On cite souvent des histoires de chiens qui se laissent mourir sur la tombe de leur maître. Selon des spécialistes de la psychologie animale, aucun animal ne peut tout de même se donner volontairement la mort. Puisque croient-ils savoir, seul l’humain détient le privilège peu enviable d’être la seule espèce animale à se donner intentionnellement la mort. Pourtant le romancier Louis Camara dans son livre Vies de chien, pose la pertinence de cette question qui relève à la fois de la métaphysique et de la psychanalyse.
…J’appris par la suite que la Aïda était rentrée dans une colère noire parce que son chauffeur d’amant, ayant pour une fois pris son courage à deux mains, avait refusé de lui remettre l’argent qu’elle lui réclamait pour s’acheter des produits dépigmentants afin de décaper le peu qui lui restait de peau naturelle. Elle s’en était tellement badigeonnée tout le corps qu’elle dégageait une cadavérique odeur. Fatigué de devoir supporter ces relents fétides chaque fois qu’il était en sa compagnie, Alpha, son chauffeur de taxi avait décidé d’y mettre un terme et de lui prouver en même temps qu’il était un homme. Malgré les menaces, supplications, jérémiades, pleurs, câlins de sa dulcinée pour l’amadouer, le Peulh Fouta était resté inflexible et la fille n’avait pas réussi à avoir gain de cause.
Lorsque la sauvageonne avait eu fini de me passer à tabac, j’étais resté un bon moment couché dans la cour sablonneuse, à moitié mort et gémissant pitoyablement de douleur. J’avais l’impression que tous les os de ma carcasse de chien étaient rompus, brisés en mille morceaux et que je ne parviendrais plus jamais à trotter ni courir. J’aurais voulu rester là et mourir sur place, mais la peur de voir Aïda revenir à la charge me fit changer d’avis et me poussa à rassembler le peu de forces qu’il me restait pour me raidir et m’étirer à grand peine. Puis je me levai péniblement et sortis de la maison maudite en boitillant, décidé à en finir une fois pour toutes. Au prix d’efforts «surhumains» (comme disent les hommes pour se survaloriser), j’arrivai en clopinant en bordure de la grande route qui va vers le nord et je restai là, debout, immobile, le corps tout endolori, attendant qu’une voiture passe, pour me jeter sous ses roues et me faire écraser par elle. Je savais que ce serait une mort atroce, mais je préférais encore cela aux souffrances que j’endurais et qui semblaient ne jamais devoir finir.
Autant les abréger, même s’il fallait pour cela mourir jeune. Je n’eus pas à attendre très longtemps car, quelques minutes seulement après mon arrivée sur la route, j’aperçus un faisceau de lumière projeté par une voiture qui filait à vive allure. La fin était proche… Lorsqu’elle fut presque à ma hauteur, je raidis tous les muscles de mon corps, rassemblai ce qu’il me restait de forces, fermai les yeux et dans l’ultime sursaut de désespoir plongeai au milieu de la chaussée en disant adieu à la vie ! Après quelques instants qui me parurent une éternité, j’entendis le crissement suraigu des pneus de la voiture sur la chaussée accompagné d’une exclamation de surprise médusée. Je ne bougeai pas d’un centimètre, me demandant si je n’étais pas déjà mort et si je n’allai pas bientôt voir apparaître en face de moi la gueule anguleuse de Anubis le chacal. Ce qui m’étonnait le plus c’est que je n’avais ressenti aucune douleur alors que je m’attendais à avoir les os broyés et les viscères expulsés de mes entrailles sous la violence du choc. J’avais déjà vu des cadavres de chiens écrasés par des voitures et à vrai dire ce n’était pas beau du tout ! Puis je sentis un petit vent me caresser l’échine et je me rendis alors à l’évidence que j’étais toujours en vie et loin du pays des chiens morts. Quel était ce sortilège ou plutôt ce miracle si c’en était un ? En fait, la voiture sous laquelle je m’étais jeté s’était immobilisée à quelques millimètres de ma carcasse roulée en boule.
