Avec la pandémie de la Covid-19, certains nourrissent des craintes quant au respect des dates retenues pour le démarrage de l'exploitation des projets pétroliers et gaziers. Mais, pour Mamadou Fall Kane le secrétaire permanent adjoint du Cos-pétrogaz, il n'y a pas à s'inquiéter outre mesure. Selon M. Kane, le retard concerne principalement le projet gazier de Gta dont le démarrage de la production de Gnl est prévu pour 2023 au lieu de 2022, tandis que le développement du projet pétrolier de Sangomar suit son cours normal et pourrait être complété dans les délais.
Monsieur Kane, le site internet du journal français Le Monde a publié, le 22 mai dernier, un article intitulé : "Au Sénégal, les perspectives d'exploitations pétrolières s'éloignent une fois de plus". Les auteurs estimant que le pays doit revoir ses plans du fait de la pandémie de Covid-19 qui a bouleversé le secteur mondial des hydrocarbures. Etes-vous de cet avis ?
Je vous remercie de nous permettre de rectifier des inexactitudes contenues dans cet article pauvrement documenté avec un titre racoleur qui n'est pas allé chercher les bonnes sources.D'abord, le calendrier de développement d'un projet pétrolier ou gazier est déterminé au moment de la prise de décision d'investissement du projet, plus précisément lorsque toutes les parties prenantes concluent les accords liés au financement du projet et la fiscalité s'y adaptant pour garantir son économicité ou en d'autres termes sa rentabilité. Aussi bien, sur le projet gazier de GTA commun avec la Mauritanie, que sur le projet pétrolier de Sangomar, les décisions finales d'investissement ont été prises respectivement en décembre 2018 pour un début de production attendu en 2022, et en janvier 2020 pour un début de production attendu en 2023. En plus, le retard concerne principalement le projet gazier de GTA dont le démarrage de la production de GNL est prévu maintenant pour 2023 au lieu de 2022car le développement du projet pétrolier de Sangomar suit son cours normal et pourrait être complété dans les délais.
Donc, vous voyez bien qu'il n'y aura qu'un seul projet qui sera retardé à cause d'une force majeure due à la pandémie Covid-19. Il n'y a vraiment pas de quoi en faire un drame, c'est quelque chose de normal dans l'exécution de tout projet complexe. Pour rappel, le secteur des hydrocarbures a subi un premier choc le soir du vendredi 6 mars 2020 lorsque la Russie décida de ne pas appliquer les quotas de production demandés par les pays de l'OPEP, ce qui engendra une baisse des prix de plus de 26% dès le lundi 9 mars. A cette situation, s'ajoutent les conséquences de la pandémie du COVID-19. En effet, du fait des mesures de restrictions, la demande mondiale en hydrocarbures a chuté, ce qui accentue encore la crise dans le secteur. Cette crise a eu des conséquences négatives sur beaucoup de projets pétroliers et gaziers en Afrique, et beaucoup de décisions finales d'investissement (DFI) ont été repoussées. Le Sénégal, jusque-là, fait figure d'exception en termes de rapidité de prise de décision. Par exemple, le fait d'avoir réussi à atteindre une décision finale d'investissement en 3-4 ans, pour le projet GTA, est juste remarquable et exceptionnel pour un gisement en eau très profonde car il faut en moyenne 7 ans entre la découverte du gisement et la prise de décision finale d'investissement. Cette performance a été inscrite dans les annales de l'histoire du LNG et a valu une distinction de l'industrie pétrolière "Fastest discovery to sanction in LNG history" (voir illustration). Cet exploit a été possible grâce au leadership et à l'engagement du Président Macky Sall. Tous nos projets, que ça soit GTA ou Sangomar ont déjà validé leur DFI (décision finale d'investissement) et sont en cours d'exécution. Même si le début de la production se voit repousser de quelques mois du fait des conséquences de la crise actuelle qui. N'épargne aucune industrie, cela ne change en rien sur l'agenda du Sénégal. En fait, nous ne serons qu'au début de l'exploitation et les retombées s'étalent sur des dizaines d'années, pas que sur une seule année.
