
Le vendredi 28 novembre 2014 à 16 heures 46 minutes, Serigne
Mouhamed Ahmad Tidiane Sall nous a quittés. Il livra ainsi sa dernière bataille
contre sa maladie qu’il avait acceptée le plus dignement et stoïquement du
monde en ce jour saint qu’il aimait plus que toute autre période de la semaine.
Laissant veuve sa famille ainsi que toute une communauté de parents, d’amis, de
talibés, de partenaires, d’employés, de sympathisants qui avaient encore besoin
de sa présence. Certes, la nouvelle est difficile à accepter ; la douleur
lourde à porter ; le moment inattendu ; le vide immense. Mais seules
la foi et la retenue, comme il nous y avait habitués lors de ses sermons et
causeries, permettent de surmonter toute cette peine. Car pleurer la
disparition de Serigne Ahmed, c’est ignorer la vraie nature du disparu, sa foi
et même son inébranlable croyance en son Seigneur ; pleurer cet éminent croyant,
c’est ne pas lui rendre service au vu de l’acceptation du décret divin qu’il ne
cessait de conseiller aux musulmans meurtris ; enfin, pleurer un croyant
comme lui revient à fouler au pied son enseignement sur la primauté de
l’ordonnance du Créateur sur les aspirations des créatures. Mieux vaut donc se
conformer à la pédagogie du défunt et aux recommandations islamiques. En lieu
et place à des larmes, rendons-lui un hommage mérité, pour que les générations
actuelles et futures puissent s’inspirer de son vécu.
Musulman au sens plénier du mot, tidiane scrupuleusement
pratiquant, père de famille modèle, chef religieux respecté, éducateur émérite,
meneur d’hommes perspicace, entrepreneur averti, les qualificatifs ne manquent
pas pour témoigner de la forte personnalité de ce digne fils du Sénégal.
Nous retiendrons de la mémoire de Serigne Mouhamed Ahmad, un
homme qui aime Dieu, Son Prophète, le Pôle caché et qui porte un véritable
souci de propager cet amour auprès des musulmans. Toute sa vie aura été un
exercice de progression continue sur le chemin des vertus, de l’excellence, de
l’éthique... Tout ceci fait qu’il a marqué de sa foi, de sa générosité, de sa
tolérance, mais aussi de sa rigueur dans le travail, les musulmans, surtout les
membres de sa famille dont l’assistance à leur endroit n’a jamais failli. Notre
souvenir pointe aussi sa noblesse de caractère qui ne manquait de séduire ceux
qui le connaissaient. Affable et doux dans son regard, lumineux et radieux dans
son sourire, vaillant et engagé dans sa démarche, sain et angélique dans son
corps, sincère et clairvoyant dans ses propos, ferme et rigoureux dans ses
convictions, digne et fier dans ses actions, sobre et élégant dans son
habillant, bref, tout de Imam Mouhamed Ahmad dégageait de l’élégance.
Digne héritier de Serigne Abass Sall, double homonyme du Messager
d’Allah (PSL) et du Pôle caché, Seydina Ahmad Tidiane Cherif (RTA), Serigne
Mouhamed Ahmad Tidiane Sall fut un marabout distingué de notre temps. Dans un
Sénégal où la mort a le pouvoir de transformer tout défunt en un saint, lui a
réussi à séduire, de son vivant, ses contemporains par ses hautes qualités.
C’est parce qu’il s’était démarqué par son humilité débordante, sa personnalité
affirmée, calme et pondérée, son autorité naturelle et son rayonnement
spirituel issu de son amour viscéral de Dieu, mais aussi de ses deux homonymes.
Sans aucun doute, le sage de Kawsara fait partie de ces élus
musulmans dont Dieu parle en ces termes : «Il
est parmi les croyants, des hommes qui ont tenu loyalement leur engagement
vis-à-vis de Dieu. Certains d'entre eux ont déjà accompli leur destin, d'autres
attendent leur tour. Mais ils n'ont jamais rien changé à leur comportement.
(S33/V23)». À regarder les actions musulmanes de Serigne Ahmad de près, on
en déduit que la promotion d’un islam orthodoxe avec la meilleure réputation
possible était l’une de ses principales missions terrestres. Celle-ci, il la
menait avec une conscience aiguë des vertus de l'effort et de l'éducation
islamique.
Mais, on ne peut pas parler du défunt marabout sans faire
allusion à son attachement à la voie Tidjanya. Cette confrérie, l’homme à
l’éternel chapeau conique s’en identifiait avec fierté. Mieux, il la
considérait comme étant la source de délivrance des mondanités, le secret de sa
paix intérieure. À ce titre, tous ceux qui ont eu la chance de le fréquenter
ont certainement entendu ces mots de lui : «Lorsque je suis en séance de wasifa, je me libère de tous soucis».
Cette sensation indescriptible de bien-être que lui procuraient les litanies
tidianes n’est que la résultante de sa foi inébranlable en Dieu. «Quand on croit en Dieu, on est en sécurité»,
disait-il à ce sujet.
