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Sante

Covid-19 : va-t-on injecter le virus aux volontaires qui testent les vaccins?

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La firme britannique Hvivo à Londres a lancé dès le 9 mars un appel promettant une rémunération de 4.000 euros pour une infection volontaire.
Moyennant rémunération le «challenge infectieux» permettrait aux firmes pharmaceutiques d'aller plus vite dans la mise au point d'un vaccin. Une pratique qui soulève des questions d'éthique.

C'est la quête du «Graal vaccinal», ose l'Académie nationale française de médecine. De mémoire de Big Pharma on n'avait jamais connu une telle compétition planétaire, scientifique et économique: mettre au point, produire et commercialiser le premier vaccin (garanti à la fois efficace et sans danger) contre le virus SARS-CoV-2, responsable du Covid-19. Les principaux géants pharmaceutiques sont sur les rangs et, contrairement aux usages, font publiquement état de leurs pistes et de leurs avancées ou, comme Sanofi récemment, de leurs tractations financières avec les pays intéressés pour être les premiers servis. D'autres préfèrent œuvrer dans l'ombre, plus ou moins associés à des équipes de recherche universitaire travaillant dans le secteur public.

On estime aujourd'hui à cent-vingt le nombre des «candidats vaccins» en cours de développement, plusieurs d'entre eux étant déjà parvenus en phase d'essais cliniques. L'affaire est complexe puisqu'aucun vaccin n'a, jusqu'à présent, pu être mis au point contre les infections humaines à Coronaviridae (famille des coronavirus), et ce en dépit de deux alertes récentes: l'émergence du SARS-CoV-1 en 2002 et celle du MERS-CoV en 2012.

«Les seuls vaccins anti-coronavirus existants ont été développés dans le domaine vétérinaire, le plus souvent sous forme de vaccins vivants atténués, et ont une efficacité limitée, rappelle l'Académie nationale de médecine. Les effets catastrophiques de la pandémie actuelle sur la santé et l'économie mondiales, l'absence de traitement antiviral disponible et la perspective d'une persistance probable du SARS-CoV-2 dans les années futures rendent plus que jamais nécessaire la mise au point d'un vaccin humain efficace, seul moyen de prévenir l'infection et de contrôler sa propagation.»

Un challenge infectueux périlleux

Pour autant, et en dépit de certaines annonces laissant espérer le contraire, même en raccourcissant autant que possible le temps traditionnellement nécessaire au développement d'un vaccin (généralement estimé à près d'une décennie), les prévisions les plus optimistes envisagent un délai minimum de douze à dix-huit mois pour la mise au point d'un premier outil immunisant contre le Covid-19 –une mise au point qui pourrait survenir après le passage de la (première?) vague pandémique.

Aujourd'hui, mondialisation aidant, toutes les données virologiques et immunitaires sont sur la table, ou presque. On sait qu'un «bon vaccin» contre le SARS-CoV-2 devrait idéalement stimuler à la fois l'immunité dite «cellulaire» pour une protection locale et aussi l'immunité dite «humorale» pour une protection générale –tout en évitant l'apparition d'anticorps dits «facilitants» qui rendraient paradoxalement la personne vaccinée plus exposée à l'infection. Les stratégies privilégiées actuellement visent à obtenir une protection grâce à des anticorps neutralisants par différentes voies (utilisation de virus entiers atténués ou inactivés, vecteurs viraux génétiquement modifiés, sous-unités vaccinales obtenues par recombinaison génétique, acides nucléiques, ADN et ARN messagers, etc.).

C'est dans ce contexte qu'émerge une question éthique majeure, encore rarement évoquée dans l'espace public francophone: celle dite du «challenge infectieux». On désigne ainsi le fait d'inoculer délibérément le virus infectieux aux personnes qui participent à un essai clinique, afin de vérifier au plus vite et au mieux ce qu'il en est de l'efficacité du vaccin expérimenté. Cette pratique n'est pas sans faire songer, toutes proportions gardées, à l'utilisation, à des fins de progrès scientifiques et médicaux, de prisonnièr·es ou de condamné·es à mort. Elle fut mise en œuvre durant des décennies, jusque dans les années 1970, avant que l'on ne se pose de nouvelles questions éthiques et qu'on l'abandonne –du moins officiellement.

Cette pratique rappelle l'utilisation, à des fins de progrès scientifiques ou médicaux, de prisonnièr·es ou de condamné·es à mort.

