LONDRES (AFP) — Tidjane Thiam, un Français d'origine ivoirienne de 46 ans, va devenir le premier patron noir d'une très grande entreprise britannique, la compagnie d'assurance Prudential, un nouveau succès pour un homme qui affiche l'un des parcours les plus atypiques de la City.
"Ils veulent me voir? Très bien! Mais dites-leur bien que je suis noir, africain, francophone et que je mesure 1 mètre 93", avait lancé Tidjane Thiam au chasseur de têtes qui le démarchait en 2002 pour une place chez Aviva, la grande rivale de Prudential, alors qu'il travaillait pour le cabinet international d'études McKinsey.
A l'époque, se rappelait-il en 2007 dans une interview au Guardian, M. Thiam, pourtant diplômé de Polytechnique et de l'Ecole des Mines, était las de ne jamais trouver en France un poste à sa mesure, et d'entendre des choses comme : "Vous êtes formidable, mais il s'agit de diriger 10.000 personnes qui ne comprendraient peut-être pas l'arrivée de quelqu'un comme vous".
Aviva l'embauche, et Tidjane Thiam y devient directeur général pour l'Europe, ce qui inclut la France, un des grands marchés du groupe. Mais en septembre 2007, coup de théâtre, il quitte Aviva pour devenir directeur financier de son principal rival.
Grincements de dents chez Aviva où on le qualifie du bout des lèvres de "très ambitieux". Mais les medias et les analystes applaudissent plutôt, pariant déjà qu'il deviendra un jour directeur général à la place du respecté Mark Tucker.
L'annonce jeudi que cette promotion se ferait dès le 1er octobre a cependant surpris, même si aucun problème ne semble opposer les deux hommes. A la conférence de présentation des résultats annuels, jeudi, M. Tucker a souligné "l'exceptionnel talent" de M. Thiam. Celui-ci a assuré qu'il "se concentrait" pour l'instant sur son travail de directeur financier.
Sa nomination "va raviver les flammes de la spéculation sur une fusion" entre Aviva et Prudential, prédisait jeudi Jonathan Jackson, du cabinet Killik & Co. En 2006, Aviva avait fait une tentative de rachat de sa rivale, avortée.
M. Thiam est un homme à plusieurs vies, capable d'enchanter son interlocuteur par ses souvenirs et ses prises de position.
Originaire d'une famille apparentée à Félix Houphouët-Boigny, à l'origine de l'indépendance de la Côte d'Ivoire, M. Thiam a vu par exemple son père, un ancien journaliste, être successivement emprisonné comme opposant politique puis envoyé comme diplomate au Maroc.
Lui-même, engagé à 24 ans au cabinet financier international McKinsey, le quitte pendant quatre ans pour rentrer en Côte d'Ivoire en 1994 à la demande du nouveau président Henri Konan Bédié.
Il y devient en particulier ministre du Développement, mais part à la suite du coup d'Etat militaire de décembre 1999 qui renverse Konan Bédié, retournant chez McKinsey jusqu'à son arrivée chez Aviva.
Régulièrement désigné parmi les personnalités noires les plus influentes de la City, M. Thiam n'a toujours pas renoncé à dénoncer les préjugés racistes ou religieux. Il a participé à la Commission sur l'Afrique de l'ancien premier ministre Tony Blair, ou écrit un article intitulé "Une perspective musulmane sur le travail décent", publié dans un ouvrage collectif sur ce thème en 2004.
S'il est le premier africain noir à accéder à un tel niveau de responsabilité dans la City, M. Thiam n'est pas le seul Français. Le London Stock Exchange, la Bourse de Londres elle-même, vient de désigner Xavier Rolet pour prendre sa tête. Kesa Electricals (Darty) est dirigé par Thierry Falque-Pierrotin. Récemment, le géant pharmaceutique GlaxoSmithkline avait à sa tête Jean-Pierre Garnier, et l'aciériste Corus racheté par l'indien Tata était dirigé par Philippe Varin.
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