
Après plusieurs années de mauvaise gouvernance et de pilotage à vue dans la gestion des biens publics de ce pays, le temps est venu d'arrêter les rafistolages, pansements temporaires et autres solutions d'urgence, car pour tout le monde 'Y En A Marre'.
La gestion des inondations revêt aujourd’hui un caractère spécial qui l’élève au rang de problème de sécurité nationale au sens où une mauvaise prise en charge entraine des périls incommensurables sur les personnes et les biens.
Manifestement, les solutions apportées, pour ne pas dire esquissées, n’ont jamais été à la hauteur des problèmes récurrents et c’est le lieu de se demander si les choses ont été prises par le bon bout. L’exigence pour chacun d’entre nous de participer à l’effort national nous amène, aujourd’hui, à proposer une démarche autre que celle jusque-là mise en place et qui consiste à simplement creuser, remblayer ou pomper alors que partout ailleurs les choix opérés reposent sur la méthode et obéissent à des étapes bien définies.
En effet, pour juguler le spectre des inondations, s'attaquer à une foule de défis et en même temps créer les bases d'un développement durable, il est urgent d'initier une campagne de levés aériens qui permettrait l’acquisition d’une couverture nationale à la fois en ortho-images et en modèle numérique de terrain de très haute résolution. En effet, la topographie est l'information géographique généralement la plus utilisée dans les secteurs d'activités publics, privés et académiques à travers le monde. Ceci n’a rien d’étonnant, car l'aménagement du territoire et les autres formes de planification liées à l'environnement physique doivent tenir compte des caractéristiques du terrain, notamment sa forme et son élévation relative ainsi que l'élévation du bâti naturel et artificiel qu’il soutient.
Il s'agit là pour le Sénégal, de la possibilité de planifier à échelle centimétrique tout ce qui est ouvrages de génie civil et environnemental, infrastructures diverses (canalisations d'eau et d'égouts; réseaux d'électricité, de télécommunications et de routes), installations solaires et éoliennes, systèmes de transport, délimitation précise des zones inondables et des bassins versants en milieu urbain, cartographie des sols et des pédopaysages, évaluation des risques, inventaire et gestion des ressources naturelles, agriculture de précision, etc. Bref, une seule donnée trouve ici, virtuellement, une infinité d'applications: tel est le potentiel d'une représentation (modèle) numérique de la topographie, un actif infiniment précieux sur lequel notre pays pourra capitaliser ad vitam aeternam.
Il est vrai que le coût de telles prises aériennes peut être relativement dispendieux (on y reviendra), mais avons-nous vraiment le choix? Devant l'ampleur et la persistance des maux qui gangrènent notre pays et érodent les bases de son économie (des crises d'inondation à répétition, la mer qui grignote nos côtes et menace nos villes, le désert qui "aridifie" nos terres, nos cités qui se paupérisent à cause d'une urbanisation sauvage, etc.), de quelles alternatives disposons-nous vraiment? Au moment où le débat public est centré sur la traque des « biens mal acquis » et les urgences sociales telles que le fléau des inondations qu’il faudra essayer d’endiguer définitivement, pouvons-nous faire l'économie d'un outil de planification de si éminente qualité?
Y a t-il des solutions alternatives?
D'abord, interrogeons les alternatives. À l'heure qu'il est, le Sénégal ne semble pas posséder de modèle numérique de terrain digne de ce nom. Du moins, les sites des organismes censés le détenir n'en évoquent rien. La Direction de Gestion et de Planification des Ressources en Eau (DGPRE) disposait en 1998 d'un échantillon d'altitudes de points côtés dont le maillage à échelle nationale était très lâche. Ces derniers ont dû être combinés à d'autres informations (ex. incrustation d'éléments physiographiques) pour générer une surface topographique dont la qualité serait de toute façon inadéquate face à l'acuité des enjeux actuels. De nombreux organismes et institutions américains, en particulier la commission géologique des États-Unis (USGS), distribuent sans frais des couvertures planétaires à ce sujet, mais leur maillage est également trop grossier (1 km à 30 m) pour circonscrire des « plaines » d'inondation urbaines comme les nôtres ou simuler le tracé idéal d'un réseau d'égouts dans nos banlieues inondables.