Le fait que certains partenaires aient évoqué le cas de force majeure qui pourrait impacter les délais de livraison comme l'a indiquée Petrosen dans son communiqué du 10 avril n'accrédite-il pas cette thèse ?
Le "cas de force majeure" est lié à la pandémie Covid-19 et ses impacts peuvent effectivement engendrer des retards sur les projets pétroliers et gaziers mais cela ne veut nullement dire que c'est la fin des projets, ou la fin du rêve pétrolier et gazier comme ça a pu être insinué. L'économie du projet ne change pas, les recettes attendues non plus.
L'une des leçons les plus importantes que cette crise nous apprend, est à quel point l'environnement pétrolier et gazier est volatile et sensible aux chocs externes. Certaines prévisions de 2018 sur les prix du baril du pétrole estimaient que ce dernier serait aujourd'hui autour de 70$, alors que le baril tourne autour de 35$ actuellement. Cela montre que nous devons faire preuve d'humilité dans l'analyse des perspectives d'évolution dans ce secteur. Aucun expert du secteur, même les acteurs de référence ne peuvent prédire avec acuité ce qui arrivera dans 2 ans. Néanmoins, les prévisions se feront normalement comme toujours car elles permettent d'avoir des grilles d'analyses et de lectures pour pouvoir faire des anticipations rationnelles. Donc, l'histoire de cette industrie nous enseigne que la prudence est une vertu dans ce secteur lorsqu'il s'agit de donner son opinion. Malheureusement, le sujet est tellement pollué par les professionnels de la politique politicienne que les sénégalais sont souvent déroutés parles prophéties catastrophistes de ces imprudents plus souvent atteints de souffrances liées à une blessure narcissique ou un malaise existentiel. Par conséquent, il faut que le débat soit porté et nourri par les professionnels du secteur et c'est surprenant de voir le quotidien français le Monde, journal libre de référence internationale, interroger que des politiciens pour traiter d'un sujet aussi technique et pointu. Mais enfin, comme disait Spinoza : "la liberté est l'ignorance des causes qui nous déterminent…"
Semble-t-il, fin avril 2020, l'australien Far, dont la participation dans le projet Sangomar s'élève à 15 %, se serait retiré du financement. Pouvez-vous confirmer ?
FAR Ltd fait toujours partie de la joint-venture qui va développer et exploiter le champ de Sangomar. Ce projet a un coût total de 4,2 milliards USD, soit plus de 2000 milliards de FCFA. Chaque partie prenante, tout comme la Petrosen doit trouver les moyens de financer sa part. Actuellement, toute l'industrie pétrolière est affectée par la chute des prix car en deçà d'un prix du baril à 40$, leur bilan en prend un sacré coup. Les compagnies pétrolières sont obligées de réduire leurs coûts ce qui se traduit par une diminution de leurs charges et une suspension de leurs investissements relatifs à certains projets surtout d`exploration. Pour l'instant, FAR Ltd honore ses engagements au sein de l'association pétrolière avec Woodside, Cairn et Petrosen. Le projet n'est pas du tout à risque, les chantiers de construction du FPSO se déroule normalement et les premiers forages sont toujours prévus en début d'année prochaine.
D'ailleurs, selon le CEO de Woodside Peter Coleman si FAR Ltd ne parvient pas à financer sa part, celle-ci pourrait être diluée au sein de la joint-venture pour palier à ce risque. Je rappelle que PETROSEN détient 18% des parts dans l'association avec Woodside, Cairn et Far contrairement à ce qui est écrit dans l'article qui lui attribue que 10%. Encore un manque de rigueur qui traduit le peu de sérieux dans le travail effectué. Ainsi, en plus de la participation des 18% des parts de Petrosen dans l'association pétrolière et des parts de l'État qui représentent une bonne partie des futures recettes, le Sénégal gagnera au total plus de 58% des profits du pétrole pour une production moyenne de 100 000 barils par jour.
Quant au gisement gazier Gta, le géant pétrolier britannique BP, qui en détient 60 %, aurait lui aussi brandi un "cas de force majeure" pour retarder d'un an l'installation de sa plate-forme offshore aux larges des côtes sénégalo-mauritaniennes. Qu'en est-il ?