En pratique, le challenge infectieux permettrait avant tout aujourd'hui de réduire les délais de la mise au point du vaccin. Un gain de temps perçu comme une priorité absolue. «Dès le début du mois d'avril, certaines équipes américaines mais aussi britanniques ont sérieusement envisagé de pouvoir renouer avec la stratégie du challenge infectieux, explique le Journal international de médecine (JIM). Il s'agit non plus d'évaluer l'efficacité du vaccin grâce à un test dans les conditions de vie réelle, mais d'infecter quelques volontaires sains afin de mesurer la réponse immunitaire conférée par le virus.»

Écartée dans les années 1970 pour des raisons éthiques alors progressivement perçues comme évidentes, cette pratique, souligne le JIM, n'est pas strictement prohibée par les instances internationales. Le Conseil des organisations internationales des sciences médicales (créé en 1949 par l'OMS et à l'Unesco) considère ainsi que la décision doit pouvoir être prise au cas par cas, en tentant de déterminer la balance entre les bénéfices pour la société et les risques pour les volontaires. Un point de vue repris dans The Lancet.

De ce point de vue les maladies infectieuses à fort taux de mortalité (comme celle causée par le virus Ebola) ne sauraient donner lieu à une telle pratique expérimentale. «Concernant plus précisément le Covid-19, l'Organisation mondiale de la santé, dans une note publiée début mai, n'émet pas d'opposition absolue, mais juge indispensable d'imposer des critères très stricts de sélection des sujets, précise le JIM. Ils devront nécessairement être jeunes, en bonne santé, exposés au virus, mais sans exercer de professions considérées comme essentielles…»

Une représentativité biaisée

On sait que les essais cliniques comportent trois phases. Une première, réalisée sur un faible nombre de volontaires, vérifie l'absence d'effets secondaires. La deuxième est menée sur quelques centaines de volontaires chez lesquel·les on évalue l'efficacité potentielle du vaccin. Pour autant cette efficacité ne peut véritablement être établie que lors de la troisième phase, menée sur quelques milliers de volontaires –dont la moitié reçoit généralement un placebo. C'est un essai mené «dans la vraie vie» qui permet d'obtenir des données d'innocuité et d'efficacité statistiquement significatives –à la condition, paradoxale ici, que le nouveau coronavirus circule à un niveau élevé et que les volontaires ne respectent pas pleinement les gestes de protection…

Dès le 31 mars, trois médecins proposaient, dans The Journal of Infectious Diseases, de remplacer cette troisième phase par une «infection contrôlée»: innoculer délibérément le virus à quelques centaines de personnes (dont la moitié seulement auraient été vaccinées) et attendre les résultats.

«De toute évidence, exposer des volontaires à ce virus présente pour eux des risques sévères, possiblement mortels, écrivent Nir Eyal, Marc Lipsitch et Peter Smith. Cependant, nous soutenons que de telles études, en accélérant l'évaluation des vaccins, pourraient réduire le fardeau mondial de la mortalité et de la morbidité liées aux coronavirus. Les volontaires participant à de telles études pourraient autoriser de manière autonome les risques pour eux-mêmes, et leur risque net pourrait être acceptable si les participants étaient des jeunes adultes en bonne santé, qui présentent un risque relativement faible de maladie grave à la suite d'une infection naturelle, s'ils présentent un risque de base élevé d'infection naturelle, et si, pendant l'essai, ils reçoivent un suivi fréquent et, après toute infection, les meilleurs soins disponibles.»

Au-delà de la question éthique on pourrait ici faire observer que le challenge infectieux mené sur des personnes jeunes en parfaite santé n'offre pas une bonne représentativité de la population la plus exposée, puisque que le Covid-19 constitue principalement un risque pour les personne les plus âgées et celles souffrant de certaines pathologies chroniques.

30.000 personnes déjà volontaires

Aujourd'hui cette dimension éthique n'est plus seulement théorique. «Quelques équipes britanniques ou américaines ont déjà commencé à organiser un pré-recrutement de “volontaires”. La firme britannique Hvivo à Londres a ainsi lancé dès le 9 mars un appel, promettant une rémunération de 4.000 euros pour une infection volontaire et un isolement de quatorze jours», rapporte le JIM. La plateforme 1DaySonner comptabilise ce jour plus de 30.000 volontaires émanant de 140 pays.

«Au-delà d'une opposition éthique fondamentale, qui repose sur les principes de non-nuisance de la médecine et d'une protection des participants aux essais cliniques, la légitimité d'une telle pratique face au Covid-19 peut interroger», explique le JIM. On peut en effet considérer que la dangerosité de SARS-CoV-2 est encore méconnue et qu'il semble inacceptable de prendre le risque d'exposer des volontaires sain·es, quel que soit le degré de risque que ces personnes soient victimes de formes graves.

