Qui est Abdoulaye Douta Seck ? Il est né le 4 août 1919 à Saint Louis du Sénégal. Sorti de l’Ecole Nationale William Ponty, il débarque plus tard en France pour suivre des cours d’architecture. De l’architecture en passant par le chant, il aboutit au théâtre. Ainsi, il se verra propulsé peu à peu sur la scène mondiale.
Douta Seck, à vrai dire, fait partie de cette génération d’acteurs dont le talent inouï non mesurable, échappe à l’appellation générique et réductible de « Comédien ». Le foisonnement de ses créations, au théâtre comme au cinéma, atteste de sa fulgurante ascension. D’abord pour coller à la cérémonie de ce soir et pour rendre un hommage à la mesure de la personnalité emblématique de ce comédien hors pair, il faut sortir des sentiers battus et ne pas nous limiter à un exposé biographique de sa vie au théâtre.
Mais plutôt envisager une réflexion critique, une approche prospective du théâtre tel que vu et vécu par l’homme Douta Seck. Aussi, nous allons droit vers l’essentiel, en abordant les grandes lignes de la vie et du parcours de cet homme de théâtre à la dimension exceptionnelle. Pour cerner la personnalité multi dimensionnelle de cet homme, nous avons pris l’attache de Moustapha Mbaye qui est professeur au Conservatoire national et comédien. Il a côtoyé Douta Seck et son témoignage est des plus complets. Il revient avec nous sur le parcours édifiant de ce monument du théâtre africain. Pour cette semaine, le Messager s’associe à cet hommage mérité, pour revisiter la riche carrière du natif de Saint-Louis du Sénégal. A l'Homme polyvalent que fut Douta Seck, il faudrait explorer de nombreux espaces pour évoquer toute son œuvre et le patrimoine immense et riche qu'il nous a laissé.
La riche carrière de Douta Seck
Abdoulaye Douta Seck est né le 4 août 1919 à Saint-Louis du Sénégal, d'un père instituteur puis Directeur de l’école de Saint-Louis, Ibrahima Douta Seck. Il fut un grand combattant et défenseur de la France durant les longues années de guerre. La mère de Douta s’appelait Virginie Seck et descendait d’une longue et noble dynastie d’origine Peulh.
De 1938 à 1946, Douta Seck devient lui aussi, instituteur à Ziguinchor, puis se rend à Dakar. En 1946, Il obtient une bourse d'études de la Municipalité de Dakar, pour continuer ses études d'architecture aux Beaux Arts de Paris. De 1947 à 1954, Douta Seck vient poursuivre ses études d'architecture à Paris. En 1949, il décroche un rôle du sorcier dans la pièce : «L'empereur Jones», mise en scène par Sylvain D'homme (Maison de la Pensée Française - Paris). A partir de 1952, les virus de l’art lyrique et de l’art dramatique l'ont emporté sur celui de l'architecture.
Il devient l’interprète (et le compagnon de vie) de Marie-Louise Vidal de Fonseca, dans ses œuvres et productions radiophoniques et télévisées. Il fait de nombreux concerts chantant les negro-spirituals écrits par l'auteur, dont : «Les Piroguiers Noirs». Il incarne ainsi de nombreux rôles, écrits pour lui par Marie-Louise à la radio et TV, (l’O.R.T.F.), durant ces 5 années. En 1954, il continue au théâtre avec le rôle du coolie, dans la pièce de Berthold Brecht : «L'exception et la règle», mise en scène de Jean-Marie Serreau, au théâtre de Babylone - Paris. Ses partenaires sont alors : Laurent Terzieff, Albert Médina et Jacques Mauclair.
En 1955, il obtient le rôle du gardien de la grotte des bandits, dans le film «Les aventures de Gil Bas de Santillane» (Vascos Film Producciones Benito Perojo). Entre 1954 et 1956, Douta termine ses études musicales à l'École Normale Supérieure de Musique de Paris-classe de Marcelle Gérar- section art lyrique. Il devient alors, «Basse Noble» de la Radio Diffusion Française. Il sort glorieux avec le Diplôme d'exécution vocale de l’École Normale Supérieure de Musique de Paris. En 1955, toujours à Paris, il obtient le Premier Prix «Léopold Bellan».
Dans la même année, il reçoit le Premier Prix «Artiste de Paris-Wurmser». La liste est loin d’être exhaustive et il obtient la Médaille d'or de l’Association de l’Étoile du Bien et du Mérite à Paris, en 1954. Entre 1955 et 1956, il effectue une tournée de concerts de chants classiques, de mélodies modernes, negro-spirituals et mélodies africaines à travers l’A.O.F. (Tournée subventionnée par le Haut Commissariat de l’A.O.F.).
En 1957, Douta hérite du rôle du sorcier dans le film «Tamango» de John Berry. Et il campe le personnage du papa noir dans le film «Les Tripes au Soleil» de Claude-Bernard Aubert.
