Il a réussi dans la musique comme jamais aucun Sénégalais et il se lance dans le business en attendant peut-être un autre destin.
Par Hance Guèye, Dakar
Dans ce qui est finalement sa raison et ses moyens de vivre, il a déjà tout atteint. Ou presque. Le 13 février 2005, il a décroché le Grammy Award du meilleur album, catégorie World Music. Les Grammy Awards sont des récompenses décernées chaque année en février à Los Angeles, aux États-Unis, par la Recording Academy, qui honorent les meilleurs artistes du monde comme Louis Armstrong, Ray Charles, Frank Sinatra, Stewie Wonder, Michael Jackson, les Beatles... Les Oscars de la musique, en quelque sorte. Ironie du sort, il n’y était pas pour recevoir son trophée. Nominé quatre fois, il avait fait plusieurs fois le voyage pour rien. L’année dernière, c’est au tour du magazine Times de le citer parmi les 100 personnalités les plus influentes du monde. Quand Jacques Chirac, l’ancien président français, lance sa fondation, il est du nombre des invités et côtoie, à la loge d’honneur, un autre compatriote, Abdou Diouf, ancien chef d’Etat, patron de la francophonie.
« Avec d’autres Sénégalais, je symbolise le Sénégal qui se bat pour réaliser de grandes œuvres, et qui peut se mettre au même niveau que les plus grandes nations de ce monde. »
Youssou N’Dour a donc largement obtenu ce qu’il voulait, la reconnaissance, quand à peine âgé d’une dizaine d’années il promènait sa voix à nulle autre pareille, comme l’a expliqué un grand du monde de la musique, Peter Gabriel, dans le populeux quartier de la Medina, à Dakar, où il habitait alors, pour chanter dans les kassak, ces soirées à l’honneur des circoncis, à la fois initiation aux mystères ancestraux et fête folklorique. Les meilleurs chanteurs se promènent de kassak en kassak, avec pour seule récompense les applaudissements qu’ils récoltent, les foules qui les suivent, et parfois quelques pièces ou modestes billets. Mais l’argent n’était pas alors le mobile principal. « Je me souviens bien de mon inclinaison première qui était d’être connu dans la Médina. (…) J’y chantais et les gens parlaient de moi ; c’est ainsi que tout a commencé. »
Un train d’enfer
Sur le plan musical, Youssou N’Dour a aujourd’hui atteint les sommets africains. « Ils sont à ce jour quatre à avoir réussi le cross-over de la musique africaine : Myriam Makeba, dans les années 60 ; Manu Dibango au cours de la décennie suivante ; Mory Kanté dans les années 80 ; et Youssou N’Dour à la fin du siècle dernier. Le compte est bon ! », écrit l’un de ses portraitistes. Ses titres ne se comptent plus. Pas plus que le nombre de ses disques. Tout cela, en demeurant à Dakar, les racines plongées dans son terroir, le nez humant l’air de l’Atlantique. Pour toujours partir avec quelque chose et revenir avec autre chose.
Quel chemin parcouru par un gamin, des kassak aux sommets du monde ! Avec pour seul viatique l’héritage de sa mère griotte, Sokhna Mboup, et de sa grand-mère Mame Marie Sène, chez qui il a grandi. Après les kassak, donc, une troupe théâtrale, Sine Dramatique, à onze ans ! Puis un orchestre, le Diamono. Il n’a que treize ans, mais un concert pour un musicien décédé, Papa Samba Diop dit Mba, le fait découvrir. L’hommage qu’il lui chante brise les cœurs. Des fans, mais aussi de son père. Elimane N’Dour, ouvrier, veut pour son fils un autre sort que le sien. Il connaît le chemin le plus sûr. C’est l’école. Il veut le prestige des diplômes et plus tard, celui du bureau pour son fils aîné. Las. La musique est plus forte. Il réussit à convaincre son père qu’il peut obtenir par elle ce qu’il rêve pour lui : la reconnaissance, la fortune. Un vrai tour de force. A l’époque, au Sénégal, musicien rime avec dépravé, fumeur, coureur de jupons, drogué. Peut-être pour rassurer le père inquiet consent-il à fréquenter une école, celle des Arts, de Dakar, pour s’initier au solfège.
