Les uns remplissent consciencieusement des cases tandis que les autres tendent à leur interlocuteur des actes d’état civil. Et en quelques clics sur un ordinateur, tous ou presque ont découvert grâce à la base de données « Anchoukaj » si un de leurs ancêtres a été esclave aux Antilles. Ce dimanche après-midi, des ateliers généalogiques ont été organisés à Grigny. Les premiers d’une série qui doit suivre en Essonne à Corbeil, Viry et à nouveau à Grigny. Cette démarche doit aboutir le 23 mai à l’inauguration d’un monument à Grigny avec inscrits dessus 213 noms d’esclaves dont les descendants vivent dans le département.
« C’est un chiffre symbolique qui représente le nombre d’années d’esclavagisme aux Antilles, fait remarquer Emmanuel Gordien, vice-président du Comité Marche du 23 mai 1998, l’une des structures organisatrice de l’événement. Si nous avons moins de 213, on prendra les noms des ancêtres de membres de notre association. Et je ne pense pas que nous en aurons plus car c’est une histoire douloureuse et les gens n’ont pas forcément envie que leur nom apparaissent sur un monument pour les esclaves. »
L’objectif de ce projet est justement de libérer la parole. « Il y a des millions de gens qui souffrent encore aujourd’hui. C’est une histoire qui a déterminé des cultures nouvelles, des frustrations et des crispations particulières. Le fait d’en parler permet de se réconcilier avec cette histoire, reprend-il. Quand on demande aux Antillais s’ils sont fiers d’être Français, ils ont du mal à le dire. Il y a un ressentiment vis-à-vis de la République qu’il faut combattre. Notre démarche n’est pas politicienne mais sociétale, citoyenne et républicaine avec un enjeu de réconciliation avec soi-même, avec la République et avec l’Afrique (NDLR : d’où étaient originaires de nombreux esclaves exploités aux Antilles) ».
Marie-Christine : « Une partie de mes origines que je ne connaîtrais peut-être jamais »
Grigny, ce dimanche. Marie-Christine a retrouvé un ancêtre, affranchi en 1848 en Guadeloupe. Elle espère désormais découvrir de quel pays d’Afrique il venait. (LP/M.O.)
Pour Marie-Christine Baugé, la généalogie est « une drogue ». Et la jeune femme est tombée dedans l’an passé lors d’un forum. Depuis, cette habitante de Grigny a pu remonter le passé de sa famille jusqu’au début du XIXe siècle. Un passé marqué par l’esclavage.
« J’avais déjà des éléments avec des documents de concession de ma famille. Avec la base de données du comité CM98, j’ai pu retrouver le premier Baugé, Gilles, qui est né en 1828 et a été baptisé en 1848 de son nom de famille lorsqu’il a été affranchi, raconte-t-elle. Il était dans une habitation aux Abymes (Guadeloupe). Il a eu quatre enfants et s’est marié après. Il était agriculteur après l’abolition de l’esclavage et la famille est restée en Guadeloupe. »
Marie-Christine s’est lancée dans une telle recherche, animée par le désir de connaître ses racines, coupées peut-être trop vite par la mort de son père lorsqu’elle était enfant, mais aussi par un désir de transmission à ses enfants. « Car c’est important d’avoir des éléments sur ses ancêtres pour se construire. D’autant plus important quand leur histoire a été chaotique. Mais elle ne doit pas être une honte », poursuit-elle.
Reste que le premier travail qu’elle a entrepris n’est que le début d’une immense aventure. Car il lui manque encore une importante pièce de son puzzle familial. « J’aimerais savoir si Gilles Baugé est le premier de ma famille à être arrivé en tant qu’esclave en Guadeloupe. Et surtout de quel pays d’Afrique il était… » fait-elle savoir.
La jeune femme émet une hypothèse en se fiant à un ressenti. « Souvent, les gens me parlent en dialecte car ils croient que je suis peul. J’ai été aussi une fois au Sénégal et je me sentais super bien, comme si j’étais chez moi, confie-t-elle. Il reste une grosse partie de mes origines que je ne connaîtrais peut-être jamais. » Pour recoller les morceaux d’une identité fracturée, Marie-Christine a créé une page Facebook, ADN Baugé, qui lui permet d’entrer en contact avec des personnes portant le même nom qu’elle, de confronter ses informations en vue d’en savoir un peu plus un jour sur le pays natal de ses aïeuls.
