
Pas de terme approprié pour qualifier ce drame qui ne quittera pas de sitôt nos mémoires. L’irresponsabilité des adultes que nous sommes aura entraîné la mort atroce de neuf enfants partis sans prévenir, des marmots qui n’auront eu droit ni à une vie décence, ni à une mort digne.
Ce matin, en croisant un talibé dans la rue, chacun de nous essaiera de s’imaginer le sort qui a frappé les enfants de la Médina, les difficiles conditions dans lesquelles ils ont fini leur existence, à la merci du feu dont ils auront été les combustibles.
D’ordinaire on ne les voit pas ou on refuse de les voir, ces talibés pourtant bien visibles même les yeux fermés. Vêtus de haillons, pieds nus, la tête crasseuse ; ils sont ces marginaux que personne n’invite dans son salon ou dans sa salle à manger: leur donner l’aumône nous suffit, tant nous les méprisons au point d’éviter tout contact corporel les concernant.
Ils sont ces va-nu-pieds que nous croisons au bout de la rue sans leur prêter attention, ils sont ceux que nous gavons de restes de nourritures à midi, le soir et au petit matin, cette nourriture que nous n’osons donner à nos enfants propres.
Les talibés, ce sont ces marmots dont les géniteurs se soucient peu de leur état de santé, de leurs conditions de vie et d’éducation dans les daaras, si le terme n’est trop fort voire inapproprié pour désigner les baraquements dans lesquels s’entassent des enfants réputés passer une bonne partie de la journée dehors, dans la rue, devant les feux de circulation, dans les gares, marchés et autres lieux d’attraction. Dévoués qu’ils sont, à leur activité quotidienne de prédilection : la mendicité. Pas étonnant qu'ils mémorisent les « sourates » de la mendicité mieux que les versets du coran.
Les talibés, ce sont aussi ces enfants venus d’ailleurs, de pays limitrophes à qui nous ouvrons nos frontières sans contrôle, sans leur garantir ni hébergement ni nourriture. Une situation qui ne peut plus durer. Car il est déjà difficile pour un adulte de périr dans ces conditions, il l’est d’autant plus pour un enfant, de servir de combustible à un brasier que rien n’arrête, pas même la promptitude des soldats du feu réputés arriver sur les lieux une fois le drame passé.
Nous tous y avons notre part de responsabilité. Nous qui encourageons de manière directe ou indirecte la mendicité infantile, pensant bien faire alors que nous remplissons les tirelires de leurs maîtres de daaras, nombreux à faire de la traite et de l’exploitation des enfants, leur gagne-pain.
La banalisation de la mendicité infantile, chaque Sénégalais y a sa part de responsabilité. On laisse pousser les daaras hors-norme comme des champignons, on laisse s’installer ces exploitants et trafiquants d’enfants dans des hangars et bâtiments inoccupés, dans des abris de fortune ; on laisse leurs talibés envahir les rues, les quartiers environnants, assaillir les populations dans une mendicité agressive. On joue la complicité, par humanité.
A Dakar comme dans les villes du pays, l’étranger le moins averti peut se rendre compte de la mendicité grandissante des tout-petits. Car au Sénégal, le sort des enfants domiciliés dans la rue, a fini d’émouvoir. L’émotion générale de ce jour, rappelle-t-il le lendemain du naufrage du Joola. On parlera de ces enfants morts brûlés, toute la semaine, tout le mois s'il le faut, on fera des déclarations, des commentaires, et demain, on passera à autre chose, notre mémoire de poisson rouge aura pris le dessus, alors que le sort des enfants, lui, restera le même. Parce que nous avons fini de nous émouvoir ! Surtout lorsqu’il s’agit du sort des talibés, devenu une banalité.
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