 régions du Sénégal les plus touchées, c'est-à-dire Dakar, Thiès et Diourbel. Il citera comme exemple le Maroc, qui avait décidé de confiner ses 10 villes les plus touchées dans la période de la tabaski. Il estime par ailleurs que les pouvoirs publics devraient s'inspirer de l'expérience vécue à la tabaski pour « assumer leur leadership » et prendre des mesures visant à éviter tout rassemblement lors des grandes manifestations religieuses à venir. Il cite cette fois-ci l'exemple de l'Arabie saoudite qui a décidé de limiter cette année le grand pèlerinage musulman à sa dimension la plus symbolique.
Le royaume du Maroc et le royaume d'Arabie saoudite sont deux pays leaders dans le monde islamique. Ce sont aussi deux pays dont la qualité des relations avec le Sénégal est connue et historique. Ce sont enfin deux pays qui, chacun à sa manière, inspire fortement la communauté musulmane sénégalaise et exerce sur elle une grande influence. Mais du point de vue du cadre institutionnel et des rapports entre l'État et la religion, leurs réalités sont assez différentes des nôtres. Le Président sénégalais ne dispose pas des attributions reconnues aux Souverains de ces royaumes dans la vie religieuse dans leur pays. On a eu à rapporter, une certaine année, à l'époque du regretté roi Hassan 2, une fête de tabaski à l'occasion de laquelle, pour des raisons économiques et sociales, le Souverain aurait décidé de décharger l'ensemble de son peuple du sacrifice du mouton, en le prenant symboliquement en charge d'un point de vue rituel, avec le seul mouton qu'il sacrifiait lui. Une pratique aux vertus plus qu'évidentes mais impensable au Sénégal. Au-delà de cet aspect, les statistiques officielles sur la Covid-19 au Sénégal et dans les deux pays cités tendent à remettre en cause l'efficacité des mesures vantées et à confirmer une fois de plus que le comportement de ce virus échappe jusqu'à présent à toute approche normative. En effet, les restrictions initiées en Arabie saoudite sur le pèlerinage et au Maroc sur la tabaski n'ont pas empêché dans ces pays une forte augmentation des cas de contamination dans les périodes concernées respectivement.
En Arabie saoudite, un des pays les plus riches de la planète, dont la population fait un peu plus du double de celle du Sénégal, durant les 30 jours qui auraient couvert la période du Hajj, du 15 juillet au 14 août, le nombre total de cas de contamination enregistré a augmenté de plus de 55000, passant de 240474 à 295902. Dans le détail, le nombre de cas enregistré par jour dans ce pays, de 2325 pour la journée du 15 juillet a augmenté un peu plus chaque jour pour atteindre 3338 cas dans la journée du 14 août, soit une hausse du bilan journalier qui a dépassé le millier représentant plus de 40% et ce, en l'espace de 30 jours. Dans cette même période, le nombre de décès par jour se situe entre 21 et 45 et n'est jamais descendu en dessous de 30 depuis la date du 2 août qui aurait coïncidé approximativement avec le début du retour des pèlerins vers leurs pays respectifs.
Au Maroc, qui compte aussi une population dépassant légèrement le double de la population sénégalaise, le nombre de cas enregistré par jour a atteint et franchi la barre du millier pour la première fois dans le contexte de la tabaski, passant de 826 pour la journée du 29 juillet à 1046 à la journée du 30 juillet et 1063 le 31 juillet, jour de la tabaski. Là-bas, le cumul des cas de la semaine que le Professeur Niane appelle semaine de la tabaski donne un total de 5488. Juste après la fête, on observe une évolution variable maintenant cependant la barre globalement au-dessus du millier de cas par jour, et pour la journée du 15 août, on note 1776 cas. Le cumul des cas enregistrés au Maroc dans la période du 09 au 15 août, équivalent à la semaine dite d'après tabaski, donne un nombre total hebdomadaire de 9010, soit en valeur relative une augmentation de plus de 64% par rapport à la semaine de la tabaski, beaucoup plus que la hausse de 27% relevée au Sénégal en comparant les mêmes périodes. Et si l'on considère la gestion globale de la pandémie depuis le début, l'on constate que le Maroc qui a enregistré son premier cas le même jour que le Sénégal, le 02 mars 2020, avec un niveau de développement économique et social nettement supérieur au nôtre, beaucoup mieux doté que nous en infrastructures et équipements sanitaires, compte environ trois fois plus de cas que nous et déplore aussi près de trois fois plus de décès que nous.
Le mal est simplement complexe, nous devons l'admettre.
Certes, il y a des raisons de penser que les mouvements de personnes à l'occasion de la Tabaski ont pu contribuer à la diffusion du virus sur le territoire national, comme l'affirme Mr Niane. Comme il l'appréhende aussi, les grandes manifestations religieuses à venir, dans leur format classique, pourraient se révéler de véritables hubs de contamination. Mais cette situation pourrait-elle justifier un abus de pouvoir et d'autorité de l'État qui irait régenter indument le domaine de la pratique religieuse ? Quelle est la responsabilité des populations et des guides religieux dans cette situation ? On constate que l'église sénégalaise n'a pas eu besoin d'être contrainte par le décret et l'arrêté pour prendre des mesures salutaires pour une pratique cultuelle soucieuse de ne pas favoriser la circulation du virus. C'est un exemple à citer et à montrer. Si toutes les consciences se l'approprient, on aura fait un grand pas dans le bon sens.
Au sortir des grandes manifestations religieuses, on va vers la rentrée des classes. Après une année scolaire largement amputée, va – t – on encore neutraliser le système éducatif et retenir les enfants à la maison pour une échéance dont on ignore tout ? Quid des cérémonies familiales habituelles qui sont toujours l'occasion pour les différents membres d'une famille, leurs alliés et proches, de se déplacer des différentes localités du pays pour se retrouver ne serait-ce que le temps d'une journée, au même endroit ? Certes, ces retrouvailles ne sont en rien comparables aux manifestations religieuses dont il est question, mais la somme de cérémonies enregistrées quotidiennement dans le pays donne un total de mouvements et de regroupements de personnes à risques non négligeables.
Toutes nos inquiétudes exposées ici et d'autres encore trouvent une réponse dans l'orientation pertinente que le Président Macky Sall avait définie le 11 mai 2020 : apprendre à vivre en présence du virus. C'est une question d'adaptation de notre besoin de vivre dans un environnement où sévit un facteur hostile. C'est évoluer de la logique d'exclusivité à la logique d'associativité entre les impératifs sanitaires et les impératifs économiques et sociaux. C'est vivre en renonçant à tout ce qui n'est pas absolument nécessaire à cette vie et qui est susceptible de nous exposer et d'exposer les autres, tout en adoptant au quotidien des comportements susceptibles de nous protéger et de protéger les autres.
Par Idrissa TALL
Économiste – financier
Responsable APR à Kaolack
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