Gros plan sur un document rare : le récit de la pandémie de coronavirus vue du cœur de Wuhan, là où tout a commencé. Le journal de l’écrivaine chinoise Fang Fang vient de paraître dans son édition anglaise, un texte dans lequel, loin des discours officiels, elle livre un témoignage en prise directe avec la gravité de l’épidémie qui a frappé cette ville-martyre du centre de la Chine.
Au plus fort de la pandémie, Wuhan a vécu sous cloche pendant 76 jours. La septième ville de Chine totalement à l’arrêt, ses 9 millions d’habitants confinés et terrifiés par un virus incontrôlable, c’est ce scénario inédit et impensable, ce quotidien meurtri et paniqué que Fang Fang raconte de l’intérieur, sous la forme d’un journal rassemblant les 59 notes qu’elle a publiées sur les réseaux chinois à partir du mois de janvier 2020.
Née en 1955, Fang Fang préside depuis plus de 10 ans l’Association des écrivains de Wuhan. Elle s’était fait connaître par ses romans au milieu des années 1980, mais jamais aucun de ses textes n’avait connu pareil retentissement : pendant la crise, des dizaines de millions de lecteurs se sont rués sur ses écrits, comme aspirés par ces fragments de vie lâchés dans la nature.
Avec des mots simples, elle y relate son vécu, les peurs de sa famille, la ville qui se vide et les balayeurs qui continuent de balayer des rues où personne ne passe, les recettes de cuisine que l’on se partage, les chansons que l’on chante pour faire passer le temps, les petites courses au jour le jour. Et puis, au fur et à mesure que les jours passent, le récit se transforme. De l’inquiétude pour ses proches et de la chronique d’une ambiance d’apocalypse découlent des mots très francs sur l’échec des autorités chinoises dans la gestion de la maladie.
Une prison à ciel ouvert
Ce n’est pas un pamphlet, ce n’est pas une tribune politique, c’est l’avis d’une citoyenne lambda qui prend conscience que quelque chose ne va pas. Et comme elle l’écrit, que « les cadres du Parti communiste chargés de la gestion de crise ont perdu le fil ». Elle le dit sans se cacher, « j’ai l’impression que quand ils ne peuvent plus suivre les directives du gouvernement central, quand la maladie va trop vite pour eux, quand vous leur enlevez leur script, il n’y a plus personne pour conduire le bateau ».
Fang Fang décrit les hôpitaux de Wuhan saturés, ses amis médecins qui n’en peuvent plus, les spécialistes rappelés en urgence et les services débordés, à contre-courant des déclarations martiales du président chinois Xi Jinping prônant la guerre totale contre le virus. « On a couru après la maladie, se lamente-t-elle, alors que nous avions connu tant d’épidémies dans le passé. Nous aurions dû en tirer les enseignements. Nous avons échoué. Pourquoi ? »
Ce questionnement très sincère d’une habitante au cœur du cyclone peut sembler banal en Occident. En Chine, en revanche, c’est cette carte blanche, cette liberté de ton qui a fait la différence et créé un espace de vérité pour ses lecteurs. Il y a des redites dans ce recueil, il aurait pu être plus court et mieux tourné. Mais de l’intérieur de Wuhan, qui aura pris la forme d'une prison à ciel ouvert pendant plus de deux mois, elle a le mérite de questionner sans parti pris les agissements d’un gouvernement qui ne laisse passer aucune critique. A lui seul, cet engagement citoyen suffit à donner dignité et raison d’être aux 380 pages du « Journal de Wuhan ».
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