Le marché de l'imagerie satellite, excluant les images des missions Landsat qui sont désormais gratuites, propose des produits de haute résolution (2.5 m à 50 cm) sur la région de Dakar et sur d'autres endroits de notre patrimoine urbain. Cette imagerie pourrait aider à délimiter des espaces inondables, mais ce serait dans un mode et un format très peu aptes à réaliser le type d'analyses et de simulations souhaitées dans ce contexte. En revanche, drapées sur un modèle numérique de terrain de haute qualité, ces images pourraient fournir un visuel et une plausibilité spectaculaires de notre environnement urbain et rajouter un réalisme à des simulations de phénomènes pouvant survenir éventuellement dans ce milieu.
En clair, il nous faudra une couverture numérique haute résolution de notre topographie urbaine pour aider à surmonter ces défis. Par-delà la granularité du maillage, les caractéristiques physiques du terrain au Sénégal elles-mêmes l’exigent et le justifient. Notre pays étant essentiellement constitué par un bassin sédimentaire (sauf dans le sud-est ou Sénégal Oriental), le relief y est relativement plat et dépasse rarement 50 m, à l'exception des falaises de Thiès (100 m) et de quelques points côtés situés sur la bordure sud-est. Pour cette raison, à moins d'un maillage très serré, il sera pratiquement impossible de discerner les variations subtiles (microtopographie cachée) de la morphologie du terrain.
Bénéfices de la proposition
Les retombées d'une campagne aérienne d'acquisition d'ortho-images et d'un modèle numérique de terrain haute résolution à l'échelle nationale (ou au moins pour les zones urbaines) seront nombreuses. Entre autres,
Elle nous fera d'abord rompre avec une approche basée sur des initiatives multiples, fragmentaires et inefficaces, pour adopter une démarche systémique et intégrée de résolution de nos problèmes.
Sa couverture sera uniforme et, en plus d'un jeu de données brutes ponctuelles d'élévation, elle génèrera simultanément de multiples produits dérivés tels que la représentation numérique du terrain nu qui supporte notre patrimoine bâti, une topographie distincte du bâti urbain et autres éléments naturels reposant sur le sol, des courbes de niveau, les réseaux de drainage dans nos villes, les lignes de notre littoral, un ombrage et des pentes et orientations du relief naturel, des tuiles ou mosaïque de photos aériennes corrigées, des cartes vectorielles, des modèles 3D des territoires concernés, et même un calcul de volumes. Tous ces produits ont une utilité pertinente dans une multitude d'applications, mais ce sont les modèles numériques du terrain nu en particulier et de la topographie du bâti qui constituent en quelque sorte les joyaux de la couronne.
Pour nos secteurs public (aménagement du territoire, décentralisation, gestion de catastrophes naturelles, études d'impact, urbanisation, protection de la nature, etc.), académique (recherche et enseignement), et privé (planification opérationnelle, innovations, etc.), le potentiel que recèle un modèle numérique de terrain à cette échelle et de cette qualité est inestimable. Les intervenants au Sénégal dans le domaine de l'aide internationale (ex. ONG) seront également ravis de disposer d'un outil qui facilitera grandement leurs actions sur le terrain.
Elle offrira une perspective tridimensionnelle très réaliste de notre environnement urbain (et également non urbain). La valeur d'une modélisation en 3D s'avérera inestimable au moment de simuler les impacts (dommages) de futures inondations ou de planifier la construction d'infrastructures (ex. tracés de réseau d'égouts) pour combattre ces inondations dans nos banlieues très mal urbanisées.
Les ortho-images tirées de ce processus nous permettront, entre autres, de :
mettre à jour le cadastre numérique existant et générer un cadastre numérique d'envergure nationale en commençant par les villes,
compléter et mettre à jour la base de données vectorielle du Sénégal (ex. réseaux routier et hydrographique, limites administratives et couvert faunique, etc.),
et développer un système d'adressage numérique très fiable dont l'inexistence est un frein à l’éclosion d'un éventail d'applications très utiles pour notre pays.
Le recours aux solutions alternatives évoquées il y a plus d’an par le ministre de l'énergie afin de faire face durablement à la crise chronique du secteur énergétique en sera aussi facilité. Un modèle numérique de terrain permet en effet non seulement d'estimer le potentiel d'énergie solaire dans une zone ou une ville (et le faire au besoin toit de maison par toit de maison), mais aussi de déterminer les sites les plus favorables au développement de l'énergie éolienne.