«Aux États-Unis, la controverse fait rage. En Europe, elle agite surtout la Grande-Bretagne, observe Le Monde. Elle pose un véritable dilemme moral: pour hâter la mise au point d'un vaccin contre le Covid-19, peut-on infecter des personnes en bonne santé et leur faire courir le risque de développer une maladie qui a déjà tué plus de 500.000 personnes à travers le monde?»

Peut-on mettre en péril la santé de quelques-un·es pour en sauver potentiellement des milliers d'autres?
Autrement dit: peut-on volontairement mettre en péril la santé de quelques-un·es pour en sauver potentiellement des milliers d'autres? Pour certain·es la réponse ne fait aucun doute, l'urgence est là et il faut accepter de nouvelles solutions parmi lesquelles le challenge infectieux. C'est le cas de deux personnalités médicales américaines de renom: le vaccinologue Stanley Plotkin (université de Pennsylvanie) et le bioéthicien Arthur Caplan (université de New York), qui ont pris position dans la revue spécialisée Vaccine.

À l'inverse, William A. Haseltine, biologiste et philanthrope, connu pour ses travaux novateurs sur le VIH et président du think tank Access Health International, estime que «dans le cas présent, cette procédure extraordinaire n'est ni nécessaire, ni efficace, ni éthique». «Certains voudraient aller plus vite et inoculer le virus à ceux qui ont reçu le vaccin, avec un résultat en quelques semaines. Un tel procédé est acceptable si l'on dispose d'un traitement en cas d'infection. Mais là, on n'en a pas», souligne Françoise Baylis, professeure de philosophie à l'université Dalhousie, à Halifax (Canada), et spécialiste d'éthique scientifique et médicale. «Leur faire courir un risque de mort –faible, je l'admets, mais un risque quand même– me paraît hautement problématique sur le plan éthique. D'autant que, là encore, la probable rémunération associée fera que le risque sera pris par les plus démunis», s'inquiète-t-il.

La plateforme 1Day Sooner assure de son côté, études à l'appui, que le risque de mourir du Covid-19 chez les sujets jeunes et bien portants n'excède pas 1 sur 3.000 et rappelle que le recours au«challenge infectieux a été utilisé au cours des dernières décennies dans essais menés contre la grippe, le choléra, le paludisme ou la dengue. «Autant d'arguments qui ont convaincu trente-cinq membres du Congrès américain: le 20 avril, ils ont écrit à la Food and Drug Administration (FDA), l'autorité de contrôle sanitaire américaine, pour lui demander d'autoriser la méthode, meilleure parade, selon eux, contre l'“énorme coût humain de la maladie”, résume Le Monde. La FDA n'a pas répondu.»

Silence des autorités sanitaires

Pour sa part l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne s'oppose pas à une telle procédure à condition, là encore, de respecter des critères dans la sélection des volontaires: des sujets jeunes, en bonne santé, déjà exposés dans leur vie courante au virus. Les plus pragmatiques des Américains et des Britanniques sont tentés par le challenge infectieux moyennant rémunération. Les Chinois, souvent peu familiarisés avec les contraintes éthiques occidentales, ne sont pas non plus contre cette idée.

En France la question semble ne pas devoir exister. Les autorités sanitaires sont muettes sur le sujet et le Comité national d'éthique ne semble pas avoir été saisi. Mais la firme Astra-Zeneca, avec laquelle le gouvernement français a passé des accords pour l'obtention privilégiée d'un vaccin, ne semble pas opposée à une telle pratique. «En Suisse il n'y a pas véritablement de débat public sur un tel sujet, explique le Dr Bertrand Kiefer, rédacteur en chef de la Revue Médicale Suisse. Un essai contrôlé contre placebo (avec inoculation de tous les participants) n'est selon moi pas éthique à ce stade. Et il n'est d'ailleurs pas certain qu'il permettrait d'obtenir des résultats plus rapides qu'en lançant une campagne de vaccination chez des volontaires dans des zones où le virus circule intensément.»

«Quant à rémunérer les volontaires ce serait faire porter le poids du risque à une seule catégorie socio-économique de la population: les plus pauvres, ajoute-t-il. Il reste enfin à s'assurer que le consentement des volontaires est obtenu après les avoir informés des incertitudes, même chez des volontaires à faible risque, non seulement de mort, mais de possibles troubles chroniques. De ce point de vue, l'organisateur de la recherche doit prendre en charge non seulement les coûts de la maladie, mais aussi ceux de l'incapacité de travail, y compris illimitée.»

Pour l'heure, sur toutes ces questions les autorités sanitaires nationales restent muettes, comme non concernées par un sujet géré par les firmes pharmaceutiques, en l'absence de toute forme de transparence. Le moment venu fera-t-on la différence entre les vaccins «éthiques» et ceux qui le seront moins?


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