Dans le domaine scientifique, lorsqu’on dit qu’une démarche ou une
méthode comporte un ou des biais, c’est qu’elle a, soit emprunter des
raccourcis ou soit elle n’a pas respecté certaines règles fondamentales dans
son processus de mise en œuvre. Dans ce cas, on parle de démarche ou de méthode
biaisée et les résultats qui en découlent sont considérés comme erronés, donc
ne peuvent avoir aucune valeur scientifique. Malheureusement, c’est le cas
actuel de la démocratie sénégalaise. Je vais prendre l’exemple de la fulgurante
ascension ascension politique d’Aliou Sall, frère du Président Macky Sall, pour
le démontrer.
En effet, il est fallacieux, voire absurde, de présenter l’élection de
Aliou Sall à la mairie de Guédiawaye puis à la tête de l’Association des maires
du Sénégal (AMS) comme le résultat d’un processus démocratique. Les tenants de
cette thèse ne se lassent de nous seriner qu’Aliou Sall est un citoyen qui a
sollicité et obtenu la confiance de ses mandants, donc n’est pas nommé par son
frère de Président de la république, mais élu grâce aux suffrages de ses
électeurs. C’est vrai, les résultats (élection comme maire et à la tête de l’AMS)
paraissent, en apparence, conformes à la démocratie. Toutefois, lorsqu’on
s’intéresse au processus ayant mené à ces résultats, on y décèle plusieurs
biais qui les rendraient erronés, donc inacceptables au regard des vraies
règles démocratiques. Ce qui me fait dire que la démocratie sénégalaise est
biaisée. Plus grave, le fait d’avoir dans un pays comme le Sénégal, qui regorge
de talents, de compétences, de femmes et d’hommes engagés, deux frères, l’un «
Chef de l’État centralisé » et l’autre « Chef de l’État décentralisé » comme
l’a si brillamment résumé, de façon imagée et humoristique, le Maire Talla
Sylla, pose un gros problème d’ordre éthique.
Une fulgurante ascension
politique qui aurait été impossible sans l’influence bienveillante du grand frère
Il faut rappeler que lorsque survenait la seconde alternance au
Sénégal, le 25 mars 2012, Aliou Sall était en poste à l’Ambassade du Sénégal en
Chine. Même s’il est membre fondateur de l’APR, sur le terrain politique, en
particulier celui de Guédiawaye, il était un illustre inconnu. Au plan
politique, l’éphémère Ministre du commerce dans le gouvernement d’Abdoul MBaye
et non moins numéro 2 de l’Alliance des forces du progrès (AFP), El-Hadji
Malick Gakou, a toujours été présenté comme l’homme fort de Guédiawaye. Il a
été, dans cette populeuse ville de la banlieue, la locomotive de la coalition
Benno Bokk Yaakaar (BBY) mise sur pied entre les deux tours des élections
présidentielles de 2012 et qui a porté Macky Sall au pouvoir. C’est un homme de
terrain réputé proche des populations de Guédiawaye en soutenant le développement
du football, de la lutte, des activités récréatives et culturelles dans cette
ville, à partir de laquelle il avait conquis, en 2009, la présidence du défunt
Conseil régional de Dakar.
Les personnes qui connaissent El-Hadji Malick Gakou lui prêteraient des
ambitions d’être candidat de l’AFP aux prochaines présidentielles de 2017.
Initialement, son schéma opératoire était le suivant : se faire élire
Maire de la ville de Guédiawaye (avec la dissolution annoncée des Conseils
régionaux) et s’en servir comme rampe de lancement pour les échéances de 2017
(tout comme Khalifa Sall pour la mairie de la ville de Dakar). Comment et
pourquoi cet homme, qu’on prête toutes ces ambitions, a-t-il brusquement décidé
de s’effacer au profit d’un illustre inconnu, Aliou Sall en l’occurrence, lors
des élections locales de juin
2014 ? Aliou Sall est-il si charmant, si talentueux, si convaincant au
point de parvenir, à lui tout seul, à obtenir d’El-Hadji Malick Gakou la
renonciation à toutes ses ambitions pour sa ville au point de ne même pas
figurer sur la liste des conseillers présentée par BBY ? Tout laisse
croire que Gakou avait subi de grosses pressions pour laisser le passage au
frangin du Président Macky Sall. À l’époque, je rappelle que certains organes
de presse avaient même parlé «d’importantes
contreparties» (en termes de nomination) qui lui auraient été promises. À
ce jour, 7 mois après les élections locales, on peut constater que Gakou n’a
encore bénéficié d’aucun strapontin connu. Est-il désabusé ? Je le pense.
Ce qui laisse supposer que sa main ne serait pas étrangère au vent de révolte
qui souffle actuellement sur l’AFP et la fronde contre Moustapha Niasse pour
reprendre l’autonomie de l’AFP à l’égard de Macky Sall.