Le chauffeur du véhicule, qui était un véritable as du volant, avait freiné à mort, réussissant ainsi à éviter le pire. Je ne bougeai toujours pas. Au bout d’un moment j’entendis l’homme ouvrir la portière de la voiture tout en poussant un ouf de soulagement et s’avancer vers moi qui, les yeux toujours fermés, me demandai avec angoisse ce qui allait m’arriver après ma tentative de suicide avortée. Je tremblais de tous mes membres, m’attendant à recevoir un coup de pied magistral suivi d’une bordée d’injures de la part du chauffeur qui, comme la plupart de ses congénères devait croire qu’écraser un chien porte malheur irrémédiablement. Il paraît même que certains à qui cela arrive arrêtent de conduire pour de bon
Dans la niche du bon samaritain
J’étais donc prêt à subir un lynchage en règle après ce que je m’étais risqué à faire mais, ô surprise, je me sentis au contraire enveloppé dans un tissu soyeux et soulevé de terre par deux bras vigoureux qui me déposèrent ensuite sur un coussin moelleux à l’intérieur de la voiture. Puis le mystérieux chauffeur claqua la portière derrière moi, se remit au volant et démarra sans autre forme de procès. Nous roulâmes environ une demi-heure durant laquelle mon étrange sauveur n’arrêta pas de siffloter des airs qui, sans que je susse pourquoi, m’emplissaient d’une douce mélancolie. Bien que je ne fusse pas tout à fait rassuré, ne sachant pas quelle serait la suite des événements, j’étais néanmoins certain qu’il ne pouvait pas m’arriver de choses pires que celles que j’avais endurées avant ma tentative de suicide. Je me disais qu’au fond même si mon «sauveur» était un mangeur de chien, je me sentirais bien mieux dans son estomac que dans la maison de mes tortionnaires.
En un moment donné, je sentis que nous étions en train de traverser le pont Faidherbe (drôle de nom pour un pont en métal) qui relie le quartier de Sor à l’île de Ndar que l’on appelle également Saint-Louis, et trois ou quatre virages plus tard, la voiture s’immobilisa en face d’une grande maison à étage surplombée par un joli balcon en fer forgé donnant sur la rue. Je ne savais pas exactement où je me trouvais car je n’avais pas eu souvent l’occasion d’aller sur l’île de Ndar. Je ne réalisais non plus pas ce qui m’arrivait mais une chose au moins était sûre : j’étais sauvé des griffes des trois sorcières du quartier de Ndioloffène et ça, c’était un véritable miracle ! La demeure de mon maître était un très beau bâtiment à deux étages situé au quartier Sud (ou «Sindooné» dans le jargon local) de l’île de Ndar. Il vivait là avec son épouse, Yacine, et leurs trois enfants : les jumeaux Assane et Ousseynou et leur sœur cadette Salimata, jeune liane très élancée, qui allait sur ses quinze ans au moment où je débarquai dans leur foyer. Les jumeaux, de deux ans plus âgés que Salimata, préparaient tous les deux l’examen du Baccalauréat et travaillaient donc d’arrache pied pour le décrocher haut la main comme le souhaitaient leurs parents.
En plus d’être belle, la maison de mon maître était également très spacieuse. Au rez-de-chaussée auquel on accédait après avoir longé un petit couloir en clair-obscur, il y avait trois chambres et un cabinet de toilettes, agencés en demi-cercle autour d’une charmante véranda ornée de pots de fleurs où poussait une variété de plantes vertes. La véranda était à ciel ouvert, si bien qu’il y avait de la lumière en permanence mais aussi une bonne ventilation qui la rendait toujours fraîche. L’atmosphère y était des plus agréables et l’on avait plaisir à s’y prélasser dans le hamac multicolore suspendu dans un angle. C’est là que, le lendemain de mon arrivée dans sa maison, mon maître me fit installer une niche des plus confortables que je pouvais quitter à ma guise pour aller prendre un bon bain de soleil au milieu de la véranda. Si le paradis des chiens existe c’est bien à ce lieu qu’il doit ressembler et je suis certain que plus d’un chien au monde eût aimé y vivre et se la couler douce comme j’eus moi-même à le faire tout le temps que je suis resté dans cette maison bénie.
