La philosophie est-elle inutile ? Voilà une question lancinante que se pose Ebénézer Njoh-Mouellé, Professeur de philosophie à l‘Université de Yaoundé (Cameroun), en réfléchissant à haute voix, au détour de quelques conférences animées en milieux de jeunes sur de nombreux thèmes de la vie tels que : « Les Africains et la notion de temps », « L’Art, la science et la question de l’utilité », « Les manipulations génétiques », … Au-delà de la curiosité ambiante, l’auteur nous ouvre l’esprit à la traditionnelle quête de la beauté, du vrai, du bien qui ne s’enferme pas dans la relativité de la perception de l’utilité des choses, en soulignant que la philosophie n’apporte quelque chose qu’à celui qui s’y adonne.
Elle favorise une ouverture de l’esprit telle qu’on pourrait y voir une sorte d’extension de la conscience singulière dans l’esprit universel. C’est à Milet, en Asie Mineure, au bord de la mer Egée, au début du VIè siècle avant l’ère chrétienne , que des hommes comme Thalès, Anaximandre, Anaximène et bien d’autres encore, prirent l’habitude de se réunir pour chercher ensemble la connaissance. Le nom de philosophie fut donné, raconte-t-on, par Pythagore. Cette discipline a connu par la suite une prodigieuse croissance dans l’antiquité grecque. L’auteur note que la philosophie, telle qu’est entendue et pratiquée dans le monde, est bel et bien une discipline intellectuelle qui ne s’est développée et répandue, sous la forme qu’on lui connaît qu’en Occident, et plus particulièrement en Europe.
Ce qui ne veut pas dire que les autres aires culturelles du monde aient de tout temps ignoré la pratique de l’exercice de la pensée, voire même de la pensée spéculative, tant s’en faut ! C’est cependant parce que certains ont confondu philosophie et pensée qu’ils se sont mis à protester contre l’affirmation selon laquelle l’origine de la philosophie est européenne, et que la philosophie était d’essence européenne ! Il s’agit en particulier de la réaction des Africains par rapport à l’ouvrage de Heidegger intitulé : "L’origine de la Philosophie" . Ce sont des Africains qui ont estimé devoir remplir l’obligation de démontrer que l’Afrique aussi avait connu et connaît la philosophie dans sa culture. E. Njoh-Mouellé s’est personnellement joint à ce mouvement qui reçut l’étiquette d’ethno-philosophie et a suscité pendant les décennies écoulées des débats plus ou moins passionnés.
L’objet actuel de son propos ne concerne pas ce débat-là. Il s’agit pour lui de tenter de répondre à la question de savoir si la philosophie, telle qu’elle est identifiée dans son lieu de naissance, telle qu’elle s’est développée suivant cette ligne originelle, présente encore aujourd’hui une raison d’être ? Dès l’origine, la philosophe ne s’est imposée aucune limite dans son champ de connaissance. Elle est volonté de savoir total. Elle n’entend pas se contenter de la simple description de ce qui apparaît ; elle veut trouver un fondement à ce apparaît. Sa préoccupation concernant les causes premières la conduit jusqu’aux frontières de la théologie.
La philosophie a désigné au départ la totalité des champs de connaissance. C’est la discipline des disciplines. Cela ne veut pas dire qu’on n’ait pas, à cette époque, établi la différence entre la physique, la logique et la science des nombres. La philosophie ne s’est jamais véritablement détournée de l’action. Il est incontestable qu’il y a en elle un certain élitisme. Les autres sciences se sont émancipées. Par exemple, la psychologie, la sociologie, l’ethnologie, l’anthropologie, la politologie, comme le droit et l’économie ont échappé à l’autorité de la philosophie. La philosophie, entendue comme amour de la sagesse, n’a jamais eu un objet déterminé, au sens scientifique du terme. Elle semble avoir de tout temps une attitude particulière à l’égard du savoir, une exigence du savoir. Elle conserve toute sa raison d’être.
Chaque activité est jugée à l‘aune de son utilité, c’est-à-dire de sa contribution à la résolution des problèmes que pose à l’homme la nécessité de son adaptation au monde. L’homme est un être de besoins. Certains de ses besoins apparaissent comme fondamentaux tandis que d’autres laissent l’impression d’être secondaires et moins vitaux. A côté de ces deux catégories qui peuvent être considérées comme désignant des besoins structurels découlant de la nature même de tout être humain, il existe aussi des besoins factices, suggérés par la publicité ou simplement le milieu social immédiat.
