
-Maroc : dans ce royaume, il existe bel et bien un article du code pénal daté de 2010, qui dispose que «toute personne qui, notoirement connue pour son appartenance à la religion musulmane, rompt le jeûne ostensiblement en période de Ramadhan, sans motif admis par cette religion, est passible d’un à six mois de prison et d’une amende de 12 à 120 DH (120 à 120 DA, ndlr)». Pourtant aujourd’hui, le Maroc a une nouvelle Constitution garantissant entre autres la liberté du culte, ce qui rend Zineb El Rhazoui, journaliste et militante active du Mouvement alternatif des libertés individuelles (MALI), sceptique : «Il s’agit d’un article stupide, inapplicable et surtout injustifiable au regard du droit.
En plus d’être absurde, il est en contradiction flagrante avec la
Constitution et avec le Pacte international relatif aux libertés civiles
et politiques, signé et ratifié sans réserve par le Maroc en 1979. Au
mépris de ses engagements, le royaume continue à appliquer ce texte de
loi liberticide et d’envoyer chaque année des dizaines de personnes en
prison.» Impossible pour un diabétique de pouvoir manger en public ni
pour une femme enceinte de se désaltérer, quant aux personnes qui
présenteraient un faciès non musulman, la journaliste est catégorique :
«McDonalds, par exemple, refuse de servir ceux qui ont une “gueule
d’Arabe”. Si la personne insiste, ils demandent à voir sa pièce
d’identité. Depuis 2010, cette chaîne américaine affiche même sur
l’entrée de ses restaurants que seuls les adultes non musulmans seront
servis.»
-Tunisie : le 30 juillet dernier, trois
cafés-restaurants ont dû fermer leurs portes à la suite du passage des
forces de l’ordre. Motif ? Protéger et respecter le jeûneur ! «La
Tunisie ne diffère pas tant que ça de l’Algérie ! Aujourd’hui avec la
nouvelle politique et la manipulation qui tire ses ficelles, nous avons
affaire à la police des mœurs qui traque et terrorise la population
jusqu’à se donner le droit de violer la propriété privée. Dernièrement,
même des touristes ont été tabassés et maltraités», explique Moufida
Fedhali, membre actif dans la vie associative et artiste visuelle. Et la
loi ? Elle n’existe pas. Une Constitution est sur le point d’être
définitivement rédigée et adoptée.
«Tout est permis !», conclut Moufida Fedhali. «Un non-jeûneur doit
attendre le ftour pour pouvoir manger. Je trouve que c’est la plus belle
allégorie sur tout ce qui se passe dans le monde arabe. Quand on prend
un coup d’Etat pour une révolution, c’est normal que l’on prenne une
dictature démocratique pour une belle expérience de révolution réussie».
Avant le début du Ramadhan, le président de l’Association centriste de
sensibilisation et de réforme, Adel Almi, avait annoncé que «le
gouvernement devait veiller à l’application régulière des lois et
procéder au retrait des licences de restaurant dans le cas où ces lieux
resteraient ouverts pendant le Ramadhan». Sur ce point, Moufida Fedhali
précise: «Il existe des groupes qui harcèlent les non-jeûneurs. La
police en fait partie. Il y a quelques parasites salafistes, quelques
Nahdhaouis qui font la loi dans la rue comme faisaient les milices du
parti RCD, parti déchu de Ben Ali. Le pouvoir ne veut pas de démocratie.
Il veut établir une nouvelle dictature religieuse. Mais nous ne
céderons pas !»
-Iran : selon l’écrivain, juriste et islamologue
Hassan Ferechtian, il n’existe pas de réelle loi qui encadrerait cette
période particulière de l’islam, «juste une circulaire créée bien avant
La Révolution iranienne et qui interdisait de manger ou de boire dans
les lieux publics durant le jeûne». Hassan Ferechtian précise : «Il
existe très peu d’exemples de tabassages orchestrés par la police. Les
actes isolés existent malheureusement, mais sont minimes par rapport au
quotidien. Par contre, des amendes sont délivrées. Les restaurants
peuvent être susceptibles de voir leurs portes fermées pour un temps
illimité ; quant aux citoyens, ils sont interpellés et font l’effet
d’une prévention morale.»
Malheureusement, dans la ville d’Ispahan, située à 340 km au sud de la
capitale, l’histoire est différente : «Pendant le mois de Ramadan, une
cinquantaine de groupes surveilleront ceux qui ne jeûnent pas pour
contrôler cette question», explique le Comité de soutien aux droits de
l’homme en Iran (CSDHI). Pour autant, il ne faut pas généraliser
prévient Hassan Ferechtian. «Une personne issue d’une autre communauté
peut manger ou boire dans les endroits spécifiques à sa religion, sans
pour autant être visibles. Tout comme ceux et celles qui voyagent dans
le territoire iranien et par route ont le droit de déjeuner sur les
aires d’autoroutes où des restaurants sont mis à leur disposition ainsi
que des hôtels.» Cela s’applique à tous, y compris aux musulmans.
-Yémen : dans ce pays, pas de non-jeûneurs visibles.
Les Yéménites de souche sont majoritairement musulmans. Ils sont des
sunnites à 55% et des chiites à 45%. «Il n’y a pas, à ma connaissance,
de cas semblables à l’Algérie. Ce genre de choses pourraient arriver
dans certaines régions reculées et la personne surprise en train de
manger en plein Ramadhan pourrait subir des pressions sociales»,
explique Nasser Arrabyee, journaliste à Sanaa. Les personnes qui
désirent s’abstenir de jeûner ont tout le loisir de le faire dans le
cercle privé, mais jamais en public, insiste-t-il, tout en affirmant que
jamais une polémique n’a été soulevée par rapport à cela. «Les
restaurants sont fermés, rien n’incite à manger en public pendant ce
mois», précise-t-il. Côté législation, le journaliste explique que la
loi yéménite punit les personnes qui s’abstiennent de jeûner
publiquement. «Il serait possible que des personnes soient incarcérées
dans ce genre de circonstances», précise-t-il.
-Indonésie : bien que l’Indonésie soit le premier pays
musulman en matière de nombre de fidèles, la Constitution reconnaît six
religions et l’archipel transcontinental n’est pas un Etat musulman. De
ce fait, aucune sanction n’est prévue par la législation, explique
Vincent Souriau, journaliste français correspondant à Jakarta : «Pas
question de mettre la pression aux chrétiens ou aux bouddhistes qui ne
font pas le Ramadhan.» Traditionnellement, la pratique de l’islam est
assez souple, même si elle a «tendance à se raidir un peu ces dernières
années (…) Mais tout le monde chez les musulmans ne jeûne pas, par
exemple», précise-t-il. Cependant, le journaliste relève que «dans la
province d’Aceh, qui est la seule en Indonésie à appliquer la charia,
ils sont évidemment un peu plus tatillons.»
-Malaisie : c’est un pays multiconfessionnel qui a
bénéficié historiquement de l’immigration chinoise. Si l’islam sunnite
est la religion d’Etat, un quart des Malaisiens sont chrétiens,
boudhistes ou taoïstes. La charia ne s’applique qu’aux musulmans. «Ils
jeûnent par entière conviction. Ils le font pour Dieu et non pour la
société», affirme un chercheur qui a vécu une longue période à Kuala
Lumpur. Dans ces conditions, la polémique des non-jeûneurs ne se pose
pas avec la même acuité que dans les pays uniconfessionnels. L’islam
asiatique, plus tolérant qu’ailleurs, s’y est installé via les relations
commerciales.
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