Le bain «miraculeux»
Dans le prolongement du couloir une sorte de corridor bifurquant sur la droite permettait d’accéder à l’étage par un escalier pas trop étroit, d’une vingtaine de marches ou plus. De là l’on entrait dans un salon cossu au plafond haut, séparé d’une grande salle à manger rectangulaire par une longue tenture incarnate qui semblait de velours. Au beau milieu de cette salle à manger aux murs bleu ciel trônait une longue table ovale en bois rouge, polie et vernie, entourée de chaises style Louis XIV en bois d’ébène : deux aux extrémités et trois latéralement. La table à manger était elle-même recouverte d’une nappe aux somptueux motifs floraux. Jouxtant le salon-salle à manger, la chambre à coucher de mon maître et de son épouse. En contraste avec le salon richement décoré, cette chambre conjugale était plutôt simple mais tout de même ornée avec un goût sûr (sans nul doute par la maîtresse des lieux) qui faisait se dégager d’elle un charme irrésistible. Ensuite venait la chambre de Salimata, avec son petit lit en bois d’acajou, son armoire sa commode et sa table de travail et, juste en face d’elle une cuisine bien équipée et des plus fonctionnelles. Les jumeaux, frères aînés de Salimata, occupaient quant à eux deux chambres voisines au rez-de-chaussée, la troisième étant réservée aux hôtes de la famille.
C’est avec eux que j’allais désormais partager le patio. Lorsqu’elle avait vu son mari gravir les marches de l’escalier, tenant dans ses bras un chien efflanqué et plutôt sale, Yacine avait poussé un cri de surprise un peu effrayé : Mon Dieu ! Badou !... mais où est-ce que tu as ramassé ce chien si maigre ?! Mon maître avait d’abord répondu par un petit rire malicieux avant de lui expliquer les circonstances dans lesquelles il m’avait recueilli. «C’est tout de même bizarre mais tous ces temps-ci j’étais en train de me dire qu’il nous fallait un chien à la maison et voilà que je trouve celui-ci presque sous les roues de ma voiture ! Tu sais, il s’en est fallu d’un cheveu pour que je l’écrase et si je n’avais pas réussi à freiner à temps, c’était la catastrophe !... » A ces mots, Yacine poussa un petit cri de frayeur et posa la main sur sa bouche, les yeux écarquillés. «Oh mon Dieu ! Mais que faisait-il là, couché au milieu de la route à pareille heure ?...» «C’est bien la question que je me pose encore, répondit mon maître d’un ton dubitatif, c’est étrange, mais c’est comme s’il cherchait à se faire écraser volontairement…» «Tu veux dire qu’il voulait se… suicider ?» «Oui, c’est exactement cela !...» «Voyons Ba-dou, tu n’y penses pas ! C’est impossible ! Le suicide est un acte réfléchi, prémédité, volontaire, il n’y a que les hommes qui se suicident, pas les animaux, les animaux ne tiennent pas de raisonnements…» «Mmm… Je n’en suis pas si sûr…» avait conclu mon maître d’un air songeur tout en me scrutant de son regard pénétrant.
«Bon…» dit-il pour clore cette discussion aux allures métaphysiques (mot que j’apprendrais également au cours des lectures à haute voix que faisait mon maître) «suicide ou pas suicide, je vais tout de suite lui faire prendre un bon bain désinfectant et lui donner à manger car, j’ai l’impression qu’il en a bien besoin» Le bain «miraculeux» avait eu lieu dans le petit bassin carrelé qui se trouvait dans le patio. Plus qu’un simple bain, ce fut pour moi un baptême, prélude à une nouvelle vie.
