
Pour parvenir au dividende démographique, il est suggéré, aux pays africains, de s’inspirer des «Tigres asiatiques», particulièrement de la Thaïlande qui constitue incontestablement un modèle. Le dividende démographique résultant de la baisse de la mortalité et de la fécondité, les investissements dans la santé des enfants et des femmes, à travers notamment des programmes de planification familiale efficaces, dans l’éducation, la bonne gouvernance, sont aussi nécessaires pour pousser l’Afrique à tendre vers l’émergence économique.
(ABIDJAN) - «L’Afrique doit relever le défi du dividende démographique». Telle est la conviction du démographe-statisticien sénégalais, Cheikh Mbacké, qui prend part à la sixième réunion annuelle conjointe de la Conférence des ministres de l’Economie et des Finances de l’Union africaine (Ua) et des ministres africains des Finances, de la Planification et du Développement économique de la Commission économique pour l’Afrique (Cea) (Abidjan, 21-26 mars 2013). Selon lui, le continent africain est le seul qui est encore à un niveau de dividende démographique naissant. «Il ne s’est pas encore entièrement révélé, alors que les autres continents ont fini de bénéficier du dividende démographique ou sont en plein dans sa matérialisation», indique-t-il, soulignant que «le dividende démographique caractérise le bénéfice provenant des changements que nous observons dans la structure par âge de la population qui est subséquent à une baisse de la fécondité, une amélioration de la santé des femmes et des enfants qui peut contribuer au changement économique». Concrètement, le dividende démographique intervient quand la croissance économique résulte de la baisse de la mortalité et de la fécondité d’un pays donné et de l’évolution de la pyramide des âges. Une croissance économique soutenue est donc tributaire d’un certain nombre d’investissements permettant d’abord de réaliser le dividende démographique qui est, selon James Gribble de l’Ong Population référence bureau (Prb), «une opportunité d’accélérer la croissance économique». D’ailleurs, note Mme Sheila Macharia, représentante du comité directeur de l’Ua et de la Cea, pour récolter le dividende démographique, il est indispensable de baisser les forts taux de fécondité enregistrés en Afrique. Elle s’est appesantie sur un pays comme la Thaïlande pour étayer son argumentaire.
Si dans les années 60, la Thaïlande présentait les mêmes similitudes que la plupart des actuels pays africains, avec des femmes ayant en moyenne 6 enfants, l’indice synthétique de fécondité a chuté à 2 enfants en moyenne dans les années 90. De l’avis de la représentante du comité directeur de l’Ua et de la Cea, les investissements dans la planification familiale volontaire ont permis d’arriver à une forte baisse de la fécondité en Thaïlande, grâce à une grande utilisation de la contraception. Aujourd’hui, avec un taux d’utilisation de la contraception estimé à environ 80%, le nombre moyen d’enfants par femme y est évalué à 1.5.
S’inspirer des «Tigres asiatiques»
Pour parvenir au dividende démographique, il est ainsi suggéré aux pays africains qui sont encore à la traîne, de s’inspirer des «Tigres asiatiques», particulièrement de la Thaïlande qui constitue incontestablement un modèle pour les Etats africains qui peinent à réussir la transition démographique. A cet effet, ils doivent essayer de transformer leurs perspectives démographiques pour se mettre dans une position permettant de récolter le dividende démographique. Mais, cela n’est possible que si le système de santé est amélioré et qu’un engagement accru est manifesté en faveur de la planification familiale.
C’est pour cette raison que les Nations Unies recommandent aux différents pays de prendre en compte, dans leur planification du développement, les aspects relatifs à la population, au changement démographique, rappelle le démographe Cheikh Mbacké. Il soutient qu’aujourd’hui, les économistes ont pu développer des outils permettant de mesurer cette contribution du changement démographique dans le développement. L’ expert regrette que la fécondité soit encore très élevée dans le continent africain qui se situe toujours dans une phase d’expansion de la population. Les forts taux de fécondité sont surtout relevés en Afrique occidentale où les programmes de planification familiale n’ont pas encore eu beaucoup d’effets dans la plupart des pays, contrairement à l’Afrique australe et orientale qui enregistrent des taux de fécondité beaucoup moins élevés, avec de forts taux d’utilisation de la contraception. « En Afrique de l’Ouest, on est à une phase d’extension du planning familial. Les taux de prévalence contraceptive sont relativement bas», relève le démographe Cheikh Mbacké.