Toutes ces caractéristiques de notre regretté Imam lui ont
été inculquées, durant son enfance bien vécue auprès de dignes parents et
éducateurs. D’où l’importance de revenir sur le parcours exemplaire de Serigne
Mouhamed Ahmad, lequel parcours, nous ayant été relatés par le défunt lui-même,
avait fait l’objet d’un précédent article qu’il avait fortement apprécié.
HUMANITES
ET FORMATION
Natif de Saint-Louis où est originaire sa
mère Sokhna Ramatoulaye Diagne dont on ne dira jamais assez tout le mérite,
Serigne Ahmed débarque à Louga en 1960. Ce, pour y apprendre le Coran auquel il
était déjà initié par un marabout nommé Serigne Modou Cissé. Sous les auspices
d’un Maure dépêché de Mauritanie, il mémorise le Livre saint en un temps
record. Une mémorisation tellement rapide que Serigne Abass prit-il le soin de
la vérifier. En se faisant accompagner durant ses déplacements, de son jeune
fils, pour le tester sur sa supposée maitrise du Coran, à n’importe quel
moment, sur n’importe quelle sourate, devant chaque verset. Le résultat de son
test confirma la délibération du maître mauritanien. Qui connaît l’attachement viscéral
de Serigne Abass aux «Paroles de Dieu» doit deviner qu’il ne pouvait ne
pas réagir à cette joyeuse nouvelle. À l’honneur du jeune Mouhamed Ahmed, il
lui offrit une fête à laquelle étaient présents tous les élèves du Daara.
Serigne Ahmed confirma lui-même que cette cérémonie, ajoutée à la confiance que
lui avait accordée son maitre maure -qui lui confiait les élèves en cas
d’empêchement-, font partie des éléments qui ont travaillé son courage,
favorisé son sens de la responsabilité et façonné sa personnalité.
Une fois le Coran
par cœur, il s’initia aux livres de jurisprudence islamique par le biais de
plusieurs professeurs dont les plus illustres sont Serigne Assane Gaye de
Louga, Serigne Yankhoba Fall de Saint-Louis et Serigne Abass lui-même qui,
satisfait du niveau de son élève, décida de l’envoyer apprendre la langue arabe
en Égypte. À peine âgé de 17 ans, voilà que les portes de l’étranger lui furent
ainsi ouvertes. Une fois au pays des Pharaons, il n’a rien fait de moins que de
s’inscrire à la prestigieuse université Al Azhar où se forment, comme depuis toujours,
les héritiers de nos marabouts.
SERIGNE ABASS : SON PERE ET AMI
Dans les études comme dans les autres fonctions
qu’il occupera plus tard, Serigne Ahmed fit preuve de volonté inouïe de
réussir, de rigueur et d’abnégation sans limites. D’ailleurs, cette fougue
explique le Hajj (grand
pèlerinage à La Mecque) qu’il réussit à accomplir à seulement 24 ans. En effet,
tout commença durant l’été 1974. Alors qu’il honorait un emploi de
vacances dans un restaurant de Frankfurt, en Allemagne, le futur imam de la
zawiya Kawsara fut informé de la participation de son père au prochain pèlerinage.
Voulant l’assister et faire du tarbiya (soumission parentale), l’étudiant se
rendit aux Lieux saints de l’Islam. Il paya son billet à partir de la
rémunération de son travail d’été dont les 2/3 étaient déjà envoyés à ses
parents. Après avoir effectué ce cinquième pilier de l’Islam, le Cheikh au
vitiligo mystique fit l’honneur d’accompagner son fils jusque dans sa chambre
d’étudiant d’Égypte où il effectua la prière du crépuscule.
Revenant sur les études du jeune marabout,
il faut rappeler qu’au bout de 10 ans, il fut nanti du Brevet secondaire, du Baccalauréat,
de la Licence et la Maitrise en Droit islamique. Il va sans dire qu’à ce
stade, le jeune étudiant pouvait prétendre à trouver un travail qui sied à sa
formation.
LE MARABOUT DIPLOMATE
Ainsi en 1977, à l’issue d’un concours très
sélectif auquel il postula, celui qui eut, très tôt, l’ingénieuse idée de se
former dans la langue de Molière sera recruté au Ministère sénégalais des
Affaires étrangères. Avec l’interprétariat comme première activité, il sera
ensuite promu Conseiller culturel aux ambassades du Sénégal en Algérie et au
Koweït. Sa fonction diplomatique cessa en 1989, année à laquelle il démissionna
de la fonction publique sénégalaise en tant que membre de la hiérarchie A, pour
se consacrer à ses activités personnelles. S’il a agi de la sorte, c’est parce
qu’il a saisi le sens des propos de son père à qui il demandait conseil à
propos de sa carrière professionnelle : «Le mieux pour toi serait
que tu viennes au Sénégal t’occuper de tes affaires privées le matin, et de la
mosquée le soir». Par conséquent, le marabout-diplomate entama une
nouvelle vie. Laquelle vie sera désormais consubstantielle à la zawiya Kawsara
qui surplombe la cité Sipres, précisément les deux voies de Liberté 6.
