
CONAKRY - «Faye Café», 41 ans, est un Sénégalais très distingué à Conakry, capitale de la République de Guinée, pour son café aromatisé au poivre de Guinée (diar, en wolof). L’Obs vous conte la «success story» d’un maçon raté qui a réussi à bâtir son bonheur autour d’une tasse de «café Touba».
Conakry est une ville qui bouge. Même le dimanche n’est pas épargné par ce rythme infernal que la population très variée imprime à la capitale de la République de Guinée. À 18 heures, nous sommes au quartier de Kaloum, au cœur du centre-ville qui, à certains endroits, donne bien des airs de Médina. Le décor semble donner du déjà-vu : des footballeurs au talent incertain qui occupent certaines artères pour jouer au ballon sur le macadam, de jeunes vendeurs à la sauvette qui, par tous les moyens, tentent d’écouler des produits qui, en semaine, se sont éternisés sur leurs étals sans trouver preneur et des gargotes qui dressent leurs parasols pour accueillir la première vague de clientèle de la nuit. En ce début de soirée, le thermomètre affiche allègrement près de 30º Celsius. Un climat qui laisse penser à une boisson fraîche, à défaut d’une bonne glace. Que nenni ! Ici, paradoxalement, si une échoppe ravit la vedette à plusieurs autres, c’est bien pour la boisson chaude qu’elle sert. Un liquide noirâtre dans un gobelet en plastique et l’on ne pourrait guère s’y tromper : «C’est du café Touba !», s’égosille-t-on. «Café sénégalais», pour la population autochtone. Qu’importe le nom du breuvage, pourvu que l’ivresse de la nostalgie du pays soit au bout. Nous serons servis.
Comme au pays…
Abdoulaye Faye a pris ses aises dans la capitale guinéenne depuis des décennies, sans perdre le fil de ses racines de sérère de Fatick auxquelles il tient beaucoup. La chaleur des fourneaux sur lesquels il chauffe l’objet de son commerce fait dégouliner des litres de sueur sur son corps d’athlète. Lui n’en a cure. De forte corpulence, le teint noir foncé, il distribue des tasses de café à ses clients, avec un air d’habitué. Une large banane fend son visage quand il nous entend saluer en langue nationale (wolof). La forte émotion de recevoir des compatriotes dans sa place se lie dans les moindres expressions de son visage illuminé. Entre deux phrases pour prendre des nouvelles du pays, Laye Faye verse le café, dont il vient de finir la préparation, dans de grandes carafes. L’arôme embaume les lieux. Il donne la recette du «café sénégalais» sur lequel il a bâti son succès : «De l’eau, du café moulu, du «diar (poivre de Guinée, ndlr)» et du sucre.» Faites le mélange, le compte est bon et le goût y est.
«Grâce au café Touba, j’ai acheté une voiture et…»
Si la communauté sénégalaise s’arrache les tasses de «Faye Café», la population guinéenne ne se laisse pas conter cette recette qui connaît un grand succès au pays voisin. Le patron des lieux et ses trois employés servent les gobelets aux clients qui se succèdent par dizaines. Chacun débourse 1 000 francs guinéens (l’équivalent d’environ 75 francs Cfa) pour siroter une tasse de café. Son commerce est ouvert de 08 heures à 23 heures, 7 jours sur 7. «Même les jours fériés !», précise-t-il avec vigueur. Avant de poursuivre le récit de sa «success story». «Tout le monde boit ce café avec plaisir, aussi bien mes compatriotes que les Guinéens. D’ailleurs, la plupart de mes clients sont des Guinéens qui aiment bien manger (et boire) sénégalais.» L’affaire est une réussite. Abdoulaye Faye ne s’en cache pas. «Dieu merci, grâce à ce business du «café Touba» qui marche bien, je vis tranquillement ici. C’est avec l’argent du «café Touba» que j’ai acheté une voiture. J’ai épousé une femme sénégalaise. Ma famille vie des dividendes de ce commerce», révèle-t-il, fier de son succès. Pourtant, si tout semble marcher comme sur des roulettes, tout n’a pas été rose dans le parcours qui a conduit Abdoulaye Faye à la tête de cette Tpe (Très petite entreprise). Flashback.
D’Abidjan à Conakry, de la galère à la lumière
Âgé aujourd’hui de 47 ans, Abdoulaye Faye s’est d’abord cassé les doigts en s’essayant à une carrière de maçon. Pour dire vrai, l’expérience du jeune Faye, alors âgé de 28 piges, a très vite tourné court. De son Sine natal, il avait rejoint la capitale sénégalaise et embrassé une vie précaire de maçon journalier au début des années 90. Un jour, las de participer à la construction de maisons de rêve pour les nantis de Dakar sans pouvoir rêver quelque chose de mieux que de sa chambre de fortune sise au quartier populeux de Grand-Yoff, Abdoulaye Faye et Modou Diop, un compagnon tout aussi désespéré, tentent le coup classique d’une aventure dans la sous-région. Riches de quelques maigres économies rassemblées à l’issue des journées de labeur au contact du ciment et d’une grande expérience de la difficulté, ils se lancent. Faye et son ami sautent dans un bus. Direction, Côte d’Ivoire. L’enfer de l’axe Dakar-Bamako, long de 1 500 kilomètres, sur une route très difficile à l’époque (1996), est bravé. Mais, une fois au pays de Houphouët-Boigny, c’est la désillusion qui accueille la paire d’aventuriers. Ils s’en souviennent comme si c’était hier : «Notre arrivée correspondait à une période trouble de la Côte d’Ivoire. Le pays était orphelin après le décès de Boigny et a basculé dans une crise pour l’héritage de l’ancien président.» Face à cette situation inattendue et, surtout, inconnue, Abdoulaye Faye et son fidèle camarade de galère, restés six mois sans trouver du travail à Abidjan, choisissent la solution de la sécurité et se paient un luxe sur le peu de sous qui leur restait : un voyage par vol Air Ivoire pour rejoindre, en plein hivernage, la Guinée Conakry. Dans ce pays très pluvieux, difficile de trouver du travail avec la qualification de maçon. Nouvelle désillusion ? Pas le temps de végéter. Modou Diop sort une idée de reconversion.
«Je reviendrai bientôt au pays pour construire une maison»
Le commerce du «café Touba», né en Côte d’Ivoire, le pays qu’ils viennent de quitter, est encore inconnu en Guinée où la communauté sénégalaise est forte. Peu importe si la technique de préparation du célèbre café leur est inconnue. En débrouillard expérimenté, Modou Diop trouve encore la parade. Lui se forme en un temps record et Abdoulaye Faye s’occupe de trouver les fonds. Il lui restait encore 150 000 F Cfa. Le tiers de la somme est échangé en francs guinéens. La suite, on la connaît. Modou Diop continue de suivre son destin d’aventurier, laissant Abdoulaye Faye régner en magnat du «café Touba» à Conakry.
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