A suivre…
…J’appris par la suite que la Aïda était rentrée dans une colère noire parce que son chauffeur d’amant, ayant pour une fois pris son courage à deux mains, avait refusé de lui remettre l’argent qu’elle lui réclamait pour s’acheter des produits dépigmentants afin de décaper le peu qui lui restait de peau naturelle. Elle s’en était tellement badigeonnée tout le corps qu’elle dégageait une cadavérique odeur. Fatigué de devoir supporter ces relents fétides chaque fois qu’il était en sa compagnie, Alpha, son chauffeur de taxi avait décidé d’y mettre un terme et de lui prouver en même temps qu’il était un homme. Malgré les menaces, supplications, jérémiades, pleurs, câlins de sa dulcinée pour l’amadouer, le Peulh Fouta était resté inflexible et la fille n’avait pas réussi à avoir gain de cause.
Lorsque la sauvageonne avait eu fini de me passer à tabac, j’étais resté un bon moment couché dans la cour sablonneuse, à moitié mort et gémissant pitoyablement de douleur. J’avais l’impression que tous les os de ma carcasse de chien étaient rompus, brisés en mille morceaux et que je ne parviendrais plus jamais à trotter ni courir. J’aurais voulu rester là et mourir sur place, mais la peur de voir Aïda revenir à la charge me fit changer d’avis et me poussa à rassembler le peu de forces qu’il me restait pour me raidir et m’étirer à grand peine. Puis je me levai péniblement et sortis de la maison maudite en boitillant, décidé à en finir une fois pour toutes. Au prix d’efforts «surhumains» (comme disent les hommes pour se survaloriser), j’arrivai en clopinant en bordure de la grande route qui va vers le nord et je restai là, debout, immobile, le corps tout endolori, attendant qu’une voiture passe, pour me jeter sous ses roues et me faire écraser par elle. Je savais que ce serait une mort atroce, mais je préférais encore cela aux souffrances que j’endurais et qui semblaient ne jamais devoir finir.
Autant les abréger, même s’il fallait pour cela mourir jeune. Je n’eus pas à attendre très longtemps car, quelques minutes seulement après mon arrivée sur la route, j’aperçus un faisceau de lumière projeté par une voiture qui filait à vive allure. La fin était proche… Lorsqu’elle fut presque à ma hauteur, je raidis tous les muscles de mon corps, rassemblai ce qu’il me restait de forces, fermai les yeux et dans l’ultime sursaut de désespoir plongeai au milieu de la chaussée en disant adieu à la vie ! Après quelques instants qui me parurent une éternité, j’entendis le crissement suraigu des pneus de la voiture sur la chaussée accompagné d’une exclamation de surprise médusée. Je ne bougeai pas d’un centimètre, me demandant si je n’étais pas déjà mort et si je n’allai pas bientôt voir apparaître en face de moi la gueule anguleuse de Anubis le chacal. Ce qui m’étonnait le plus c’est que je n’avais ressenti aucune douleur alors que je m’attendais à avoir les os broyés et les viscères expulsés de mes entrailles sous la violence du choc. J’avais déjà vu des cadavres de chiens écrasés par des voitures et à vrai dire ce n’était pas beau du tout ! Puis je sentis un petit vent me caresser l’échine et je me rendis alors à l’évidence que j’étais toujours en vie et loin du pays des chiens morts. Quel était ce sortilège ou plutôt ce miracle si c’en était un ? En fait, la voiture sous laquelle je m’étais jeté s’était immobilisée à quelques millimètres de ma carcasse roulée en boule.