Ce cas de force majeure est principalement dû aux conditions météorologiques en mer pour l'installation des 21caissons construits au port de Dakar pour la réalisation du brise lame au large de Saint Louis. La fenêtre de posage et d'installation de ces caissons se fait généralement entre juin et octobre période où. Les conditions météorologiques sont plus favorables. Ce qui est impossible à effectuer cette année avec l'impact du Covid-19. Donc, vous comprendrez bien que ce cas de force majeure explique un retard acceptable de quelque mois.
Au regard de tous ces chamboulements, peut-on dire que le rêve pétrolier et gazier, du moins à l'horizon qui était fixé, s'éloigne encore un peu plus pour les Sénégalais ?
(Rires…) Vous savez, nous ne considérons pas l'exploitation de ces ressources comme un rêve ou un cauchemar, c'est un simple moteur supplémentaire de création de richesse pour accélérer nos ambitions de développement économique et social. L'ambition du Chef de l'État est de garantir la bonne gestion pour une utilisation optimale des futures recettes d'hydrocarbure. C'est-à-dire augmenter nos moyens pour financer les besoins en infrastructures sanitaires et d'éducation, réaliser des investissements productifs et faire des placements d'une partie des revenus dans un fonds pour garantir la solidarité intergénérationnelle. Cette vision fera l'objet d'une loi qui sera présentée à l'assemblée nationale avant le début de la production. Ainsi, l'attente des sénégalais est de voir leurs conditions de vie s'améliorer dans les années qui suivront le début de la production, ce qui est légitime et il est de la responsabilité du Gouvernement de s'y atteler… Donc, il n'y a aucune euphorie encore mois de lubies dans la perspective d'exploiter ces ressources. Néanmoins, il faut surtout considérer les effets induits pour notre économie dans une perspective de transformation industrielle et de mise en place de chaines de valeur du gaz.Toutefois, il faut rester humble et encourager l'investissement dans l'exploration et espérer avoir d'autres découvertes pour augmenter nos capacités de production. Nous ne sommes qu'au début et il faut en général 40 à 50 ans de production pour atteindre la maturité dans cette industrie. Je dirai même que nos débuts sont très encourageants et que le l'optimisme doit être de mise.
Quelles pourraient être les conséquences économiques de ces nouveaux délais ?
Il n'y aura aucune conséquence négative car le Chef d'État avait décidé de décarreler les prévisions budgétaires et les futures recettes pétrolières.
Pour certains, le report de l'exploitation peut avoir des effets positifs. Le pensez-vous vraiment ?
Oui pour certains aspects liés au coûts de développement des projets pétroliers car avec des prix bas du baril, les compagnies de services sont impactées et cela nous met en position de force dans les négociations à travers nos partenaires, par exemple, sur le projet de Sangomar, nous avons pu économiser quelques centaines de millions de dollar. Cependant, de façon plus globale, un retard dans un projet a toujours un coût donc, tout dépend de la manière dont vous regardez la problématique.
Comme tout le monde, le Cos-pétrogaz a été pris de cours par les effets de la pandémie de la Covid 19. Avez-vous déjà amorcé la réflexion pour préparer l'après-Covid et intégrer les chamboulements qu'il a induira ?
Effectivement, c'est toute l'industrie qui a été prise de cours. Avec le recul, s'il y a une chose dont on se rend compte aujourd'hui, c'est que le Chef de l'État a eu raison d'accélérer les prises des décisions finales d'investissement sur les projets de GTA et Sangomar. Car, vu la situation actuelle, les conséquences sur ces projets seraient très négatives et probablement ils seraient simplement suspendus ou reportés aux calendes grecques.Je dirai plus tôt qu'il faut tirer les enseignements du Covid- 19 par anticipation en considérant plus d'agilité et d'adaptabilité dans tous les projets de manière générale. Nous réfléchissons avec toutes les parties prenantes sur la mitigation et la réduction des retards potentiels sur les projets.
Où en étiez-vous avec l'intégration de la société civile dans le Cos-pétrogaz comme l'avait promis le chef de l'État ?
La décision a été annoncée par le Président de la République, il ne faut pas oublier l'ouverture à l'opposition également. Pour cela, il faudra modifier le décret portant création et organisation du COS PETROGAZ. C'est juste un acte administratif qu'il faudra prendre. La volonté du Président MackySall est la recherche d'un consensus fort sur la transparence de la gestion de ces ressources naturelles au bénéfice des populations.