Katia : « Ça me donne envie de continuer ». Son déplacement à Grigny a été doublement fructueux ce dimanche. Car Katia, 42 ans, a retrouvé ses ancêtres, côté paternel et maternel, en donnant son nom de famille à son interlocutrice. En quelques clics, deux personnes ont été retrouvées sur la base de données. L’une a priori affranchie en 1837 et l’autre en 1848.
« On n’a pas pu remonter plus loin car avant d’être libres, les esclaves n’avaient pas de nom. Mais ça m’avance déjà dans ma recherche. Ça donne envie de continuer », se réjouit cette habitante d’Evry qui a décidé de réaliser un arbre généalogique.
Le passé de ses aïeuls est loin d’être une honte. « Ils ont été esclaves. C’est comme ça. On ne peut pas changer l’histoire. Je n’ai pas de tabous avec ça car on n’est pas fautifs », conclut-elle.
L’enquête de Martial se heurte à des différences d’orthographe
Grigny, ce dimanche. Martial Gamiette pense avoir retrouvé son ancêtre en Guadeloupe. (LP/M.O.)
« Je n’arrive pas encore à m’approprier cette découverte », reconnaît Martial Gamiette, président de l’association antillaise Karib’K 91. Le quinquagénaire vient tout juste de mettre la main sur son ancêtre. Il y a un mois seulement. « J’avais fait des tentatives avant mais je n’avais rien trouvé ». Parce que les archives à Pointe-Noire (Guadeloupe) ont brûlé et car un t et un e se sont ajoutés au nom de famille au fil des siècles et ont ainsi perturbé son arbre généalogique.
« Grâce à un acte notarial, on a trouvé un Alexis, né en 1885. On est remonté au-dessus de lui et il y avait des esclaves, explique-t-il. Il a eu des enfants qu’il a appelés Alfred et Emmanuel et ce sont deux prénoms qui reviennent chez nous. Alexis était aussi spécialiste de la charpenterie et c’est un métier que l’on retrouve de génération en génération jusqu’à mon père qui l’était aussi ». Et d’annoncer qu’il veut « creuser davantage pour savoir pourquoi il y a cette différence d’orthographe ».
Mireille : « Surtout pour ma fille ». « Au départ, je me suis lancée dedans par curiosité. Maintenant, c’est surtout pour ma fille, sourit Mireille, 47 ans. Mais c’est vrai que c’est comme une drogue. On commence et on peut plus s’arrêter. Avant, je faisais mes recherches sur Internet jusqu’à minuit. » Quand cette habitante d’Evry a vu l’événement de Grigny, elle n’a pas hésité à s’y rendre en espérant débloquer la situation. « J’ai commencé mon travail de généalogie il y a deux ans et je suis arrivée jusqu’en 1700 au grand-père de mon grand-père. Mais je ne parviens pas à aller plus loin. Je ne sais pas s’il a été esclave et j’aimerais le savoir justement », détaille-t-elle. Malheureusement, elle n’a rien découvert grâce à la base de données du comité CM 98. « On m’a dit qu’il avait peut-être été affranchi avant 1848 », rapporte-t-elle. La quadragénaire compte bien percer ce mystère lors de son prochain séjour en Guadeloupe. « Et si je ne trouve pas, ce n’est pas grave. Je le fais pour m’amuser. »
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6 Commentaires
Anonyme
En Février, 2016 (22:41 PM)Anonyme
En Février, 2016 (23:07 PM)Incha Allah
En Février, 2016 (01:13 AM)Thieyacine C. Fall
En Février, 2016 (04:36 AM)Dg Toulouse
En Février, 2016 (09:04 AM)Ils se rendent compte de leur erreurs quand ils viennent en France métropolitaine. Les français les assimilent aux africains en leur demandant sans cesse leur pays d'origine.
Soyez comme comme Aimé CESAIRE, être fier de leur peau noire et de leur négritude
Anonyme
En Février, 2016 (10:03 AM)Participer à la Discussion