Le chauffeur du véhicule, qui était un véritable as du volant, avait freiné à mort, réussissant ainsi à éviter le pire. Je ne bougeai toujours pas. Au bout d’un moment j’entendis l’homme ouvrir la portière de la voiture tout en poussant un ouf de soulagement et s’avancer vers moi qui, les yeux toujours fermés, me demandai avec angoisse ce qui allait m’arriver après ma tentative de suicide avortée. Je tremblais de tous mes membres, m’attendant à recevoir un coup de pied magistral suivi d’une bordée d’injures de la part du chauffeur qui, comme la plupart de ses congénères devait croire qu’écraser un chien porte malheur irrémédiablement. Il paraît même que certains à qui cela arrive arrêtent de conduire pour de bon
Dans la niche du bon samaritain
J’étais donc prêt à subir un lynchage en règle après ce que je m’étais risqué à faire mais, ô surprise, je me sentis au contraire enveloppé dans un tissu soyeux et soulevé de terre par deux bras vigoureux qui me déposèrent ensuite sur un coussin moelleux à l’intérieur de la voiture. Puis le mystérieux chauffeur claqua la portière derrière moi, se remit au volant et démarra sans autre forme de procès. Nous roulâmes environ une demi-heure durant laquelle mon étrange sauveur n’arrêta pas de siffloter des airs qui, sans que je susse pourquoi, m’emplissaient d’une douce mélancolie. Bien que je ne fusse pas tout à fait rassuré, ne sachant pas quelle serait la suite des événements, j’étais néanmoins certain qu’il ne pouvait pas m’arriver de choses pires que celles que j’avais endurées avant ma tentative de suicide. Je me disais qu’au fond même si mon «sauveur» était un mangeur de chien, je me sentirais bien mieux dans son estomac que dans la maison de mes tortionnaires.
En un moment donné, je sentis que nous étions en train de traverser le pont Faidherbe (drôle de nom pour un pont en métal) qui relie le quartier de Sor à l’île de Ndar que l’on appelle également Saint-Louis, et trois ou quatre virages plus tard, la voiture s’immobilisa en face d’une grande maison à étage surplombée par un joli balcon en fer forgé donnant sur la rue. Je ne savais pas exactement où je me trouvais car je n’avais pas eu souvent l’occasion d’aller sur l’île de Ndar. Je ne réalisais non plus pas ce qui m’arrivait mais une chose au moins était sûre : j’étais sauvé des griffes des trois sorcières du quartier de Ndioloffène et ça, c’était un véritable miracle ! La demeure de mon maître était un très beau bâtiment à deux étages situé au quartier Sud (ou «Sindooné» dans le jargon local) de l’île de Ndar. Il vivait là avec son épouse, Yacine, et leurs trois enfants : les jumeaux Assane et Ousseynou et leur sœur cadette Salimata, jeune liane très élancée, qui allait sur ses quinze ans au moment où je débarquai dans leur foyer. Les jumeaux, de deux ans plus âgés que Salimata, préparaient tous les deux l’examen du Baccalauréat et travaillaient donc d’arrache pied pour le décrocher haut la main comme le souhaitaient leurs parents.
En plus d’être belle, la maison de mon maître était également très spacieuse. Au rez-de-chaussée auquel on accédait après avoir longé un petit couloir en clair-obscur, il y avait trois chambres et un cabinet de toilettes, agencés en demi-cercle autour d’une charmante véranda ornée de pots de fleurs où poussait une variété de plantes vertes. La véranda était à ciel ouvert, si bien qu’il y avait de la lumière en permanence mais aussi une bonne ventilation qui la rendait toujours fraîche. L’atmosphère y était des plus agréables et l’on avait plaisir à s’y prélasser dans le hamac multicolore suspendu dans un angle. C’est là que, le lendemain de mon arrivée dans sa maison, mon maître me fit installer une niche des plus confortables que je pouvais quitter à ma guise pour aller prendre un bon bain de soleil au milieu de la véranda. Si le paradis des chiens existe c’est bien à ce lieu qu’il doit ressembler et je suis certain que plus d’un chien au monde eût aimé y vivre et se la couler douce comme j’eus moi-même à le faire tout le temps que je suis resté dans cette maison bénie.