L’ENTREPRENEUR ECONOMIQUE ET RELIGIEUX
Après s’être retiré du Ministère des
Affaires étrangères en 1989, Mouhamed Ahmed fonda, dans la même année, deux
organisations qui, depuis leur création, font parler d’elles de plus en plus.
Il s’agit de West African Trading Investment and Construction (WATIC) et du
Rassemblement Islamique pour la Culture et la Paix (RICP). Si la première
organisation est une entreprise privée dont le déchiffrement du sigle anglais
indique son domaine d’intervention, la seconde est une ONG d’obédience
religieuse qui s’assigne comme objectif principal, la promotion de la religion
musulmane et l’entente entre les peuples. D’ailleurs, le RICP servira de base à
l’édification de la Zawiya Kawsara sur son site actuel qui dépasse l’hectare,
obtenu auprès des autorités de l’époque. Durant cette période, soit vingt-deux
ans derrière nous, le quartier était vide, voire inhabité. La tâche d’y
réaliser des projets n’était pas chose aisée, mais Serigne Ahmed Tidiane Sall
n’était pas ce genre d’individu qui recule devant la difficulté. La détermination
qu’on lui connait fit que le chantier de la mosquée fut entamé et vite achevé.
Aujourd’hui, elle attrait toute la population environnante souhaitant vivre
convenablement sa foi musulmane. La minutie observée dans les prières est des
plus appréciée. De même que les beaux airs du khadara et du wasifa sont en passe d’être le
protecteur-secret de la zone. Notons aussi que le marabout y organise, en même
temps que la zawiya-mère de Louga, le Maouloud et la Laylatoul khadr (nuit de la destinée). En sa qualité
d’homme ouvert et affranchi du conservatisme religieux, il avait préféré
décentraliser ces deux grands événements islamiques afin de mieux étendre les
tentacules de l’Islam et de la Tidjanya. Mais aussi de donner la possibilité à
des milliers de musulmans de profiter du projet d’éducation islamique proposé
par l’illustre Cheikh de Louga. Aussi, il avait initié depuis trois ans, la
journée «Al Hamdoulillah» pour rendre grâce à Allah.
C'est ce fervent croyant, cet homme élégant et humaniste, ce
missionnaire infatigable qui vient de nous quitter à l’âge de 65 ans. Soit 24
ans après son illustre père, comme pour faire allusion aux 24 grands-parents
qui séparent le prophète Mouhammad (PSL) à Seydina Cheikh.
Paix à son âme. Puisse
Dieu le compter parmi Ses proches et le récompenser pour ses longues années de
labeur et de dévotion. Que la terre de Kawsara lui soit légère ! Qu’Allah supporte
ses héritiers dans la perpétuation de
son œuvre immense et déverse sur eux toutes les grâces divines de ce
fameux poème de 1967 !
PRIERES
D’UN PERE POUR UN FILS EXEMPLAIRE
Nous sommes en
1967, le vendredi 17 février précisément. Serigne Mouhamed Ahmad foule le sol
égyptien, accueilli son grand frère, Mouhamadou Mansour Sall, actuel khalife de
Serigne Abass. Au même moment, son père lui dédie un
poème de 9 vers, composé en bakhr bassit (vers libres). Ce poème, aussi
visionnaire qu’invocateur, rend compte de l’estime d’un père à l’endroit de son
fils et ami. Savourons cette traduction en français du Pr Issa Idrissa Seck.
1- Ô! Mon Seigneur, je T’ai confié le tout-petit fils,
Mouhammad Ahmad. Sois son Hôte Accueillant.
2- Son Protecteur, Son soutien et Son Recours Son Meilleur
Compagnon, et Son Tuteur.
3- Envoies-lui des anges qui se succèdent, qui le protègent et le gardent de par les six
directions.
4- De tout ce que Tu crées de malfaisance et de préjudice
qui se produit au sein de l’Univers où qu’il soit.
5- Ô! Mon seigneur, aides-lui à atteindre la finalité
recherchée. En termes de la religion, de la vie d’ici-bas et du Retour
là-bas.
6- Inspires-lui
la voie de Droiture et prends-lui la main. Guides-lui vers tout ce qui est
satisfaisant auprès de Toi.
7- Que la
primature toujours soit son compagnon et allié. En atteignant ses finalités
dans tous les domaines.
8- Jusqu’à ce
il revienne sain et sauf vers le bercail. Jusqu’à ce qu’il atteigne tout ce
qu’il souhaitait.
9- Les
confiances déposées auprès d’Allah ne seront jamais perdues. Impossible! Car,
Il Est Le Préservateur inatteignable.
Qu’Allah, le Généreux et le dominant paie à notre place
notre guide : Abass la meilleur récompense avec gratitude
0 Commentaires
Participer à la Discussion