Tollé, confusion, espoir ou embarras: les réactions à l'annonce de la mise au point d'un 'traitement contre le sida' par le président gambien Yahya Jammeh se multiplient, tandis que les autorités gambiennes continuent de faire la sourde oreille aux demandes d'explications formulées par les acteurs de la lutte contre l'épidémie.
En janvier, lors d'une réunion extraordinaire à Banjul, la capitale gambienne, le président Jammeh a affirmé avoir découvert un remède à base de plantes médicinales capable de «soigner le sida» en quelques jours, et annoncé le lancement d'un programme de traitement.
Fin janvier, les 10 premiers patients présentés comme étant infectés au VIH ont commencé ce 'traitement miracle' mis au point, selon le docteur Tamsir Mbowe, ministre gambien de la Santé, grâce «aux connaissances de la famille» de Yahya Jammeh en médecine traditionnelle et «aux enseignements du saint Coran».
Cette annonce, largement relayée par les media locaux, a suscité un tollé parmi de nombreux activistes internationaux de la lutte contre le sida.
«Tout le monde espère la découverte d'un remède contre le VIH/SIDA. Nous devrions en principe applaudir une telle avancée... [mais] ces affirmations sont d'ordre divin, elles n'ont aucun fondement scientifique donc elles ne peuvent pas être prises au sérieux», a dit à IRIN/PlusNews Bede Eziefule, directeur exécutif du Centre pour le droit à la santé au Nigeria.
Le ministère gambien de la Santé a publié plusieurs rapports affirmant que les patients se portaient mieux, que leur système immunitaire s'était renforcé et que le virus était indétectable dans l'organisme de certains de ces malades, témoignages à l'appui dans les media publics, qui diffusent en boucle les images de patients 'guéris'.
«J'ai constaté une grande amélioration de mon état de santé depuis que j'ai commencé le traitement», a affirmé Lamin Ceesay, l'un des patients enrôlé dans le programme. «Je crois que le président a trouvé un remède contre le sida. Je suis sûr qu'aucun patient qui vient suivre le traitement du Président ne mourra.»
Plusieurs fois interrogé par la presse locale et internationale, le ministère de la Santé s'est refusé à fournir des indications sur la composition du traitement, promettant que ces détails seraient révélés «plus tard». Les media ont également émis des doutes sur les conditions dans lesquelles se sont déroulés les examens de santé des patients avant et après le traitement, y compris les tests de dépistage du VIH, sans obtenir de réponse claire.
«Ces affirmations [du Président gambien] sont une insulte à la profession médicale», s'est insurgé Ibrahim Umoru, un pair éducateur VIH/SIDA travaillant pour une ONG internationale au Nigeria. «C'est aussi une insulte aux Africains, à l'avant-garde de la lutte contre le sida qui touche tant de personnes sur le continent. Le président gambien et son ministre ne devraient pas être autorisés à propager leur ignorance pour s'emparer d'un problème qui défie tous les efforts depuis si longtemps.»
Un climat de peur
Dans un pays tenu d'une main de fer par le président Jammeh, qui depuis son accession au pouvoir en 1993 à la faveur d'un coup d'Etat, n'a cessé de multiplier les pressions pour limiter la liberté d'expression, selon de nombreuses organisations de défense des droits de l'homme, rares sont ceux qui osent mettre en doute la parole du chef de l'Etat.
«Dans le climat politique actuel, je pourrais perdre mon emploi», a dit un médecin, sous le couvert de l'anonymat.
Pourtant, «beaucoup de gens sont sceptiques et ont des doutes, surtout en milieu urbain», a affirmé Sam Sarr, le rédacteur en chef de Foroyaa newspaper, un bihebdomadaire considéré comme proche de l'opposition. Mais «dans une société où beaucoup de gens sont fétichistes, par manque de connaissances, les populations ont tendance à vouloir croire que le Président a pu user de pouvoirs surnaturels pour trouver un remède.»
