Les prix annoncés des vaccins contre le coronavirus fabriqués par Pfizer/Biontech ou Moderna sont d'environ 30 euros par dose, 3 fois plus qu'un vaccin contre la grippe.
Un vaccin, mais à quel coût? Après que la Grande-Bretagne a lancé cette semaine sa campagne de vaccination les Etats-Unis s’apprêtent à lui emboîter le pas. La FDA, l’agence américaine chargée de valider la commercialisation des médicaments a donné son feu vert vendredi 10 décembre pour la mise sur le marché du vaccin de Pfizer/BioNTech et les vaccinations devraient démarrer lundi.
Cette décision s’inscrit dans une course au vaccin qui a pris un nouveau rythme récemment: la semaine dernière, le secrétaire américain à la Santé a annoncé “s’attendre à ce que Moderna fasse, lui aussi, bientôt sa demande” d’autorisation d’utilisation en urgence, après Pfizer qui l’a déposée au début du mois.
Si la question du calendrier du vaccin est sur toutes les lèvres, celle de son coût est tout aussi brûlante. Alors que la France a provisionné 1,5 milliard d’euros pour la campagne de vaccination, les États-Unis ont déboursé 2 milliards de dollars pour 100 millions de doses du traitement développé par Pfizer et BioNTech.
Parmi les vaccins en cours de développement, ce dernier sera d’ailleurs l’un des plus chers: le prix de la vaccination pourrait être d’environ 33 euros, soit trois fois le prix recommandé par l’Organisation mondiale de la santé, a rapporté The Financial Times. Quant au laboratoire concurrent direct, Moderna, son PDG a affirmé dans la presse allemande que le prix d’une seule dose serait compris entre 20 et 30 euros. Des chiffres bien supérieurs à ceux annoncés par Johnson & Johnson (10 euros la dose), ou l’anglais AstraZeneca (3 euros). À titre de comparaison, un vaccin contre la grippe coûte entre 6 et 10 euros.
Une situation d’urgence unique
Le prix dont il est question est celui perçu par le laboratoire pharmaceutique, entreprise privée qui commercialise le nouveau médicament. Il est fixé dans le cadre d’une négociation entre le laboratoire, qui jouit d’une protection de son innovation par brevet, et l’État. En temps normal, le montant est négocié à l’avantage des deux parties, c’est-à-dire qu’il ne doit pas être supérieur à ce que les pouvoirs publics sont prêts à payer ni inférieur aux dépenses que le laboratoire a réalisées pour la recherche et la production du traitement.
“Or nous sommes dans une situation unique d’urgence. Pour le cas de la France, l’Agence européenne du médicament, l’(EMA), qui se charge des négociations, a d’ores et déjà manifesté sa forte volonté d’obtenir le vaccin. Cela pèse fortement dans les négociations, a relevé au HuffPost Carine Milcent, professeure en économie de la santé et chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Plus le gain du produit est important pour la société, plus les États sont prêts à payer, et les laboratoires en sont bien conscients”. Les marges de manœuvre des États sont donc minces, ce qui explique que les prix avancés par certains laboratoires, Pfizer et Moderna notamment, soient élevés.
De l’autre côté, les entreprises veulent tirer de la plus-value du produit pour rembourser les investissements. “Plus une technologie est coûteuse, plus l’entreprise va répercuter cela sur les prix fixés, ajoute la spécialiste. Il est logique que l’entreprise en situation de monopole sur le marché vende son produit à un prix élevé”.
Une technologie plus coûteuse pour Pfizer et Moderna
Les vaccins produits par Pfizer/BioNTech et Moderna s’appuient sur une technologie innovante dite de l’ARN messager. La méthode consiste à injecter dans l’organisme non pas l’antigène, mais son mode d’emploi, son code génétique sous forme d’ARN (acide ribonucléique) pour engendrer une réaction immunitaire. “C’est un processus extrêmement technique avec des molécules rares, ce qui est très coûteux, décrypte pour Le HuffPost Frédéric Bizard, économiste expert en protection sociale et président de l’Institut santé, un organisme de recherche. Les entreprises lèvent beaucoup de fonds privés pour la recherche et la production de ces produits.” C’est ce qui explique le prix plus élevé de ces deux vaccins que ceux produits par AstraZeneca ou Johnson & Johnson.
Autre cause des différences de prix: les stratégies divergentes d’un laboratoire à l’autre, selon Frédéric Bizard. Le laboratoire AstraZeneca s’est notamment engagé à mettre à disposition les 400 millions de doses du vaccin pour l’Europe à prix coûtant, c’est-à-dire sans aucun bénéfice pour le vendeur. “L’entreprise cherche à optimiser son image et à prendre une place sur un marché encore nouveau pour elle, reprend Frédéric Bizard. À l’inverse de BioNTech qui s’inscrit dans une logique entrepreneuriale pure et dure et cherche à faire un maximum d’argent.”
Plus une entreprise est en situation de monopole, plus elle dispose de marges de manoeuvre dans les négociations. “Comme Pfizer et BioNTech ont été les premiers, ils ont pu naturellement, négocier des prix plus élevés, commente la professeure Carine Milcent. Lorsqu’on arrive après tout le monde, comme pour AstraZeneca, on a intérêt à annoncer des prix plus bas pour s’assurer de la demande”.
Le vaccin est notre seul espoir de retrouver une vie économique normale
Frédéric Bizard, économiste expert en protection sociale
Aux coûts supportés par les laboratoires pharmaceutiques s’ajoutent ceux engendrés par les délais sans précédent avec lesquels les vaccins ont été commandés. Alors que la production d’un vaccin peut d’ordinaire dépasser une décennie, les doses anti-Covid-19 ont été créées, elles, en quelques mois seulement. “Plus l’entreprise prend de risque, plus elle fera payer le coût de ce risque aux États acheteurs”, pointe Carine Milcent.
Et Frédéric Bizard de rappeler que dans l’ensemble, “même s’il semble élevé”, le coût de la vaccination reste très inférieur au coût de la pandémie. “C’est une approche coût-bénéfice. Le vaccin est notre seul espoir de retrouver une vie économique normale. Si le plan de vaccination est efficace, la rentabilité sera énorme”.
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