Il passe l’Examen de «l’Union Professionnelle des Maîtres de Chant Français, où il obtient la Mention «très bien» à l'unanimité (Examen du 1er juin 1958 - degré supérieur).
S’ajoute à son palmarès, le Brevet d'aptitude à la carrière lyrique, décernée par l'Union Professionnelle des Maîtres du Chant Français à l'unanimité du jury (26 avril 1959). En 1960, Douta joue un rôle dans le film d'Yves Ciampi «Liberté», réalisé d'après l'œuvre de Léopold Sédar Senghor.
D'octobre 1959 à juin 1963, il devient le Fondateur et Directeur de l’École des Arts de la Fédération du Mali (puis au Sénégal à la rupture de cette Fédération).
À partir de juin 1963, il dirige un Stage à l'Université Internationale du théâtre (Théâtre des Nations).
La tragédie du Roi Christophe, une pièce qui l’a véritablement consacré.
Le 4 août 1964, le grand auteur Martiniquais, Aimé Césaire écrit un rôle à sa mesure et ainsi naît la Création de «La Tragédie du Roi Christophe», avec la mise en scène de Jean-Marie Serreau, produite par Europa Studio (Maison de production Allemande).
La première représentation a lieu au Landestheater de Salzburg, pendant le Festival Mozart (rôle du Roi Christophe). En 1964 est organisée une grande tournée de la «Tragédie du Roi Christophe» dans toute l’Europe, à Vienne, à Berlin, à Venise (La Fenice), à Bruxelles etc. En Mai 1965 et septembre 1965, une représentation de «La Tragédie du Roi Christophe» se tient à Paris, par «Les amis du Roi Christophe, Compagnie du Toucan». Mise en scène de Jean-Marie Serreau au Théâtre de l'Odéon. Au mois d’avril 1966, la représentation de «La Tragédie du Roi Christophe» à Dakar au premier Festival des Arts Nègres (Théâtre National Daniel Sorano et Stade Demba Diop).
Cette pièce représentait la France. Le grand peintre Pablo Picasso devient son ami et membre du Club de Fans de Douta Seck. En 1967, est créée la pièce d'Aimé Césaire : «Une Saison au Congo» au Théâtre de l’Est Parisien (Douta tient le rôle du peuple). Il s’occupe aussi de la composition des trois-quarts de la musique de scène accompagnée par Eddie Louis et Jean -Pierre Drouet. En 1967, il joue dans «Les Comédiens» de Peter Glennville, d'après une œuvre de Graham Greene.
Il a le rôle du serviteur et du sorcier vaudou OhnGan avec Richard Burton, Liz Taylor Alec Guiness, Peter Ustinov, etc. Entre 1969 et 1970, Douta assure un rôle dans le film «Soleil Noir», (vie de Lumumba) réalisé par Alexef Spechniev en Biélorussie, (Production Biélorussie Films). Il joue le rôle du président de l'Assemblée nationale).
En 1971, on assiste à la Création de la pièce «Béatrice au Congo» de Bernard Dadié au Festival d'Avignon, mise en scène de Jean-Marie Serreau (rôle du Roi).
En 1972, c’est le retour à Dakar, à la demande du Président Léopold Sédar Senghor. Il devient sociétaire du Théâtre Daniel Sorano.
En 1973, création à Dakar, avec une nouvelle mise en scène de Raymond Hermentier, de «La Tragédie du Roi Christophe», à l'occasion de la visite officielle du Président de la République ivoirienne, Félix Houphouët Boigny au Sénégal, sous la présidence de Léopold Sédar Senghor. En 1974, il obtient un rôle dans le film «Xala» d'Ousmane Sembène (personnage de l'aveugle).
En 1976, une longue tournée aux Antilles de «La Tragédie du Roi Christophe», se déroule en Guadeloupe et Martinique.
En 1977, c’est la création de la fresque historique : «L'Afrique et l'homme noir» mise en scène de Jean-Pierre Leurs, au Festival des Arts Nègres de Lagos. (Rôle du Roi Kankan Moussa). En 1978, c’est la création au Théâtre National Daniel Sorano de «Général Manuel Ho» qui est une adaptation de «Gouverneur de la rosée». En 1979, marque la création avec une toute nouvelle mise en scène de «La Tragédie du Roi Christophe» avec la troupe du Théâtre Daniel Sorano. Ils viennent se produire au Centre Beaubourg à Paris, avec un immense succès durant cinq semaines.
En 1981, Douta participe à la grande tournée cinématographique, à travers l'Afrique des « Walt Disney Productions » (Films scientifiques et documentaires présentés à Disney Land, pendant vingt ans (1981-2001). Au cours de cette même année 1981, il joue dans le film «Amok» de S. Ben Barka (rôle du pasteur Mathieu). En 1982, il obtient un rôle dans le film «Pétanki» de Yéo Kozoloa, (personnage du grand-père).
