
Le monde du football brésilien est en deuil depuis ce matin. Socrates Brasileiro Sampaio de Souza Vieira de Oliveira, plus connu sous le nom de Socrates, est décédé à 4h30 heure locale, à l’âge de 57 ans. Plus que la mort d’une de ses anciennes gloires du ballon rond, c’est un homme atypique que les Brésiliens pleurent. Tous ceux qui résument les footballeurs à des décérébrés incapables de respecter quoi que ce soit, y compris la grammaire française, sont invités à se pencher sur la vie de cet homme admirable tant sur le terrain qu’en-dehors. Terrassé par son troisième séjour à l’hôpital, pour une infection intestinale, en 3 mois, Socrates était le symbole d’un football d’une autre époque, comme on aimerait parfois le retrouver : un football intelligent.
Evidemment, pour les spécialistes du ballon rond, Socrates est avant tout un joueur exceptionnel. Parfois méconnu en Europe, où il n’a joué qu’à la Fiorentina, il a fait les beaux jours des Corinthians, un club emblématique du Brésil. Le meneur de jeu a surtout été un pilier de la fameuse Selecao, l’équipe nationale du Brésil. Dans les années 80, Socrates faisait partie d’une génération dorée, qui aurait largement mérité un titre mondial au cours des éditions 1982 et 1986. Lors de cette dernière édition, c’est d’ailleurs la France et Luis Fernandez qui priveront les auriverde du titre suprême. Pourtant, le milieu de terrain aura marqué la sélection nationale, en apparaissant 60 fois sous les couleurs jaune et vert, et en marquant à 22 reprises.
Au-delà de cette carrière remarquable, « le Docteur » (car Socrates est diplômé de médecine, études menées en parallèle de sa carrière sportive) s’est distingué par ses actes en-dehors du terrain. Dans un Brésil tenu par les militaires, dans lequel les joueurs sont obligés de signer des contrats à vie avec un salaire de misère, Socrates agissait. Au début des années 80, il est ainsi à l’origine de ce que l’on appelle la démocratie corinthiane, avec un système très simple. Même au sein d’un club de football, le principe de Socrates est le suivant : « Les points d’intérêt collectif étaient soumis à la délibération puis au vote de tous ». Ce qui peut vous sembler anecdotique était un signal extrêmement fort pour l’époque. Faire voter toutes les décisions collectives dans un pays qui n’a plus connu la démocratie depuis 15 ans est un paradoxe dont seul était capable un homme aux convictions fortes. Même si l’expérience s’est finalement soldée par un échec, avec le départ de Socrates à la Fiorentina, quelque chose a changé au Brésil. Le pays, que Socrates avait quitté car le Congrès avait refusé de rétablir une élection présidentielle libre, vivait alors ses dernières années de dictature.
Socrates était avant tout un joueur simple, comme on aimerait en voir plus souvent. A la fois élégant sur le terrain et en dehors, il refusait par exemple de se livrer aux mécanismes de la politique, même lorsque le futur président Lula le lui proposait. Il était aussi loin des contraintes parfois placées autour du football, et plaidait pour une pratique de son sport sans renier les plaisirs de la vie. Les joueurs des Corinthians n’hésitaient pas à se faire des grands barbecues après les matchs, où l’on jouait de la guitare en buvant des bières. Hédoniste, il ne se refusait jamais une cigarette où un verre d’alcool, sans se cacher comme d’autres sportifs. Même si on ne peut qu’être en admiration devant une telle philosophie, c’est bien cet amour de la vie qui le conduira à sa perte. Les problèmes d’alcool du « Docteur » n’étaient un secret pour personne, pas plus que leur lien avec les hospitalisations récentes de Socrates. Pourtant, on retiendra de lui une philosophie du plaisir simple, celui de jouer. « Il ne faut pas jouer pour gagner mais pour que l’on ne t’oublie pas », a-t-il dit un jour. Mission accomplie.
0 Commentaires
Participer à la Discussion