Un sinistre soupçon commence à traverser l'esprit de certains commentateurs américains : et si on faisait la guerre en Libye juste pour faire réélire Nicolas Sarkozy ? C'est la question que pose ouvertement la journaliste Anne Applebaum, en rappelant honnêtement que déclarer une guerre dans une période pré-électorale est aussi une grande tradition aux Etats-Unis.
Non sans humour, Anne Applebaum titre son article, sur Slate.com, « Wag le chien », une référence à l'excellent film « Wag the dog » (« Des hommes d'influence »), dans lequel Robert De Niro lance une guerre bidon en Albanie pour faire diversion et faire oublier un scandale sexuel du Président des Etats-Unis (toute ressemblance avec des personnes existantes, etc.). (Voir la vidéo)
Anne Applebaum écrit :
« Dans cette suite francophone dans la vie réelle, il n'y a pas de scandale sexuel. Le président français, Nicolas Sarkozy, est impopulaire à cause de la corruption du gouvernement, parce que l'économie française est plus faible qu'elle le devrait, parce que lui-même et son ex-ministre des Affaires étrangères ont choisi le mauvais camp en Tunisie, et parce qu'il est erratique et imprévisible. Et cette guerre n'est pas un faux. La zone d'exclusion aérienne est authentique, tout comme les bombardements destinés à aider les rebelles. »
« Sarkozy aura peut-être de la chance en Libye »
La journaliste, très au fait des questions françaises, poursuit :
« Il n'y a pas non plus de consultant filou dans les coulisses. Au contraire [en français dans le texte, ndlr]. L'homme qui a présenté les rebelles de Benghazi à Sarkozy n'est autre que Bernard-Henri Lévy, le philosophe pop si français que je n'arrive pas à penser à un équivalent américain. Nous n'avons pas de philosophes qui portent des chemises déboutonnées, qui épousent des actrices blondes, et s'engagent avec enthousiasme dans des guerres comme celles du Bangladesh, d'Angola, du Rwanda, de Bosnie et d'ailleurs.
En s'alignant sur le plaidoyer émotionnel de BHL en faveur d'une intervention humanitaire – ce qui a surpris jusqu'à son propre ministre des Affaires étrangères –, Sarkozy pense apparemment qu'il peut bénéficier d'une partie du côté glamour du philosophe. »
Anne Applebaum analyse le rôle de la France dans cette affaire, à la fois vis-à-vis du leadership habituel des Etats-Unis que la France a toujours contesté, ou de la faiblesse de la diplomatie européenne.
Elle conclut :
« Napoléon – un ancêtre de Sarkozy par certains côtés – a dit un jour que la “chance” était une qualité essentielle pour un général. Et Sarkozy aura peut-être de la chance en Libye. Les rebelles vont peut-être gagner, et la popularité de Sarkozy pourrait revenir.
Les résultats des élections cantonales en France ce week-end ne vont pas vraiment dans cette direction. Les socialistes tout comme le Front national anti-européen et anti-immigrés ont enregistré des avancées, mais le Président continue à faire tourner les dés. C'est quitte ou c'est double. »
L'ambiguïté de l'engagement de Sarkozy en Libye
Cet article dit en termes plus crus que ne savent le faire les commentateurs français toute l'ambiguïté de l'engagement de Nicolas Sarkozy dans cette guerre de Libye, même si, en l'occurrence, il tombe du « bon côté » : celui des « rebelles » contre le dictateur, celui de l'émotion légitime du téléspectateur face au risque de massacre en direct sur son écran.
Il donne peut-être aussi une clé des limites à l'engagement américain dans cette opération, réaffirmé lundi soir par Barack Obama, qui a indirectement critiqué le volontarisme de Nicolas Sarkozy en soulignant qu'engager des troupes américains pour renverser Kadhafi serait aller trop loin :
« Pour être direct, nous avons déjà suivi cette voie en Irak. Le changement de régime a pris huit ans, a coûté des milliers de vies américaines et irakiennes, et près d'un trillion de dollars. Nous ne pouvons pas nous permettre de recommencer ça en Libye. »
Surtout si, comme le suggère Applebaum, il s'agit aussi, en toile de fond, d'aider à la réélection de Nicolas Sarkozy…
Photo : Obama fait un discours sur le conflit en Libye à Washington (Jim Young/Reuters).
6 Commentaires
Deugg
En Mars, 2011 (23:41 PM)Say Say
En Mars, 2011 (23:52 PM)Phala
En Mars, 2011 (00:04 AM)Mamabiamayo
En Mars, 2011 (00:37 AM)Undefined
En Mars, 2011 (09:34 AM)Undefined
En Mars, 2011 (14:29 PM)Participer à la Discussion