Seulement, l’espoir est permis, avec les pays francophones d’Afrique de l’Ouest qui sont en train de travailler pour changer la tendance de la forte fécondité. Dans ce cadre, Cheikh Mbacké informe que 3 pays, à savoir le Sénégal, le Burkina Faso et le Niger ont finalisé leurs plans d’actions. Ils sont en train d’être aidés par un consortium de donateurs. Toujours est-il que les pays africains, dans leur majorité, doivent s’engager dans les investissements relatifs à la survie des enfants, à la baisse de la fécondité, à l’éducation, à la bonne gouvernance. Entre autres secteurs clés, qui, à côté de politiques économiques efficaces et efficientes, peuvent permettre de faire le saut pour atteindre l’émergence.
Quelques avantages du dividende démographique
Sur les avantages du dividende démographe, le démographe-statisticien Cheikh Mbacké souligne que c’est ce que les économistes sont en train de nous montrer dans les outils qu’ils ont mis en place. Selon lui, quand la pyramide des âges est encore très jeune, et que chaque cohorte qui vient est toujours plus importante que celle qu’elle suit, on a beaucoup d’enfants qui consomment beaucoup de ressources. Il cite l’exemple de la vaccination, de l’éducation, de la santé d’une manière générale. On investit donc beaucoup de ressources qui pourraient être injectées dans le développement économique, si la fécondité baissait. En ce moment, «ce qui devrait être investi dans l’entretien des enfants peut servir à développer l’économie dans l’avenir», estime le démographe-statisticien.
Poursuivant, il avance que si on parvenait à satisfaire les besoins des femmes qui veulent adopter une méthode contraceptive et qui n’y ont pas accès, cela aurait un impact. «Donner le planning familial aux femmes qui en expriment le besoin aiderait beaucoup à faire baisser la fécondité. Le gain immédiat réside dans le fait que les femmes auraient beaucoup plus de temps à investir dans le travail que dans l’entretien des femmes », indique le consultant Cheikh Mbacké.
Planification familiale : Pas question d’imposer la limitation des naissances
S’exprimant sur la planification familiale, le démographe-statisticien Cheikh Mbacké est d’avis qu’il ne faut pas «forcer les gens à adopter» la contraception. «On ne peut pas imposer la limitation des naissances aux populations», déclare-t-il. Son argument: «la limitation des naissances, c’est dire aux gens qu’il faut arrêter d’avoir des enfants, alors que le choix doit être individuel». Donnant l’exemple du Sénégal, il indique que l’espacement des naissances y est réel. «L’intervalle entre les naissances est d’environ 34 mois, alors que l’intervalle d’espacement dangereux des naissances se situe à moins de 24 mois».
Toutefois, il reconnaît qu’il y a une certaine contradiction de vouloir réduire la fécondité uniquement avec l’espacement des naissances. Car, «une femme qui commence à avoir des enfants à 18 ans va se retrouver, à 40 ans, avec 11 enfants, si l’intervalle entre les naissances est de 24 mois», justifie-t-il. Seulement, il estime que les responsables politiques ne peuvent pas imposer une limitation des naissances aux populations. «Il faut informer les populations. Je crois qu’il y a un problème de parenté responsable. Pourquoi faire des enfants quand on sait qu’on ne peut pas les prendre en charge», s’interroge-t-il, soutenant que la politique la plus appropriée est de se focaliser sur la satisfaction des besoins des femmes qui expriment le besoin d’espacer la naissance de leurs enfants, mais qui n’ont pas accès aux méthodes et produits de la contraception.
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