L'activité accrue en termes de demande de données spatiales qui en résultera va très certainement dynamiser l'industrie de la géomatique au Sénégal (augmentation de la demande de géomaticiens et de l'offre d'enseignement), encourager les initiatives privées et générer une foule d'opportunités.
Elle favorisera la création d'une synergie entre les trois secteurs public, privé et académique et, par conséquent, l'implication de la communauté scientifique sénégalaise dans la résolution des problèmes environnementaux tels que les inondations.
Grosso modo, qu'il s'agisse de circonscrire nos zones inondables actuelles de façon précise; d'identifier des plaines d'inondations encore insoupçonnées où l'urbanisation pourrait se déplacer; de cartographier le niveau de la nappe phréatique (qui est une simple réplique de la topographie) dans les zones à risque; d'évaluer les risques naturels dans les lieux potentiels de relocalisation des sinistrés; de définir les meilleurs tracés d'un réseau d'égouts pour drainer les eaux usées, réduire les facteurs anthropiques aggravants et drainer rapidement de fortes averses de pluies; de corriger les problèmes de notre urbanisation actuelle et de bien évaluer nos futurs plans urbains; de s'attaquer méthodiquement à l'érosion sur nos côtes; de planifier avec adresse l'extension de notre réseau d'énergie (électricité, solaire et éolien) dans le monde rural; de protéger nos ressources naturelles, etc., les bénéfices à tirer de la moisson d'informations géographiques qui sera récoltée dans une telle campagne dépasseront largement les coûts à débourser.
Néanmoins, il faut admettre qu'égrener une liste d'avantages aussi affriolants (et encore, cette liste n'est pas exhaustive) peut paraître invraisemblable dans le contexte des urgences sociales qui asphyxient actuellement notre pays. Pourtant, hormis le processus décisionnel lié à l'entérinement d'une telle initiative et l'assiette financière que cela exige, le plus difficile dans cette mission reste la collecte des données elles-mêmes et leur traitement, qui sont heureusement inclus dans le service fourni par le prestataire.
Coût de la proposition
Deux choix de technologies et trois options sont à considérer pour réaliser de façon efficiente un travail de cette envergure, à savoir le LiDAR (Light Detection And Ranging) et l'IFSAR (Interferometric Synthetic Aperture Radar). Il est possible de ne faire que du LiDAR, que de l'IFSAR, ou de combiner les deux (c-à-d LiDAR dans les zones urbaines ou nécessitant plus de précision et IFSAR ailleurs). Le Sénégal est un très petit pays (197000 km2) à l’échelle des nations, mais du point de vue de levés LiDAR sa superficie est considérable. Il n’empêche que procéder par cette méthode ne coûterait qu’environ 9 milliards tous frais inclus (un travail que certains pays ont déjà amorcé), soit 120 millions de nos francs pour couvrir la région de Dakar (Rufisque, Guédiawaye, Pikine et Dakar), ce qui apparaît plus que raisonnable... À titre de comparaison, le Plan National de Géomatique du Sénégal en cours d'exécution par des Canadiens s'élève à presque 4 milliards de Frs sur une durée de 5 ans. Or il est ici question de semaines ou de mois.
Bref, quel que soit le choix technologique opéré, qu'il s'agisse de tout le Sénégal, de Dakar seulement, ou d’une autre portion du pays, les avantages qui ont été abordés plus haut l'emportent largement sur les coûts qui seraient engendrés.
Quoi qu'il en soit, nous devons à présent prendre le taureau par les cornes pour remettre ce pays sur les bons rails car la responsabilité qui incombe à l’état ne dispense pas chaque Sénégalais-e d’assumer la sienne individuellement, car le changement vient toujours du peuple et non des dirigeants. C’est pourquoi, il nous faudra consentir à des sacrifices, dirigeants et populations confondus, car la responsabilité de l'échec dans bien des secteurs est collective et c'est seulement collectivement que nous réussirons à soigner nos maux.
À ceux qui douteraient de la faisaibilité d’une telle opération, permettez de rétorquer qu’il n'y a rien que volonté et courage politiques bénis par tout un peuple ne peuvent accomplir, s'ils sont articulés autour d'une vision claire, des solutions inventives, une bonne stratégie et une organisation adéquate.
Oumar H. Ka, MBA
Géologue-Géomaticien
<68>[email protected]geogaphric.com (Blog)
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