Une fois la liste de BBY devenue majoritaire lors des locales de juin
2014, des tractations et conciliabules, au caractère nébuleux, ont permis à Aliou Sall de rafler le
poste de Maire de Guédiawaye en obtenant le vote de 69 conseillers sur 80.
N’est-ce pas fabuleux de réussir ce magistral tour de force, pour un
illustre inconnu du landerneau politique de la banlieue ? Il faudrait être de
mauvaise foi ou d’une cécité politique pour prétendre qu’Aliou Sall doit cela à
son seul mérite en occultant l’influence de la variable principale «être le frère du Président de la
république» et celle des variables secondaires non moins importantes que
sont «l’éventuel
bénéfice de l’influence du frère du Président» et «la distribution d’enveloppes». Des sénégalaises et sénégalais
aussi engagés, compétents et animés de bonnes intentions pour leur localité
qu’Aliou Sall ne sont jamais parvenus à se faire élire comme simples
conseillers municipaux en dépit de plusieurs participations aux joutes locales.
Je peux citer l’exemple de plusieurs cadres supérieurs et ingénieurs qui se sont
investi, à plusieurs reprises, sur des listes «d’indépendants» sous le couvert ou «en empruntant le récépissé» d’anonymes partis politiques
légalement reconnus. Lui-même, n’aurait jamais été adoubé par Guédiawaye s’il
n’était pas le frère de l’autre ! Ses soutiens, loin d’être désintéressés,
pensent qu’en s’offrant à lui, ils s’ouvrent la porte aux faveurs et attention
du Président de la république.
Des partis politiques qui brillent
par leur incohérence et par leurs capacités à faire des combines sur le dos du
peuple
Le processus «démocratique» qui vient de conduire à l’élection d’Aliou
Sall à la tête de l’AMS a permis de mettre à nu les turpitudes et
prévarications de la classe politique sénégalaise dans sa grande majorité. Il
ne suffit pas être un divin pour savoir que le frère du Président de la
république est porteur d’un agenda politique en se faisant élire à la tête de
l’AMS alors qu’il n’a même pas encore bouclé 6 mois à la tête d’une mairie. Son
couronnement est révélateur de la boulimie de pouvoir de la famille
présidentielle, le phagocytage de BBY, l’inexorable décadence du Parti
socialiste (PS) et l’incohérence qui frise la frivolité de la part du PDS.
Au sein de l’APR, Aliou Sall est venu à bout de cadres historiques du
parti (le maire de Yoff Abdoulaye Diouf Sarr et Mor Ngom, maire de Dangalma,
tous deux ministres) à l’issue d’une médiation (ou choix ?) de la Commission
ad-hoc du Secrétariat exécutif national (SEN) chargée des questions concernant l’AMS
présidée par le Ministre d’État MBaye NDiaye. Qu’à t-il fallu pour que le
monumental travail de terrain, réalisé par Abdoulaye Diouf Sarr et Mor Ngom
afin de porter Macky Sall au pouvoir, en 2012, soit passé en pures
pertes au profit d’une personne qui pantouflait, au même moment, à
l’ambassade du Sénégal en Chine ? Comment expliquer que le seul cadre de l’APR
qui a résisté au tsunami de Taxawu Dakar (nom des listes présentées sous la
bannière de Khalifa Sall) qui avait déferlé sur la presqu’île, grâce à son
crédit personnel au sein de Yoff, n’ait pu peser lourd face à un nouvel
arrivant ? Dans quelle mesure la proximité et la complicité légendaires
entre le Ministre d’État MBaye NDiaye et le Président Macky Sall ont-elles joué
en défaveur des autres candidats à la candidature et au profit d’Aliou
Sall ? Quels ont été les critères de sélection qui ont permis d’aboutir à
un choix consensuel ? Sur toutes ces questions, et sur bien d’autres, aucune
réponse n’est fournie. Ce qui laisse penser, une fois de plus, que la variable «être le frère du Président de la
république» a été déterminante. Ce couronnement d’Aliou Sall risque d’exacerber
les inévitables luttes de positionnement au sein de l’APR. Le Président Macky
Sall semble le comprendre en tentant, dès le lendemain du sacre de son frère, de
procéder à un rééquilibrage des pouvoirs au sein de son parti en décidant de
créer une Chambre des élus de l’APR et d’en confier la présidence à Mor Ngom.
S’agissant du PS, la cacophonie (annonces candidatures individuelles
de maires socialistes, officialisation du soutien du PS au candidat de l’APR
suivie de démentis) qui a prévalu ne fait que confirmer que l’aîné des partis
politiques au Sénégal est sous la coupe réglée d’un leader, qui n’a jamais rien
gagné depuis 19 ans, et de sa garde rapprochée. Elle est révélatrice, également, du manque, apparent,
de courage de Khalifa Sall, qui appuyait ostensiblement la candidature du maire
de Dakar-Plateau (Alioune NDoye) en assistant à sa conférence de déclaration de
candidature, et qui n’a pas trouvé utile de réagir, voire de dénoncer le
soutien du PS à Aliou Sall décidé «en
dehors des instances habilitées du parti». Au fait, de quoi ont-ils tous
peur face à Tanor Dieng, à l’exception notable de quelques récalcitrants comme
le Maire de Podor ? Tanor les tiendrait-il par des dossiers ? Cette
question mérite d’être posée, car un esprit sain et logique ne pourrait jamais
comprendre pourquoi les responsables du PS continuent de laisser un looser à la tête de leur parti, depuis
le congrès sans débats de 1996 à nos jours, sans aucun résultat probant.
