(Pressafriq 04/09/2006) - La situation dramatique sur le plan politique ne peut être masquée par l’étalage de chantiers-démonstration dont la pertinence et l’utilité réelle échappent au citoyen préoccupé par de simples besoins alimentaires.
Les scandales à répétition ont fini par lasser ceux qui avaient encore le courage de dénoncer et ceux qui demandaient à être informés. Dans notre pays l’extraordinaire est tombé dans la banalité de l’ordinaire. L’ordinaire lui, est devenu une réalité double : Il y a, d’un côté, celui des professionnels de la politique, fait de rebondissements prévisibles et risibles dont la logique est l’intérêt égoïste loin de toute préoccupation du citoyen. A côté de celui-ci, l’ordinaire du sénégalais lambda à la recherche de la dépense quotidienne, oublié dans la poussière des « chantiers », inconsidéré, manipulé par les médias et trahi par ses propres représentants à l’Assemblée Nationale. Cette bâtisse qui était le dernier bastion où pouvait se dérouler un semblant de débat démocratique est décrédibilisée. Sa légitimité, pour la première fois dans l’histoire du pays, est remise en cause, douteuse de manière perceptible par le moins pourvu de culture juridique parmi nos concitoyens.
Si le pouvoir en place malmène les institutions et les affaiblit en jouant au yoyo, le plus navrant est de voir l’attitude d’une opposition aveuglée par sa part du pouvoir réel ou supposé. Que lui est est-il arrivé pour accepter une telle manipulation et une si ridicule situation d’asservissement et de suivisme ? On pourrait peut-être avancer deux hypothèses : les chefs de cette opposition sont des gens qui ont déjà goûté aux délices du pouvoir et ont peur de la précarité ou de la prison, donc incapables de supporter une traversée du désert ; pour avoir gouverné pendant très longtemps ont-ils, aussi, peur que l’on agite l’épouvantail de quelques dossiers nébuleux concernant leur gestion ? Le musellement est en tout cas efficace !
Pourtant, la bonne cure d’opposition qui s’imposait à cette génération qui a régné sans partage depuis l’indépendance aurait été bénéfique si elle avait été mise au compte d’une culture politique de l’alternance démocratique comme réalité socioculturelle désormais intégrée de tous.
Mais voici que les formations politiques de tous bords montrent, tous les jours, leur incapacité à se départir de la mentalité du « militantisme alimentaire ». Pire, la réalité nous laisse, tous, imaginer un scénario catastrophique d’un machiavélisme classique. On nous prédit avec résignation que ceux qui sont au pouvoir et contrôlent l’avoir vont déverser des milliards sur des populations injustement affamés qui applaudiront pour des miettes qu’on leur a spoliées. Les meetings de « ralliement » vont s’en suivre. Le Prince se réinstallera confortablement et on recommencera avec les mêmes. Dans cette configuration – et on la vit déjà – le pouvoir devient la fin de toutes la manœuvres. Ce qui est désespérant est qu’on est arrivé à une situation où les gens se posent la question de savoir qui d’autre mettre à la place de celui qu’on aimerait tant démettre.
Il faut, toutefois, remarquer qu’on essaye de nous faire comprendre que la situation actuelle est mieux que rien, alors qu’une telle attitude d’esprit est pire que tout ! Elle conduit très souvent à l’aventure et au tâtonnement, avec une absence notoire de ligne directrice ; celle qui a fait défaut à l’équipe subitement installée après l’alternance et qui cherche encore ses marques. Le Sénégal mérite mieux que cela !
Ainsi, du désespoir on passe au fatalisme, un fatalisme étrangement nourri de « bons sentiments ». N’oublions pas que la quête d’une bonne conscience à été à l’origine de bien des dérives y compris le totalitarisme qui annihile tout goût de résistance. Dans cet élan totalitariste, tous les moyens sont mis à contribution. L’endormissement collectif opéré par les médias d’Etat peut avoir l’effet d’un opium et produire, pour un temps, la léthargie des consciences. Lorsque l’espoir s’éloigne on se réfugie derrière le mensonge. Celui-ci devenu monnaie courante, « tisse un rêve de bien être et de prospérité de quelques uns sur le cauchemar du plus grand nombre », comme le disait Marcos.