Le Cos-pétrogaz est le bras stratégique de l'État dans la gestion des ressources pétrolières et gazières en ce sens qu'il est chargé d'assister le Président de la République et le Gouvernement dans la définition, la supervision, l'évaluation et le contrôle de la mise en œuvre de la politique de l'État en matière de développement de projets pétroliers et gaziers. Depuis sa création en en 2016, qu'est-ce qu'il a fait de concret ?
Comme vous l'avez si bien présenté, le COS-PETROGAZ est le bras stratégique de la présidence de la république en matière de pétrole et de gaz. En ce sens, nous sommes partie prenante dans les travaux impliquant le pétrole et le gaz au Sénégal. Nous avons dirigé et coordonné les négociations avec la Mauritanie sur l'accord inter-gouvernemental pour l'exploitation du gisement gazier de GTA avec les ministères en charge du pétrole et des finances et Petrosen. Dans le cadre du soutien aux négociations avec les compagnies pétrolières, nous avons recruté des cabinets d'avocats de catégorie 1 dans le monde comme Cleary Gottlieb Hamilton pour nous assister dans les accords juridiques et les négociations, ou encore des cabinets d'ingénierie pétrolières et fiscales comme Gaffney Clines and Associates pour le soutien aux négociations transactionnelles avec BP et Woodside sur le financement et l'accord État-Hôte. Toute cette assistance est un standard dans cette industrie car les compagnies pétrolières, elles même, ont recours quasiment aux mêmes types de cabinets. Avant, nous avons pu avoir l'assistance technique de la Banque Mondiale pour un montant de 29 millions de dollar, une ligne de crédit logée à l'unité de gestion et d'exécution (GES PETROGAZ) pour les besoins de renforcement de capacité et de soutien aux négociations par le recrutement d'experts et de cabinet en cas de besoin.
C'est grâce à la mobilisation de toutes ces ressources et par le leadership du Président Macky Sall que nous avons pu réaliser ces success story. Donc, je peux vous dire que nous sommes bien outillés et armés pour défendre sans complexe les intérêts du Sénégal. Nous pouvons aussi parler de la création et de la mise en œuvre de l'Institut National du Pétrole et Gaz, l'INPG dont l'objectif est de promouvoir la montée en puissance des compétences locale afin de bâtir une administration pétrolière à la hauteur des enjeux et fournir au secteur privé une main d'œuvre qualifiée.
Le COS-PETROGAZ s'est vu confié par le Président de la République la charge de la définition de la stratégie du contenu local, qui vise à promouvoir le secteur privé national ainsi que la main d'œuvre locale dans nos opérations pétrolières et gazières. Cela a mené à l'adoption de la loi sur le contenu local. Nous avons également dirigé, en collaboration avec le Ministère du pétrole et des énergies et Petrosen en incluant le secteur privé et la société civile, dans ces réflexions qui ont conduit à l'élaboration des décrets d'application de la loi sur le contenu local. Le COS-PETROGAZ joue également un rôle très important de coordination et de conseil entre les différentes entités que compose le secteur de l'énergie. Nous participons également à la promotion du bassin sédimentaire de la région, lors des rencontres avec de potentiels investisseurs ou lors des licensing round, dont les derniers en date étaient ceux de Londres et de Houston.
Enfin, le COS-PETROGAZ joue un rôle de veille stratégique en menant des études, en faisant de la prospective sur les champs de possibilités de transformation de nos hydrocarbures par leur valorisation industrielle, dans le cadre du Gaz Master Plan en cours d'élaboration, en explorant par exemple les possibilités de créer des industries pétrochimiques en utilisant notre gaz, son utilisation par exemple dans nos transports ou comment créer plus de valeur ajouté pour notre gaz grâce à une transformation locale pour s'insérer dans les chaînes de valeur régionales ou mondiales, utiliser le gaz pour booster nos industries minières, etc. Toutes ces études, tous ces rapports contribuent à éclairer les décisions du Président de la République et de son Gouvernement dans le cadre la mise en œuvre des politiques publiques.
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