Une tendance dangereuse pour la lutte contre le sida, a analysé le Foroyaa newspaper, dans l'une de ses éditions, dans un pays où le taux de prévalence est estimé à 2,1 pour cent et où des efforts de sensibilisation sur le VIH/SIDA ont été développés ces dernières années, grâce à des financements du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, et à la Banque mondiale.
«L'une des priorités [des autorités de lutte contre le sida] a été de mettre en place des programmes de sensibilisation des populations sur le fait que le VIH/SIDA ne pouvait être guéri, que les gens devraient s'abstenir [d'avoir des relations sexuelles] ou avoir des comportements sexuels [sans risque] pour se protéger de l'infection», a rappelé le journal.
Pour «éviter la confusion, le docteur Mbowe doit expliquer très clairement ... s'il prétend que ce sont les infections opportunistes [liées au VIH/SIDA] qui sont traitées de manière à prolonger la vie des personnes infectées, ou que c'est l'infection [au VIH] elle-même qui est soignée», a-t-il dit.
L'embarras de la communauté internationale
Face au flou qui entoure le «traitement du Président», plusieurs activistes ont exprimé leur incompréhension de voir la communauté internationale rester silencieuse.
Quelques personnalités reconnues du monde scientifique, entre autres en Afrique du Sud, ont émis de sérieux doutes sur les affirmations de M. Jammeh et mis en garde contre les effets potentiellement dévastateurs d'une telle annonce, mais aucune organisation internationale ne s'est pour l'instant prononcée officiellement.
Un responsable du Programme commun des Nations unies sur le sida, Onusida, a expliqué à IRIN/PlusNews que son organisme «travaillait à l'élaboration d'une réponse coordonnée du système des Nations unies», espérant pouvoir en dire davantage dans les jours à venir.
Un expert de l'Organisation mondiale de la Santé a pour sa part indiqué que les organismes internationaux avaient des difficultés à obtenir des autorités gambiennes des informations sur le 'remède miracle'.
«Nous avons demandé à visiter le laboratoire pour voir comment se déroulait le traitement, nous n'avons pas eu de réponse du ministère de la Santé. Nous avons demandé à avoir des copies des bandes audio et vidéo diffusées sur les media publics pour voir comment le traitement était administré aux patients, nous n'avons pas eu de réponse non plus», a-t-il dit.
Pourtant, cette intervention est nécessaire, a plaidé Demba Ali Jawo, ancien président du syndicat de la presse gambienne, dans une interview à un journal local.
«Il est extrêmement urgent que la communauté internationale vienne au secours des Gambiens infectés au VIH à qui l'on pourrait donner de faux espoirs en leur faisant croire qu'ils ont été guéris alors qu'ils ne le sont pas», a-t-il estimé.
Ces faux espoirs risquent aussi de laisser penser aux populations qu'il n'est plus nécessaire de se protéger de l'infection puisque cette dernière peut être soignée, ont souligné plusieurs activistes de la lutte contre le sida dans le monde, surtout lorsque «l'information» est donnée par une autorité telle que celle d'un chef d'Etat.
Comme pour confirmer ces craintes, Ousmane Sanusey, un enseignant gambien, a estimé «qu'un homme ayant une telle position publique [que celle d'un président] ne prétendrait pas soigner ce qu'il ne peut pas soigner».
Pour Emmanuel Malam Musa, secrétaire de l'ONG Organisation pour la productivité positive au Nigeria, les affirmations du Président gambien sont «incroyables».
«Je pense que ces allégations sont une diversion, au moment où [le président Jammeh] devrait se joindre aux autres dirigeants pour soutenir les efforts visant à freiner la propagation de l'épidémie sur le continent», a-t-il dit. «S'il ne veut pas s'impliquer dans la lutte, au moins qu'il se taise.»
2 Commentaires
Sonia Stevens
En Janvier, 2017 (11:26 AM)Anderson Norris
En Février, 2019 (21:41 PM)Participer à la Discussion