Aujourd’hui, Tanor Dieng a fini de faire du PS un instrument de promotion au
service d’un individu (lui-même) et des membres d’un groupuscule (ses soutiens
inconditionnels). Ils ne se refusent aucun honneur ni prébende de la République
au détriment de la construction d’un parti fort prêt à servir d’alternative au
régime actuel. Ce ne sera pas Aminata MBengue NDiaye (Ministre de l’Élevage),
ni Serigne MBaye Thiam (Ministre de l’Éducation nationale), ni Abdoulaye Wilane,
dernièrement parachuté Président du Conseil de surveillance de l’Agence
nationale des écovillages (ANEV), qui trouveront à redire sur cette situation
qui sert leurs intérêts personnels. Il appartient aux responsables de ce parti,
qui inscrivent leur engagement et leurs actions dans la perspective d’une
conquête du pouvoir, de se lever et de se battre pour remettre, sur ses deux
pieds, un parti gagné par «une léthargie
au sein des structures» (Tanor Dieng dixit). Participer à des élections
présidentielles, requiert une préparation longue et minutieuse. 2017 profile
déjà à l’horizon, alors qu’on n’entend aucun frémissement du côté de ce parti
en dehors des sporadiques sorties de Me Aïssata Tall Sall.
Le comportement du Parti démocratique sénégalais (PDS) lors des
élections de l’AMS est beaucoup plus renversant. Il est d’une incohérence qui
frise la frivolité, voire l’insulte au peuple sénégalais. En effet, comment
comprendre que ce parti, par la voix d’Oumar Sarr, Coordonnateur national du
PDS, ait déclaré dans l’affaire Petro-Tim, qui secoue la république, que «nous demandons des poursuites pénales
contre Aliou Sall, les coauteurs et les complices » accusés de «vol sur le dos de la nation sénégalaise»
et revenir ensuite, en l’espace de quelques semaines seulement, donner comme
mot d’ordre à ses élus locaux de «contacter les différents candidats pour
voir ce qu’on peut avoir avec eux» y compris le candidat Aliou Sall ?
Ce dernier s’est empressé de saisir la perche (de réhabilitation ?) qui
lui est tendue en offrant au PDS sept postes dans le bureau et dans les
commissions. Ce qui pose la question de savoir comment accorder son soutien à
un présumé voleur des biens de la nation, contre qui on annonce une plainte, en
contrepartie de sinécures ? La réponse coule de source : absence de
vision politique et cupidité. C’est, aussi, faire preuve d’un manque de respect
à l’égard de ses militants, d’incohérence dans ses prises de position et
d’avidité dans la jouissance d’avantages personnels sur le dos du peuple. C’est
sidérant ! En tout cas,
Tout cela montre que le processus ayant mené Aliou Sall à la tête de
l’AMS est loin de répondre aux exigences et règles démocratiques. Ce fut un
processus qui sent l’odeur de combines, de magouilles et de corruption comme le
confirme, courageusement, Talla Sylla, en affirmant que «de grosses enveloppes ont été distribuées pour détourner les
objectifs». Cette dénonciation et sa «candidature
de principe» sont à son honneur. La corruption, l’achat des consciences et
des votes sont bien incrustés dans les mœurs politiques sénégalaises. Ce sont
des pratiques honteuses qui gangrènent et rythment la vie politique sénégalaise
et qui contribuent à biaiser notre démocratie. Dans son dernier ouvrage (Ces
Goulots qui étranglent le Sénégal), Cheikh Yerim Seck écrit que l’arrivée de
Macky Sall au pouvoir, «sous le slogan de
la rupture, n’a rien changée. Installé au pouvoir […], le nouveau Président
perpétue une tradition bien ancrée dans nos mœurs politiques : partager les
deniers publics pour conforter son pouvoir. Chaque mois, chacun des principaux
leaders de Benno Bokk Yakaar, la coalition qui l’a porté au pouvoir, reçoit 20
millions de FCfa tirés des fonds politiques de la Présidence». Dans ces
conditions, dire que l’élection d’Aliou Sall à la mairie de Guédiawaye, puis à
la présidence de l’AMS est le résultat d’un processus démocratique, donc légitime,
relève d’une escroquerie purement politicienne. CQFD.
Ibrahima Sadikh NDour
1 Commentaires
@depecer_le_senegal
En Février, 2015 (00:30 AM)Participer à la Discussion