Il est inquiétant de constater que le discours qui prévaut aujourd’hui dans notre pays est de dire que « tout cela est mieux que rien ». Le procès de l’ancien régime, avec toutes ses tares ne faisant plus recette, voici qu’on nous sert la stratégie de la solution la moins pire. Devant une telle abdication, il vaudrait mieux promouvoir des utopies afin de nourrir l’espoir d’éviter la catastrophe et de croire à l’avenir.
Devant l’arbitraire légalisé au nom de l’argent, le refus d’être une génération sacrifiée doit nourrir l’esprit du refus et de la casse de valeurs qui ne le sont que nom. Rappelons qu’il a fallu que cette jeunesse accepte d’être qualifiée de malsaine pour poursuivre le rêve de « changer la vie ».
Le pouvoir en place a déçu. Les masques de l’opposition sont tombés. Le refuge dans la manipulation du religieux est la meilleure illustration de l’échec du politique.
On le voit, le suivisme et l’entrisme tentent de décourager les initiatives citoyennes et ceux qui théorisaient hier l’alternance générationnelle se suffisent de l’apologie de la réaction d’aujourd’hui. Mais l’affairisme érigé en credo a toujours conduit à la pensée étroite. Il est à constater, aujourd’hui que cet affairisme gangrène notre société, malade et en mal de repères. L’attitude nihiliste, elle, n’a jamais réussi à construire un modèle alternatif viable.
Mais il est une donnée irréfutable que les idéologies et les systèmes se sont toujours détrônés les uns les autres mais que la léthargie des consciences a comme symptôme l’état d’abandon et d’apologie de l’arbitraire pour masquer l’angoisse inhérente à l’impuissance. Cependant, même consciente de cette dernière il ne faudrait jamais laisser les décadents freiner la roue du progrès.
Et puis, n’est-il pas grand temps de réfléchir sur le fonctionnement de nos institutions ? La forme qu’elles revêtent n’est elle pas, en partie, responsable de la situation que nous vivons si on sait que, dans nos jeunes démocraties, le régime présidentiel conduit à des dérives monarchiques et au culte de la personnalité ? La réforme de telles institutions s’impose d’autant plus qu’il est fort probable que, dans ses formes actuelles, elles produiront toujours des dirigeants similaires avec des pouvoirs étendus et difficilement contrôlables.
Sur ce terrain, la société civile a un grand rôle à jouer malgré le discrédit que certains politiciens en mal de projets et de vision veulent jeter sur elle. Il faut simplement qu’elle refuse d’être instrumentalisée par le pouvoir ou par une opposition qui veut cacher sa timidité.
Dans l’état actuel des choses, l’action citoyenne doit primer sur les intérêts individuels et les calculs égoïstes afin de renouer avec le désir du refus de l’arbitraire et de la résignation.
Le fatalisme n’a jamais été le remède contre la misère sociale. Au contraire, il a toujours servi les ennemis de la liberté, de la démocratie et de l’épanouissement du plus grand nombre.
Après avoir entamé une véritable reconquête démocratique et donné une belle leçon de civisme à tout le continent africain, la « vitrine Sénégal » doit se ressaisir, par sa jeunesse et ses forces vives, avant de voler entièrement en éclats.
Le diagnostic peut paraître sévère pour qui doute encore de la maladie de notre société. Même si par désarroi, on ne sait de qui ou de quoi viendra le remède, le fait est déjà salutaire de savoir que nous sommes d’abord malades de nous-mêmes. L’autocritique est la vertu de ceux qui n’ont pas peur de s’assumer. Restent que les idées se transforment en actions.
Bakary SAMBE
Docteur en Sciences Politiques –
Chercheur à la Maison de l’Orient Méditerranéen (GREMMO). Université Lyon2 [email protected]
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