Des milliers de jeunes africains ne redoutent plus d’affronter au péril de leur vie les flots imprévisibles et violents de l’océan Atlantique. Les images de ces hommes et femmes amaigris, débarquant sur les côtes d’une Europe surprise, sont devenues la matière courante des journaux télévisés. Anecdotique pour certains, cette irruption de l’Afrique dans une Europe de plus en plus inquiète pour la préservation de ses équilibres est en réalité le signe annonciateur d’un Nouveau Monde dont Africains et Européens doivent tracer les contours. Massivement présente en Europe et de plus en plus désireuse de s’y rendre, la construction d’une nouvelle Afrique à côté d’une nouvelle Europe est sans doute le défi majeur auquel ne pourront se soustraire longtemps le berceau de l’humanité et le Vieux Continent.
Revenant aux relations entre Européens et Africains depuis la Haute Antiquité, André Julien Mbem, philosophe et romancier, démontre que des Africains et des Européens, dans une démarche qui peut être marginale, ont néanmoins toujours tenté de bâtir une relation différente de ce que furent l’esclavage et la colonisation. Les acquis de ces moments précieux du passé doivent donner à penser aux architectes d’une espérance commune plus que jamais nécessaire. Fasciné par le prestige et la richesse économique, scientifique et culturelle de l’Egypte antique, l’auteur devrait s’interroger sur les rapports à l’autre, les rapports à la différence des dynasties pharaoniques qui ont traversé pendant plus de 4000 avant notre ère la scène tourmentée de l’Histoire.
L’Egypte pharaonique s’est construite avec ses origines africaines et ses apports méditerranéens. La profondeur et la richesse de son métissage humain et culturel se déclinent sous des aspects divers tout au long de son histoire. En 1974, les participants au colloque du Caire organisé par l’UNESCO pour la rédaction d’une Histoire générale de l’Afrique, après de longs débats, définissent la basse vallée du Nil comme une « véritable éponge » qui a absorbé peuples et cultures divers « durant plus de trente siècles. »
Des analyses sur la pigmentation des anciens Egyptiens, faites par Falkenburger sur la base d’un échantillon étendu, apportent la preuve d’une indiscutable métissage humain de l’Egypte ancienne : 36% de Négroïdes, 33% de Méditerranéens, 20% d’individus n’appartenant à aucun des groupes précités se répartissent en Cromagnoïdes ou Négroïdes. La Grèce antique, l’un des berceaux de la civilisation occidentale et européenne en particulier fut une terre d’immenses métissages. Les auteurs grecs eux-mêmes, Hérodote, Strabon, Diodore de Sicile, n’ont cessé de rappeler ce les Grecs doivent aux Egyptiens.
Platon, Solon, Thalès, Pythagore, allèrent faire leurs classes en Egypte. Lorsque les Romains conquièrent la Grèce en 148-146 av. J.C, ils puisent quand même dans le génie grec pour lire le monde et le comprendre. L’élite intellectuelle ou politique romaine lit Platon, Aristote, Solon, Démosthène. Avec l’Afrique du Nord, toute l’Afrique, l’Europe partage des frontières communes. Avec l’Afrique et l’Afrique au sud du Sahara, elle partage bien sûr un passé mais aussi un destin.
La Méditerranée, entre l’Europe et l’Afrique, reste depuis plusieurs siècles une voie de circulation obligée d’un contient à l’autre qui, à certains moments tragiques de l’histoire, fut le théâtre de nombreux conflits, d’échanges et de brassages innombrables. Voie de navigation maritime la plus parcourue au monde jusqu’à la découverte de l’Amérique au XVe siècle, la Méditerranée ne demeure pas moins aujourd’hui cet espace de circulation stratégique de première importance où naviguent des milliers de bâtiments commerciaux et des centaines de pétroliers.
« L’Egypte demeure la grande inspiratrice pour ceux qui désirent retrouver leurs racines », écrit l’égyptologue réputée, Christine Desroches Noblecourt ( Le fabuleux héritage de l’Egypte ancienne, Télémaque, 2004, p.6). C’est à peine si mention est faite du continent qui abrite les merveilles dont l‘humanité s’émeut depuis l’antiquité grecque jusqu’aux temps modernes. Et pourtant, l’Egypte actuelle et ancienne est bel et bien d’Afrique. En réalité, l’Afrique et l’Europe dialoguent depuis des siècles par le cordon égyptien. Les textes d’histoire des civilisations s’appesantissent sur les divergences au lieu de relever, tout autant aussi les convergences ou les réponses communes que les hommes ont apportées à leurs interrogations communes en dépit des barrières géographiques ou des distances temporelles.
L’auteur établit des rapports entre les divinités africaines et le panthéon grec, ainsi que l’arbre à palabres africains et l’agora grecque. La révolution grecque dans le rapport à la tradition et au savoir et symbolisée par la tradition critique nous rend tous, aujourd’hui, Africains et Européens, héritiers du moment hellène.
Il existe une Rome africaine et une Afrique romaine. Les apports africains aux religions du Livre sont certains. Le judaïsme africain est millénaire. Le christianisme est métissé. Saint Augustin (354-430), évêque d’Hippone (aujourd’hui Annaba), en Algérie est tout un symbole. L’islam est passeur de savoirs. D’Europe en Afrique, d’Afrique en Europe, intellectuels musulmans et connaissances voyageaient, nourritures terrestres et spirituelles allaient de part et d’autre de la Méditerranée. Les imaginations ont subi de sérieuses transformations. Des mutations démographiques eurent lieu au XXe siècle. Le choc des cultures constitue une synthèse des différences. Les banlieues sont devenues des laboratoires de la nouvelle Europe.
Le monde s’achemine vers une communauté de destin. La conscience d’une communauté de destin ne va pas sans la conscience des origines des peuples. L’Asie, l’Afrique, l’Europe, l’Amérique, l’Océanie, l’Antarctique foisonnent de ces histoires transmises sur plusieurs générations, des siècles durant, et qui racontent la genèse d’une communauté tribale ou nationale. Les citoyennetés sont en mutation.
L’Afrique a sa place dans les débats européens. Il faut en finir avec le chiffon rouge de l'immigration et éclairer les opinions publiques pour entamer une réflexion collective sur les contours d’un co-développement entre l’Europe et l’Afrique dont la France pourrait être la locomotive. L’auteur examine le débat sur la migration dans les formations politiques françaises avant d’aborder le rôle historique des diasporas africaines. Les diasporas africaines, villageoises ou mondialisées, sont devenues sur le continent des agents économiques de premier plan. Il n’existe quasiment pas une famille en Afrique qui n’attend de temps à autre des subsides de l’un de ses membres en exil en Occident. Ce potentiel n’est pas exploité.
L’Afrique au cœur de l’Europe Quel projet pour le Nouveau`s`s Monde qui vient ? Par André Julien Mbem L’Harmattan 2007 137 pages
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