L’année suivante, en 1983, Douta est unique et immense dans le film «Rues Cases Nègres» d'Euzhan Palcy (personnage du grand-père Médouze). Le film obtient le Lion d’Argent du Festival de Venise. En 1984, il est de la partie dans le film «L'aventure ambiguë» de Jacques Champreux, d'après l'œuvre de Cheikh Hamidou Kane (rôle de Thierno). Entre 1984 et 1986, ce sont des représentations du «Mahabharata» de Peter Brooks et Jean-Claude Carrière à Paris, au Théâtre des Bouffes du Nord et au Festival d'Avignon.
En 1989, bien que très malade, à la demande du réalisateur Thomas Arian, Douta Seck se révèle encore, dans le film «Souvenance» (rôle principal et divers rôles dont celui de Dessalines devenu Dieu, pour les paysans Haïtiens. En 1991, en juillet, un hommage de sept jours est rendu à l'artiste Douta Seck, par le gouvernement sénégalais et la France, sous l'égide du Président Abdou Diouf et de l'Unesco, représentée par Dominique Wallon qui viendra lui remettre les honneurs de la France en le faisant « Chevalier des Arts et Lettres ». Cet évènement a lieu au Théâtre Daniel Sorano.
En Juillet 1991, le comédien Sidiki Bakaba réalise un court-métrage - interview, en tête-à-tête avec Douta, pour évoquer l'ensemble de sa carrière. En 199, plus précisément le 5 novembre, Douta Seck, le grand Lion, décède des suites d’une longue maladie qui l'emporte, nous laissant désormais ses ormes, à suivre pour l'éternité.
Faire du théâtre pour faire faire du théâtre
Il avait un réel élan de perfection, une telle rigueur dans le travail, la profondeur de l’émotion, la puissance de la voix, la pureté de la diction, la symphonie gestuelle, combinées à une sensibilité humaine hors du commun. L’homme savait faire du théâtre pour faire aimer le théâtre, pour être au théâtre, pour être dans le théâtre et faire s’épanouir la vie dans et avec le théâtre.
Aussi, le plus grand hommage que l’on puisse lui rendre, l’ultime hommage, c’est de nous évertuer à promouvoir le théâtre ; comme l’a si bien compris Pape Faye, l’initiateur des ‘’Douta d’or’’. Un théâtre de qualité qui véhicule les plus hautes valeurs, les vertus qui rendent possible l’aventure humaine équilibrée et harmonieuse. Il est mort le 5 novembre 1991 des suites d’une maladie. Deux décennies après sa disparition, son ombre continue de planer sur le théâtre africain.
En 1992, la journée mondiale du théâtre lui a été dédiée. Un théâtre à l’image de Douta Seck, à la mesure de sa carrière artistique bien remplie, ne peut, ne saurait promouvoir qu’un idéal de paix, de dialogue, des cultures et des civilisations, un idéal de promotion de la dignité humaine ,un idéal de justice et d’amour. Il s’agit d’un idéal d’épanouissement du génie créateur de l’homme, dans sa dimension universelle. On le voit aisément, sans commentaire aucun. Douta Seck, dans sa pratique du théâtre, dans l’exercice de son métier, a toujours cherché à vivre, à jouir de la plénitude de son art. Et c’est justement cela qui a conféré à son talent de comédien, une dimension mythique.
Moustapha Mbaye a conclu cet émouvant hommage en affirmant : « Douta Seck, c’est aussi une voix extraordinaire, une voix de basse au timbre envoûtant, voix caverneuse qui semble réveiller on ne sait quel esprit d’outre-tombe et qui accule toute sensibilité dramatique, avec comme point d’appui une diction soutenue méticuleuse.
Le débit apprivoisé comme pour emprunter allègrement le mouvement oscillatoire de la violence au plus haut point et du lyrisme originel qui caractérisent la poésie de Césaire. Ses phrasés limpides et d’une fluidité prodigieuse submergent son public.
Le Doyen, comme on aimait l’appeler chez nous, est un véritable mythe. De tous les comédiens qui ont marqué notre époque, il est de loin celui qui s’est placé au centre du théâtre sénégalais voire africain et fait figure de symbole. Voila un Noir au regard inquiétant, au rire qui glace, aux colères effrayantes et qui acquiert soudain une vraie majesté, une autorité incontestable quand il endosse le manteau royal bordé d’hermine et qu’il revêt l’habit brodé d’or », disait-on de lui. A le voir se promener certains soirs sur la Corniche Ouest, non loin de son domicile, déambulant comme lui seul savait le faire, on dirait un démiurge au sortir du Sanctuaire ». Et force est de constater qu’on ne pouvait pas trouver une conclusion plus belle que celle-là et surtout venant de la part d’un proche et disciple de Douta Seck.
M F LO (avec le soutien et l’appui de Moustapha Mbaye, professeur et comédien)
4 Commentaires
Undefined
En Avril, 2011 (21:39 PM)quelle voix
que la terre lui soit légere
ps: pap d'accord av toi
Marou
En Avril, 2011 (00:59 AM)Undefined
En Avril, 2011 (10:41 AM)Douta
En Août, 2011 (16:01 PM)Participer à la Discussion