« La musique me passionnait par-dessus tout. Lorsque j’ai confié à mon père que je voulais mener une carrière de musicien, il était réticent, car les chanteurs étaient plutôt mal vus à cette époque. Je suis parvenu à le convaincre avec l’aide de quelques parents. »
Permis de faire de la musique donc. C’est le père qui doit toutefois négocier son contrat dans l’un des temples de la musique sénégalaise d’alors, le Star Band de Ibra Kassé. Le reste se fait à un train d’enfer. L’étoile de Dakar avec Badou Ndiaye où un titre, khalis (argent), est prémonitoire, avant qu’il ne vole de ses propres ailes en créant son propre groupe, le Super Etoile. Depuis, l’astre n’a jamais pâli.
« J’ai pu ainsi réaliser, au bout de 25 ans de dur labeur, un travail qui devrait être accompli sur 50 ans, d’après les repères que j’ai eus sur d’autres artistes internationaux. J’en suis fier, et avec d’autres Sénégalais je symbolise le Sénégal qui se bat pour réaliser de grandes œuvres, et qui peut se mettre au même niveau que les plus grandes nations de ce monde. »
Faire plaisir à son père
Insatiable, il continue pourtant à courir. La musique en bandoulière, il part à la conquête du monde du business. « Je n’avais rien planifié. » Un besoin néanmoins, avoue-t-il, celui de faire plaisir à son père. « Alors que les musiciens n’avaient jamais de bureau, je me suis dit que je réalisais le rêve de mon père pour moi. Il n’y avait aucun calcul derrière. Les affaires sont venues sans que je les aie réellement planifiées. Des amis qui étaient dans le secteur formel m’ont encadré et j’ai créé la SAPROM pour gérer mes intérêts de musicien. » C’est le début des entreprises liées à son art. Xippi, Xippi International, Jololi. Il couvre ainsi tous les métiers de la musique, des studios de production à la commercialisation. « Ma société de production détient 60% des parts du marché musical sénégalais ; nous avons produit beaucoup de jeunes qui sont devenus des artistes confirmés, donc des mini-entreprises. Avec ma musique nous avons créé plus de trois cents emplois directs ».
Mais You, comme on l’appelle familièrement, ne s’est pas cantonné au business de la musique. Il a aujourd’hui l’un des principaux groupes de presse du Sénégal, avec une radio, RFM, un quotidien, L’Observateur, un journal d’informations sportives, une imprimerie et bientôt une chaîne de télévision, TFM. Pour la presse non plus, aucun plan. Un ami, Cheikh Tall Dioum, lui propose de créer un magazine de showbiz. Le projet tourne à la création d’un quotidien, puis d’une radio, de deux autres quotidiens et d’une imprimerie. Mais le projet tourne court. Les associés finissent par se déchirer devant les tribunaux. Il a retenu la leçon. Désormais, comme hier pour la musique, il sera le seul patron. Plus simple ainsi quand on a la main particulièrement heureuse.
« Je me souviens bien de mon inclinaison première qui était d’être connu dans la Médina. »
Pour se retrouver dans toutes ces structures, il a créé Youssou N’Dour Head Office, une société anonyme au capital de 10 000 000 FCFA, 15 000 euros. C’est la holding qui coiffe tout.
Parallèlement, il y a la Fondation Youssou N’Dour, présidée par son épouse.
Dernière réalisation, Birima, une société de crédit coopératif destinée aux petites et moyennes entreprises, aux artisans, aux artistes. « Mon expérience directe m’a permis de comprendre qu’un prêt, même d’un tout petit montant, est une manière efficace de lutter contre la pauvreté s’il est destiné à développer une idée, à réaliser un projet. L’Afrique ne demande pas la charité, mais des fonds remboursables à des taux d’intérêt avantageux. » Il y est associé au groupe Benetton. Son vice-président, Alessandro Benetton, a participé au lancement d’Africa Works, la campagne mondiale de communication qui promeut le projet Birima.
Yes, You can
Est-ce la dernière corde à son arc ? Probablement pas. You se désole de l’inorganisation en Afrique, de l’absence d’une seule langue parlée par tous les Africains, de l’inexistence d’une véritable industrie musicale qui empêche les talents d’éclore et de dominer le monde, comme un Michael Jackson ou un autre. Il pourrait bien se retrouver sur une autre scène, la politique. « Je suis candidat à la présidence des Etats-Unis d’Afrique, car c’est la culture qui peut porter le rêve de l’unité africaine. » Une pirouette continentale pour un gain national ? Le footballeur Georges Weah a disputé le second tour de la présidentielle au Liberia. Demain, un musicien pourrait bien faire encore mieux si la classe politique continue à se discréditer.
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