
A la tête de l’une des centrales syndicales les plus représentatives du pays, Mamadou Diouf a été aux premières lignes de nombreuses luttes qui ont abouti à l’amélioration des conditions de travail et de vie du travailleur sénégalais. Mais, aujourd’hui, le chef de file de la Confédération des Syndicats autonomes du Sénégal (Csa), ne semble pas content de la voie dans laquelle s’engage la lutte syndicale. Regrettant une domination des revendications «alimentaires» sur la réflexion, il est aussi revenu, dans cet entretien accordé à Seneweb, sur l’histoire de la fête du 1er mai, l’évolution du sort du travailleur sénégalais, la récurrence des grèves, la multiplicité des jours de fête et leur impact etc.
Mamadou Diouf : Le 1er mai 1886, il y a eu un mouvement à Chicago qui a paralysé la plupart des entreprises, avec plus de 400. 000 travailleurs en grève. Après le 4 mai, toujours en 1886, il y a eu un massacre d’ouvriers lors d’une manifestation d’ouvriers. Les manifestants jetaient des explosifs sur les policiers qui ont riposté. Il y a eu des dizaines de morts dont des policiers. Et trois ans après, en 1989, cela a coïncidé avec la commémoration du centenaire de la révolution française. La deuxième internationale, réunie à Paris, a décidé de faire du 1er mai la fête internationale du travail. Mais c’est avec le régime de Vichy, qu’elle sera une journée chômée et payée. Quand en 1989 les camarades de la deuxième internationale ont décidé de faire des manifestations et de célébrer la journée, c’était pour régler le problème de la journée des 8 heures : 8 heures de travail, 8 heures de loisirs et 8 heures de sommeil. C’était pour engager cette bataille. Mais la base, c’est la commémoration du mouvement du 1er mai 1886.
Depuis 2012, le régime de Macky Sall est aux commandes. Le sort des travailleurs s’est-il amélioré depuis?
Le nouveau régime a pris des mesures comme la baisse de la fiscalité sur les salaires, la signature d’un pacte de stabilité et d’émergence etc. Disons que dans la gestion des relations sociales, il y a peut être un pas. Il y a la tenue de la conférence sociale, la signature d’un pacte. Mais ça, ce sont des instruments qui sont mis en place. Maintenant, il faut mettre en branle ces instruments pour voir ce que ça va donner pour les travailleurs. Le pacte et la feuille de route sociale peuvent être des leviers sur lesquels on pourrait avancer dans le cadre de l’amélioration des pratiques revendicatives et des nouvelles conquêtes des travailleurs, si chacun joue son jeu. Mais, pour l’essentiel, nous avons des préoccupations qui demeurent. Le cout de la vie, il y a eu au départ une baisse sur les prix de certaines denrées. Mais, pour l’essentiel, le gouvernement doit poursuivre. Le secteur de la santé et de l’éducation sont en ébullition. Ce sont des foyers qu’il faut éteindre. Mais l’environnement des relations professionnelles s’est amélioré. Il y a aussi la généralisation de la retraite à 60 ans qui est un acquis important dans le secteur privé. Ce fut une longue et vieille bataille qui a connu son épilogue avec le nouveau régime.
La productivité reste très faible chez nous. Les travailleurs n’y ont-ils pas une grande part de responsabilité ?
Les travailleurs sont tout juste un élément. Mais il faut reconnaitre que la grande productivité qui est ciblée se trouve dans le secteur privé. Or, dans le secteur privé, on compte moins de 80% de perturbations. Donc de ce point de vue, c’est l’environnement des affaires qu’il faudra revoir. D’ailleurs, lors de la signature du pacte de stabilité, le patronat l’a reconnu. C’est le secteur public qui pose problème. Mais pour le secteur privé, du point de vue de l’instabilité sociale liée à des mouvements d’humeur des travailleurs, en réalité, les travailleurs ne constituent pas un facteur déterminant de blocage. C’est un environnement assez stable maintenant, du point de vue des relations professionnelles. Si on veut aller vers l’émergence, il faudra créer des emplois, les consolider, mettre les travailleurs dans de bonnes conditions. Ce sont des travailleurs motivés, qui travaillent dans de bonnes conditions, qui vont booster la productivité.
Le secteur privé dénonce aussi la multiplicité des jours de fête
Les fêtes sont nombreuses, c’est clair. La plupart ce sont des calculs politiciens. On veut faire plaisir aux différentes familles religieuses. On ne veut mécontenter personne. Et finalement on gère le calendrier de travail avec très peu de rigueur. Résultat : le patronat se plaint qu’il y ait beaucoup trop de fêtes. Les fêtes légales comme les fêtes décrétées de temps en temps, sont, pour ne pas mécontenter les familles religieuses.
Les nombreuses grèves ne plombent-elles pas aussi cette productivité ?
Non. Elles n’ont pas cet ampleur dans le secteur privé, pour négativement impacter la production et la productivité. Maintenant, les grèves dans le secteur de l’éducation, ça a nécessairement des incidences sur la qualité de la ressource humaine. Parce que quand même, c’est l’école et l’université qui forment tous les cadres. Et s’ils ne sont pas formés en nombre suffisant ou s’ils ne sont pas bien formés, ça peut impacter la productivité. Les grèves sont pour la plupart le fait des syndicats. Mais au Sénégal, la réalité, c’est que la plupart des grèves c’est dans le secteur public. Singulièrement dans le secteur de l’éducation et un peu moins dans celui de la santé.
Aujourd’hui, beaucoup disent que les revendications des syndicalistes sont de plus en plus alimentaires. Partagez-vous ce constat?
Moi je suis tout à fait d’accord. Je trouve que c’est un glissement condamnable. Parce que le syndicaliste est d’abord un militant. Mais aujourd’hui, voyez dans tous les secteurs quelle part prend la réflexion sur les politiques éducatives, sur l’amélioration du système éducatif ou sur la politique agricole. Parfois les questions de carrière plombent la réflexion globale. Et c’est valable pour les autres secteurs. Parce que le travailleur doit réfléchir sur ces questions là. Il faut dépasser l’intérêt individuel pour voir, dans la démarche collective, dans la gestion de la communauté, quelle politique mettre en œuvre pour faire avancer les choses et se battre pour cela. Sur ce point là, je suis d’accord avec ceux qui disent, effectivement, que la démarche alimentaire est en train de dominer le syndicalisme militant. Pour nous qui avons fait 30 à 40 ans dans le circuit et le système, nous voyons comment les choses sont en train de se dégrader progressivement.
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