Le bain «miraculeux»
Dans le prolongement du couloir une sorte de corridor bifurquant sur la droite permettait d’accéder à l’étage par un escalier pas trop étroit, d’une vingtaine de marches ou plus. De là l’on entrait dans un salon cossu au plafond haut, séparé d’une grande salle à manger rectangulaire par une longue tenture incarnate qui semblait de velours. Au beau milieu de cette salle à manger aux murs bleu ciel trônait une longue table ovale en bois rouge, polie et vernie, entourée de chaises style Louis XIV en bois d’ébène : deux aux extrémités et trois latéralement. La table à manger était elle-même recouverte d’une nappe aux somptueux motifs floraux. Jouxtant le salon-salle à manger, la chambre à coucher de mon maître et de son épouse. En contraste avec le salon richement décoré, cette chambre conjugale était plutôt simple mais tout de même ornée avec un goût sûr (sans nul doute par la maîtresse des lieux) qui faisait se dégager d’elle un charme irrésistible. Ensuite venait la chambre de Salimata, avec son petit lit en bois d’acajou, son armoire sa commode et sa table de travail et, juste en face d’elle une cuisine bien équipée et des plus fonctionnelles. Les jumeaux, frères aînés de Salimata, occupaient quant à eux deux chambres voisines au rez-de-chaussée, la troisième étant réservée aux hôtes de la famille.
C’est avec eux que j’allais désormais partager le patio. Lorsqu’elle avait vu son mari gravir les marches de l’escalier, tenant dans ses bras un chien efflanqué et plutôt sale, Yacine avait poussé un cri de surprise un peu effrayé : Mon Dieu ! Badou !... mais où est-ce que tu as ramassé ce chien si maigre ?! Mon maître avait d’abord répondu par un petit rire malicieux avant de lui expliquer les circonstances dans lesquelles il m’avait recueilli. «C’est tout de même bizarre mais tous ces temps-ci j’étais en train de me dire qu’il nous fallait un chien à la maison et voilà que je trouve celui-ci presque sous les roues de ma voiture ! Tu sais, il s’en est fallu d’un cheveu pour que je l’écrase et si je n’avais pas réussi à freiner à temps, c’était la catastrophe !... » A ces mots, Yacine poussa un petit cri de frayeur et posa la main sur sa bouche, les yeux écarquillés. «Oh mon Dieu ! Mais que faisait-il là, couché au milieu de la route à pareille heure ?...» «C’est bien la question que je me pose encore, répondit mon maître d’un ton dubitatif, c’est étrange, mais c’est comme s’il cherchait à se faire écraser volontairement…» «Tu veux dire qu’il voulait se… suicider ?» «Oui, c’est exactement cela !...» «Voyons Ba-dou, tu n’y penses pas ! C’est impossible ! Le suicide est un acte réfléchi, prémédité, volontaire, il n’y a que les hommes qui se suicident, pas les animaux, les animaux ne tiennent pas de raisonnements…» «Mmm… Je n’en suis pas si sûr…» avait conclu mon maître d’un air songeur tout en me scrutant de son regard pénétrant.
«Bon…» dit-il pour clore cette discussion aux allures métaphysiques (mot que j’apprendrais également au cours des lectures à haute voix que faisait mon maître) «suicide ou pas suicide, je vais tout de suite lui faire prendre un bon bain désinfectant et lui donner à manger car, j’ai l’impression qu’il en a bien besoin» Le bain «miraculeux» avait eu lieu dans le petit bassin carrelé qui se trouvait dans le patio. Plus qu’un simple bain, ce fut pour moi un baptême, prélude à une nouvelle vie.
A suivre…
9 Commentaires
Khiiiif
En Août, 2012 (16:37 PM)Bling Bling
En Août, 2012 (17:49 PM)Parent
En Août, 2012 (17:52 PM)domou ndar
Hgjfgjhfgfg
En Août, 2012 (18:38 PM)Whatchamacalllit
En Août, 2012 (18:48 PM)Avis
En Août, 2012 (01:24 AM)Dixit
En Août, 2012 (01:37 AM)Bonne continuation...
Bof
En Août, 2012 (23:40 PM)Ak
En Septembre, 2012 (06:56 AM)Participer à la Discussion