« La concorde ne naît pas de l’identité des pensées mais de l’identité des volontés ». Saint Thomas.
Quand deux hommes sont l’un en face de l’autre, celui qui a honte de son passé ne supporte que laborieusement le regard de celui qui est fier de la sienne : les deux ne sont guère sur la même hauteur ! Aussi, ceux qui, par négligence ou par ignorance, ne sentent pas concernés par le Monument de la Renaissance africaine, ont-ils vraiment tort ! Au regard de la portée historique et de l’enjeu culturel de cette œuvre architecturale, pour un Africain, nié le symbolisme de cette œuvre réunificatrice, est sans aucune exagération, une complicité à l’entreprise de négation de la dignité de l’homme noir. Le peuple juif a réussi, non seulement à se faire respecter, mais aussi et surtout à obliger la communauté internationale à porter définitivement et en permanence le fardeau du remords consécutif aux persécutions subies par ce peuple : c’est grâce à la détermination et à la persévérance qu’une telle prouesse a été réussie. Aujourd’hui nul n’ose dans le monde nier ou même relativiser le martyr du peuple juif : tous ceux qui s’aventurent dans une telle entreprise sont accusés de négationnistes et sont traqués, jugés et condamnés. C’est aujourd’hui la seule histoire qui ne peut plus être discutée : le débat est définitivement bétonné sur ce point pour éviter que l’histoire de ce peuple soit perpétuellement niée. En ce qui concerne le peuple noir, chaque jour qui passe avec son lot de mépris, d’injures, de rejet et de négation, sans que personne ne s’en émeuve ! Le noir est constamment dévalorisé, les symboles de notre fierté sont, de façon récurrente, ternis ou falsifiés, nos douleurs passées sont inlassablement réfutées par les bourreaux de nos héros qui se vantent encore d’être les auteurs de notre histoire et de la manière dont celle-ci doit être écrite et enseignée ! Peut-on, un seul instant, imaginer un gouvernement français tenter, sans scrupule, de légiférer sur la façon dont elle souhaiterait que la shoah soit enseignée aux écoliers français ? Le problème de l’Afrique et des Africains est l’absence de persévérance dans certains combats d’ordre idéologique : nous sommes souvent piégés par un complexe de victimisation qui voile notre discernement ou par une absence de synergie dans le combat pour la sanctification ou la sanctuarisation de notre conscience historique. L’état de délabrement politique, culturel et économique du continent africain suscite des débats passionnés qui renseignent suffisamment sur l’ampleur de la tâche qui attend les Africains. L’Afrique est, en effet, dans une situation économique et politique dont les impacts culturels sont tels, qu’une renaissance culturelle s’impose à la fois comme remède et comme conséquence irrévocable de l’entreprise de négation culturelle, politique et économique du continent. S’il est vrai, comme le pensait Senghor, que la culture est au début et à la fin du développement, l’Afrique ne pourra jamais faire l’économie d’un réajustement de sa culture si longtemps niée par des entreprises économiques et politiques diverses. Réajustement culturel ou révolution culturelle : les sacrifices, les ruptures et les remises en causes, s’avèrent nécessaires pour remettre le continent sur les rails de l’émergence à la fois économique, politique et culturelle. La marginalisation et le mépris, quelques soient les contours subtils de leur expression, ne peuvent plus prospérer indéfiniment. L’Afrique doit agir pour occuper la place qui lui revient de droit dans la configuration géopolitique du monde actuel. Benjamin Constant a dit avec raison que « plus la chose à détruire est pernicieuse, plus la révolution paraît cruelle ». En ce qui concerne le mal de l’Afrique, il est d’une perniciosité telle que sa destruction ne peut se faire sans douleur et rupture parfois amère : dans nos mœurs il y a des freins au décollage économique et le monde extérieur est souvent hostile au bouleversement de l’ordre traditionnel des choses ! Les blocages sont donc à la fois d’ordre objectif et subjectif et leur long compagnonnage avec la réalité humaine du continent fait que la rupture ne peut guère être facile. Cependant les Africains ne peuvent plus continuer à supporter le mépris, la marginalisation et la misère qui sont comme les viles places que l’ordre du monde leur a réservées. L’Afrique doit renaître de ses cendres et pour ce faire, elle ne peut que compter d’abord que sur ses propres fils : qu’ils résident dans le continent ou qu’ils soient dans la diaspora, ils ont tous l’obligation morale de porter la renaissance du continent dans leur cœur et sur leurs épaules. Les États-Unis d’Afrique sont devenus une nécessité impérieuse que nulle cécité politique ne peut ignorer, que nul chauvinisme ou égoïsme patriotique ne peut négliger sous quelque prétexte que ce soit ! Puisque comme le disait Saint Thomas « La concorde ne naît pas de l’identité des pensées mais de l’identité des volontés », il faut qu’une vaste entreprise de sensibilisation des populations par les intellectuels et la société civile soit enclenchée pour obliger les décideurs politiques à concrétiser cette identité des volontés qu’est un État fédéral panafricain. Il est