De la philosophie et des philosophes africains par Mamoussé Diagne Ifan-Karthala 115 pages
Ce livre de Mamoussé Diagne, agrégé de philosophie et professeur à l’Université de Dakar, est un événement qu’il faut saluer.C’est pourquoi nous chercherons à faire connaître aux lecteurs la substance de son texte qui situe très bien le débat relatif à l’existence ou l’inexistence d’une philosophie africaine et qui a mobilisé beaucoup d’intellectuels durant les années 1980.
Pour recentrer le débat, M. Diagne pose deux questions :
1) Le problème n’est plus : Existe-t-il ou non une philosophie africaine (au sens d’une philosophie traditionnelle) ?
2) mais : Quelle tâche ou ensemble de tâches, identifiables selon des critères à définir, se propose d’affronter, ici et maintenant, quelqu’un qui entreprend de philosopher dans et sur les sociétés et les cultures africaines à travers leur expression multiforme ? M. Diagne ne récuse pas totalement la pertinence du débat qui a polarisé une bonne partie de l‘intelligentsia africaine. Il cherche, au contraire, à désigner clairement ses frontières historiques et ses enjeux, dont certains peuvent être perçus comme encore actuels. Mais son intention est bien de faire ressortir la différence entre les deux questions qu’il vient de formuler.
La première a un intérêt historique certain bien perçu par Amady Aly Dieng, Pathé Diagne et Jean-Godefroy Bidima entre autres qui pensaient pouvoir déjà en écrire la chronique.
C’est la seconde qui retiendra essentiellement son attention. Il s’agira de tirer les implications des conclusions auxquelles il est parvenu dans la ‘Critique de la raison orale’ (Karthala 2006) pour faire intervenir dans un débat qui ne les a pas suffisamment pris en charge, selon lui, les rapports susceptibles d’être établis entre la philosophie et les différentes caractéristiques des cultures de l’oralité qu’il a analysées. La seconde phase de la réflexion sera consacrée à des thèmes dont il ne cherchera pas à dissimuler la complexité.
Enfin, dans un troisième moment, M. Diagne tentera de dégager, pour son propre compte, des perspectives correspondant à la façon dont il croit pouvoir articuler, à nouveaux frais, la question de l’intervention philosophique sur les cultures africaines traditionnelles ou contemporaines. Il terminera par des conclusions dont le caractère provisoire n’a d’autre but que d’indiquer une réflexion en cours et qu’il serait présomptueux de vouloir clôturer, alors même que, sur certaines interrogations, elle est à peine initiée.
Dans une brillante synthèse intitulée La philosophie négro-africaine, un philosophe de métier, Jean-Godefroy Bidima rappelle le contexte et les cadres théoriques des débats d’une époque qui est l’époque d’un débat. Pour ce philosophe africain, ‘il n’y a pas une philosophie négro-africaine, on ne parle que des philosophies négro-africaines’. Le contexte est bien celui de la période postindépendance et, dans la quasi-totalité des Etats africains nouvellement créés l’existence de partis uniques en quête de légitimité face aux anciennes puissances colonisatrices et à leurs peuples. La forte teneur idéologique des arguments échangés s’explique par une volonté de rupture des uns au nom d’une spécificité revendiquée qui les poussent à emprunter à l’arsenal des penseurs de la négritude disponible depuis deux décennies. Pendant que les autres contestant tout ce qu’ils considèrent ni plus ni moins comme un masque de la domination politique et idéologique, lui dénient tout fondement crédible.
La figure du missionnaire belge Tempels peut fonctionner comme le paradigme de l’origine, origine comprise non pas au sens chronologique, mais au sens théorique et philosophique. M. Diagne est d’accord avec J.G. Bidima pour reconnaître que La philosophie bantoue du révérend père étant postérieure de dix ans aux premiers grands textes de la négritude, on doit considérer que le texte de Tempels a été comme un ‘prétexte’.
On peut, comme Bidima, répartir schématiquement les interlocuteurs du débat en tempelsiens, c’est-à-dire en continuateurs ou partisans et en contradicteurs ou réfutateurs de Tempels. L’ouvrage de J.G Bidima donne la liste des uns et des autres ainsi que les références de leurs travaux.
Abou Touré et Niamkey Koffi ont mené une contre-attaque politique sur le lien entre science, philosophie et écriture. La riposte de P. Hountondji est cinglante : ‘Yaï, Toué et Niamkey sont des démagogues et des populistes’.
Selon M. Diagne, les adversaires de Hountondji semblent avoir surtout négligé de porter leurs critiques sur la double articulation qu’il instaure entre l’écriture et les sciences d’une part, la philosophie et les sciences de l’autre. Certaines de ses définitions de la philosophie sont influencées par l’héritage de Husserl ou par la leçon d’Althusser définissant à une certaine époque la philosophie comme ‘théorie de la pratique en général’ dénoncée plus tard par lui-même comme une ‘déviation théoriciste’.
Le débat sur l’existence ou non d’un sujet philosophant dans l’Afrique noire traditionnelle emprunte l’allure de ce que Mamoussé Diagne peut appeler le drame d’Hamlet : être (= philosopher) ou ne pas être (= ne pas philosopher).
