Le vendredi 24 février dernier, une équipe de la Radio télévision sénégalaise a interviewé le Président Laurent Gbagbo à sa résidence officielle de Cocody. Cet entretien, d’une heure environ, avec Daouda Ndiaye a été diffusé à Dakar hier. En voici les thèmes forts.
L’état de santé de la Côte d’Ivoire
Le Président Gbagbo pense que son pays est comme un malade dont l’état de guérison progresse positivement. Le médecin doit tout de même veiller à ce que la guérison soit totale. Il est cependant catégorique sur une chose : la guerre est terminée.
Trop de médiateurs ?
Tout en saluant la bonne volonté des uns et des autres, le Président Gbagbo estime que le trop grand nombre de médecins au chevet du malade fait que les médications prescrites peuvent se contredire. “ Nous sommes malades ; nous ne pouvons pas refuser les médecins. Ils sont de bonne foi. Quelques uns se piétinent, se livrent une bataille de leadership”.
Perte de souveraineté ?
“Quand on est engagé dans un processus dirigé par l’ONU, on perd une partie de la souveraineté. Il importe cependant de dire à ceux qui viennent nous aider qu’ils ne peuvent pas prétendre aimer ce pays plus que nous ; aucun d’eux ne peut prétendre connaître ce pays plus que nous ”.
Vos adversaires vous accusent de bloquer le processus de paix.
La guerre ne tue pas la politique, a-t-il répondu. Il est donc de bonne guerre d’accuser son adversaire. Il se dit résolument engagé dans le processus de paix. De manière claire et nette, nous nous sommes engagés dans la voie de la médiation africaine. Il a ainsi rappelé la confiance placée dans les discussions de Lomé regroupant l’Etat de Côte d’Ivoire agressé et les représentants de la rébellion. Il a insisté pour expliquer aux Sénégalais qu’il n’a pas été invité à Marcoussis. L’Etat de Côte d’Ivoire n’y était pas représenté. Marcoussis n’a regroupé que des représentants de partis politiques qui sont des associations privées. Marcoussis, a-t-il répété, a produit un texte qui n’était pas bon. N’étant pas là bas, il ne pouvait pas avoir pris des engagements. Cependant, au nom de la paix, il a accepté ce qu’il a appelé un médicament amer, de l’huile de ricin. “ J’ai avalisé ce texte car le chapitre 7 parlait de désarmement dès la formation du gouvernement. Le gouvernement a été formé en mars 2003. Nous sommes en février 2006, il n’y a toujours pas de désarmement ”, a-t-il tranché. Au passage, il a cité tous les actes qu’il a posés en faveur de la paix :
Constitution d’un gouvernement de réconciliation nationale ;
Vote d’une loi d’amnistie en août 2003 pour rassurer les rebelles ;
Réformes législatives
Utilisation de l’article 48 pour permettre à Alassane Dramane Ouattara d’être exceptionnellement candidat à la présidentielle à venir. Il estime avoir fait sa part et attend que les autres fassent leur part contenue dans la résolution 1633 : le désarmement, la démobilisation et la réinsertion ; la réunification du pays ; l’identification ; la préparation et l’organisation des élections.
L’héritage de paix de Félix Houphouët-Boigny dilapidé
Il a tenu à lever l’équivoque : “Je ne suis pas Houphouétiste ; je n’ai pas été héritier, interrogez sur ce point les Houphouétistes ” Tout en refusant la polémique, il a voulu relativiser certaines affirmations tendant à opposer le règne de paix d’Houphouët-Boigny à tout ce qui s’est passé après lui. “Quand on parle des temps anciens, il faut avoir le sens de la mesure. C’était le temps du parti unique. Je ne veux pas revenir à la paix par le parti unique ”.
Socialisme ou socialismes ?
Interrogé sur les courants socialistes, il a eu cette réponse : ce qui est bon dans le socialisme, c’est le manque de dogmatisme. Il s’agit de régler le problème qui se pose. Pour l’Afrique, la première donnée est la démocratie ; la deuxième, le pain (la nourriture) ; la troisième, l’éducation ; la quatrième donnée est la santé. Le Norvégien ne définissait pas le socialisme de la même manière. Il a déjà l’eau, l’électricité partout. Ses soucis portent sur l’environnement, la qualité de la vie.
Relations avec le Président Wade
“ Les rapports auraient pu être meilleurs ”. Le Président Gbagbo reconnaît que les relations avec son homologue sénégalais se sont considérablement améliorés. “ Il m’a envoyé deux délégations de haut niveau pour m’inviter à Dakar. A un moment donné, j’ai été très fâché avec lui. Lui aussi a été très fâché à un moment donné. Aujourd’hui, ca va mieux. Au nom du grand-frérisme, je ferai un pas pour aller au Sénégal ”.
Relations avec Banny imposé par la Communauté internationale.
Il a commencé par rejeter l’idée d’un Premier ministre imposé par la Communauté internationale. Il reconnaît que depuis le déclenchement de la guerre, le choix du Premier ministre n’est plus totalement libre, mais il n’est pas non plus totalement imposé. Revenant aux relations entre eux, il a tenu à faire une distinction entre les individus et les personnalités. En tant que simples citoyens, ils se connaissent depuis de longues années. Ils ont même joué au football ensemble, les dimanches, avec le club des anciens. Gbagbo jouait comme 11 (ailier gauche) et Banny comme 7 (ailier droit). Il y a ensuite le Premier ministre et le Président de la République. “ Nous nous entendons très bien. Si on ne s’entendait pas, cela se saurait, car on a des tempéraments ouverts. Nous sommes dans un jeu de rôle. Les gens cherchent à créer une guerre qui n’existe pas. Nous sommes prêts, lui et moi, à payer beaucoup pour la paix ”. Risque de contagion de la sous-région. A partir de la guerre du Liberia de 1989 qui s’est répandue en Sierra Leone, en Guinée du Sud et enfin en Côte d’Ivoire, le Président Gbagbo considère qu’il s’agit d’une crise rampante qu’il est grand temps de stopper. Il a expliqué comment la Côte d’Ivoire qui est un important membre de l’UMOA affecte avec sa crise, le taux de croissance sous-régional. Mieux, la Côte d’Ivoire reçoit tout le monde, est au cœur de plusieurs faisceaux. Quand elle est malade, elle contamine beaucoup de voisins. C’est pourquoi, il convient de stopper maintenant sa crise.
Mécanismes africains de résolution des conflits.
Le Président Gbagbo plaide pour la création d’un fonds africain pour la résolution des conflits. Il déplore le fait que les Africains sont toujours en train d’aller demander des fonds à l’extérieur pour financer leurs opérations de maintien de la paix. “Quand vous demandez de l’argent à l’extérieur, celui qui vous donne l’argent vous impose son analyse de la crise et ses solutions ”. Il a cité l’exemple des pays africains qui, après avoir condamné à Accra avec véhémence la tentative de coup d’Etat, ont embouché d’autres trompettes quand ils ont sollicité et obtenu l’argent pour financer leurs participations à la résolution de la crise ivoirienne.
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