temps de dépasser les querelles stériles de chapelles et les fausses divergences doctrinales si vraiment le salut de l’Afrique et des africains est notre volonté commune ! Il ne faut pas qu’on s’y trompe : tant qu’il y aura de la domination, il devra y avoir de la résistance, or l’Afrique et les Africains sont encore dominés s’ils ne sont pas simplement niés. Notre histoire nous inonde d’exemples et de modèles qui suffisent à fouetter notre courage et à émuler notre détermination à arracher le respect et la considération qu’on continue à nous refuser sous des formes sournoises diverses. Des Africains qui sont contemporains et témoins de la belle, intelligente, déterminée, sage et ferme résistance d’un homme comme Nelson Mandela ont-ils le droit de baisser la garde et de se morfondre dans la résignation ? Comment un peuple dont l’histoire contemporaine a été si intensément illuminée par un grand homme comme Cheikh Ahmadou Bamba, cette sublime lumière venue de Touba, peut-il manquer de ressource vitale, morale et intellectuelle, au point d’abandonner son destin aux aléas d’un monde féroce dans la domination et sans pitié dans la compétition induite par la mondialisation économique ? Ce saint homme ne nous a-t-il pas éloquemment prouvé la richesse, la pertinence, l’efficience et l’efficacité de la résistance dont le socle est la culture africaine ? Hors de chez nous, aux USA, nos frères noirs comme William Dubois, Martin Luther King, etc. nous ont montré la voie toujours salutaire de la foi en soi, la force irrésistible de la détermination des hommes à réaliser les rêves justes et nobles qu’ils portent dans leur cœur généreux et dans leurs esprits lucides. Si aujourd’hui un noir est élu à la présidence des Etats-Unis, ce n’est pas un hasard, ce n’est pas non plus une sorte de cadeau que la nation américaine a gracieusement offert à la communauté noire : c’est au contraire le couronnement de deux siècles de lutte contre l’ennemi et contre soi. Contre l’ennemi, car partout où il y a des gens qui s’efforcent, au péril de leur vie, à faire valoir les principes de la justice, de l’égalité et de la liberté, il y a en face d’eux d’autres qui sont prêts à faire le même sacrifice pour vouer leur entreprise à l’échec. Lutte contre soi-même, car le long et douloureux séjour du noir, du colonisé et de l’esclave, dans l’îlot étroit de l’identité avilissante où les maîtres les ont exilés, a fini par les convaincre d’une infirmité congénitale et d’une infériorité naturelle : il est d’une nécessité impérieuse que l’Africain se défasse de cette image fausse qu’il a de lui-même comme d’un homme condamné par l’histoire ou par le destin à être remorqué. Tant que des Africains continueront à persister dans l’afro pessimisme et dans la conviction que le salut du continent est dehors, l’émergence et le développement ne seront que des chimères ; et c’est justement cela l’urgence d’une réécriture de l’histoire de l’Afrique et la nécessité de revisiter la culture africaine. Il nous faut être fiers de notre histoire, il nous faut la connaître auparavant ; il faut que l’Africain ait une claire conscience de la qualité de son apport à la civilisation humaine : notre part de contribution dans la marche de l’histoire n’est pas seulement dans l’esclavage et la colonisation. C’est faux et dangereux de croire que les Africains ont toujours été esclaves et/ou colonisés : nous avons existé avant ces fléaux et nous devons continuer à exister dignement après ces crimes. On ne raconte pas toute l’histoire, on ne commence pas l’histoire à la même date, on ne se réfère jamais à la même histoire : n’est-ce pas là une preuve du caractère idéologique de l’histoire ? Tout le monde peut s’amuser avec notre histoire en y greffant des monstruosités de toutes sortes ou en y amputant tout ce qui peut faire l’objet d’une quelconque fierté. Il est temps que l’Afrique et les Africains s’approprient la valeur exacte de leur contribution dans la conquête et l’accumulation des savoirs qui ont bâti la civilisation humaine : nul n’a le droit de négliger ou d’empêcher le bénéfice moral que l’Africain peut tirer de la pleine conscience qu’il a de son rôle actif et positif dans l’histoire universelle : il nous codifier cet apport. Pour ce faire, on n’a pas nécessairement besoin d’une magie venue du ciel, car une large mobilisation et une bonne utilisation des ressources disponibles sont suffisantes. Samuel Johnson avait vue juste en affirmant que : « Les grandes œuvres jaillissent non de la force mais de la persévérance. » Au regard de toutes ces considérations, on peut dire que le Monument de la Renaissance africaine, n’est pas seulement un thème d’une rencontre folklorique dont le destin est de figurer, à titre d’ornement, dans la large galerie d’affiquets qui inondent notre fragile et fausse conscience historique. Non ! Cette œuvre architecturale unificatrice doit être considéré comme le credo mobilisateur de la nation noire, le mot d’ordre de l’entreprise de reconquête d’une dignité perdue parce que longtemps bafouée, sans sanction, par des criminels organisés sur les plans de la pensée, de l’économie et de la politique.
Pape Sadio THIAM
Journaliste
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