Si les ethnophilosophes ont eu le mérite de partir de l’étude des cultures en cause et notamment des langues parlées par les peuples examinés ou des différents genres de ce qui a été appelé orature (mythes, proverbes, contes, etc.), ils n’ont pas pu éviter une double faute. D’une part une dilation indue du concept de philosophie, qui leur fait perdre son statut technique au profit de sa conception vulgaire à désigner toute vision du monde ; d’autre part un mécanisme de projection par lequel la trituration des matériaux accumulés par l’ethnologie est indûment présentée comme la philosophie des ancêtres des Africains, alors qu’elle n’est que celle de l’interprète.Les critiques que les uns et les autres se jettent à la figure fait intervenir l’hétéronomie sous ses différentes modalités : aliénation, extraversion pour les uns, eurocentrisme, scriptolâtrie pour les autres.
Cheikh Anta Diop admet qu’il a ‘une initiation commune grecque et africaine en Egypte’. En partant du même legs, par son génie propre et de conditions historiques particulières, la Grèce a pu faire émerger un mode de pensée débouchant sur le Timée de Platon et la Métaphysique d’Aristote. Mais, une évolution dans l’espace africain, à partir d’autres circonstances toutes aussi particulières, a donné quelque chose de différent, Cheikh Anta Diop lui-même semble prendre acte de ce fait, lorsqu’il note que ‘la tradition initiatique africaine dégrade les pensées quasi-scientifiques reçues à des époques très anciennes au lieu de les enrichir avec le temps’ (Civilisation ou barbarie, 1981, p. 405). Mamoussé Diagne a lors du Symposium tenu à Dakar du 19 au 25 avril 1982 avancé comme facteurs de régression historique, les inconvénients de la gestion secrète des savoirs et des savoir-faire, ainsi que la perte de souveraineté politique de l’Egypte, intervenue avec les invasions successives des peuples moins avancées et le caractère initiatique de la science égyptienne.
Si la philosophie n’est pas la pensée, mais une modalité de la pensée, force est de reconnaître qu’elle n’est que pour autant qu’elle est exprimée dans un discours. Dès lors, il est important de s’interroger sur le type de support de ce discours. Les ethnophilosophes et leurs adversaires n’ont pas suffisamment mis l’accent sur le médium au travers duquel se fait leur expression. Le projet consistant à isoler la langue pour en extraire tout le système de pensée de tout un peuple semble peu pertinent, selon M. Diagne.
La philosophie s’est constituée en rupture en Grèce plus en rupture qu’en continuité avec les formes du savoir traditionnel. Exactement comme la Cité, dont l’émergence est celle d’une entité originale, rapportée aux structures d’organisation politique antérieures. Dans le propos platonicien s’opérait le phénomène de la distanciation avec le discours mythique. Le rapport différencié aux contenus (adhésion rationnelle d’un côté, créance fondée sur la doxa de l’autre) donne la mesure de l’écart entre les deux domaines.
Ce livre de Mamoussé Diagne mérite d’être lu non seulement par les philosophes, mais aussi par des non philosophes africains. Il ouvre de vastes avenues aux chercheurs africains qui s’intéressent aux relations entre l’écrit et l’oralité en Afrique noire.
14 Commentaires
Salougo
En Novembre, 2011 (04:12 AM)Reply_author
En Novembre, 2022 (10:46 AM)Tiotou Bouki(dof Bou Wer)
En Novembre, 2011 (06:54 AM)Levirus
En Novembre, 2011 (11:46 AM)Baye
En Novembre, 2011 (15:26 PM)Hendrix
En Novembre, 2011 (17:29 PM)Astou22
En Novembre, 2011 (18:15 PM)Muslimun
En Novembre, 2011 (19:13 PM)Wa salam
Manu Chao
En Novembre, 2011 (13:06 PM)Je pense, si on ne peut plus clair, éviter de nous poser ce genre de question qui renforce cette propension que nous avons à nous fermer dans nos microcosmes de culturalisme, qui plus est, se regle souvent dans l idéalisation et l idéologisation. Je vais essayer de poser la question autrement: avons nous connaissance d un philosophe africain ayant philosophé en Afrique des époques precoloniales? Pas à ma connaissance. D aucuns me diront Kocc Barma. De lui, nous est parvenu quatre, cinq adages tels que Jiggéén Soppal da bul Wolu, Buur du Mbokk, etc... Preceptes qui n ont aucune valeur philosophique.
Ma conviction est que l africain n est pas plus con ou plus intelligent que ceux des autres régions du monde. L histoire a, à un moment donné, pris ici un cours qui ne favorisait pas l emergence des sciences. Cela dit, j inscris tous ces errements dans le compte des traumatismes liés à la colonisation sans oublier que la force d un peuple, c est aussi sa capacité de s affranchir d une histoire subie pour se faire l acteur de sa propre histoire voulue. Marchons à l aise dans ce monde.
Manu Chao(suite)
En Novembre, 2011 (14:44 PM)Hugo
En Novembre, 2011 (22:49 PM)Degg ngua
Mascot
En Mars, 2014 (18:16 PM)Anonyme
En Mai, 2017 (18:09 PM)Philemon
En Mai, 2017 (09:30 AM)Yaya
En Octobre, 2017 (20:34 PM)Participer à la Discussion