Si le besoin fondamental pré-existe à l‘objet-réponse qui vient le combler, le besoin de luxe, lui, semble venir après que l’objet-réponse a pris naissance. La science ne répond pas à un besoin de luxe, tant s’en faut ! Elle est l’activité intellectuelle par laquelle l’homme cherche à rendre compte du fonctionnement des choses. Il arrive ainsi à dégager les lois qui lui permettent de dominer la nature à travers une exploitation pratico-technique. La science et ses applications techniques permettent à l’homme d’améliorer ses conditions de vie, c’est-à-dire son bien-être quotidien. Mais, parfois la science se retourne contre l‘homme.
C’est le cas de la bombe atomique, comme le fait remarquer Albert Einstein à l’abbé Pierre. La question éthique qu’on peut penser évacuer quand on traite strictement de l‘utilité de la science n’est pas évacuable. Il existe une dichotomie du côté de l’art. Aux partisans de la science pour la science, correspondent les partisans de l’art pour l’art. Et aux marchands de la science appliquée, correspondent les marchands d’art…. La création artistique se rencontre dans toutes les cultures. Tandis que la science décrit l’univers tel qu’il n’apparaît pas nécessairement, l’art crée un univers à lui. Avec l’art, c’est l’imagination qui triomphe. Même lorsque la nature a inspiré la peinture, par exemple, au point tel que l’objectif recherché par les peintres ait été la fidélité parfaite dans sa reproduction, on ne peut pas dire que l’art ait été confondu avec la nature .L’art est le besoin d’expression d’un idéal de beauté. L’objet d’Art est un supplément d’être.
Le besoin d’expression d’un idéal de beauté ne semble pas avoir été la même dans toutes les cultures. Dans certaines communautés humaines, l’art n’était pas au service de la beauté mais davantage au service de la religion. La Doctrine de l’Art pour l’Art ayant au préalable contribué à vider celui-ci de sa dimension spirituelle, la spéculation boursière ne pouvait que plus facilement s’installer, contribuant à laisser la nette impression que l’art ne correspond plus qu’à un besoin artificiel, un besoin de luxe créé et entretenu par la publicité et l’organisation d’un marché international semblable à celui du cacao, du café ou du pétrole. La marchandisation des œuvres d’art, produits culturels, fait l’objet de sérieuses critiques.
On entend répéter ça et là, aussi bien par des non-Africains que par des Africains que « les Africains n’ont pas la notion du temps ». L’organisation de l‘activité de production conditionne fortement le vécu temporel des individus et des peuples. Quand on dit les « Africains », c’est très englobant. Tout le monde sait de plus en plus qu’il y a plusieurs Afriques et qu’une relative prudence s’impose quand on porte des jugements sur un ensemble de peuples répartis sur un continent aussi vaste que le continent africain et qu’il faut éviter de tomber dans le piège des jugements à résonance plutôt raciale.
Dans le système de production du monde moderne, on dit que l’homme a le sens du temps parce qu’il prévoit demain, anticipe sur sa retraite. Il évolue dans un contexte où la programmation est de rigueur. Au niveau individuel, il est travailleur salarié qui a un programme de travail qui doit être exécuté dans des délais déterminés. Dans les campagnes peuplées d’agriculteurs, les gens sont à la fois employeurs et employés. Ils sont leurs propres employés dans leurs champs. Dans ces exploitations familiales, le chef de famille qui est aussi le chef d’exploitation ne considère pas ses enfants et ses épouses comme des salariés. Il ne leur prescrit aucun délai pour livrer leurs ignames, leurs maïs, ou leurs patates ! On n’emmenait au marché que ce qu’on avait pu produire.
On produisait pour sa propre consommation d’abord. Dans ce contexte, le temps ne s’offre pas au comptage. C’est l’activité des personnes qui crée son temps propre. Chaque être possède son temps propre. L’auteur traite des relations entre l’Afrique initiatique et la tradition de l’excellence. Il se livre à des réflexions intéressantes sur le théâtre éducatif aujourd’hui. Il montre l’utilité de la pensée dans l’avenir des sociétés. Là, il classe la pensée en trois catégories : la pensée descriptive ou indicative, la pensée créatrice ou inventive et la pensée critique. Ce livre aux dimensions modestes contient des idées fécondes qui méritent d’être sérieusement discutées.
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