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Sante

Dr Youssou Ndiaye, Directeur Hôpital Abass Ndao : «Le ministre de la Santé doit opérer des ruptures pour réussir sa mission»

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Dr Youssou Ndiaye, Directeur Hôpital Abass Ndao : «Le ministre de la Santé doit opérer des ruptures pour réussir sa mission»

Ancien Directeur de l’administration générale et de l’équipement (Dage) du ministère de la Santé et pionnier de l’expérimentation de la réforme hospitalière, le directeur de l’Hôpital Abass Ndao, Dr Youssou Ndiaye, fait, dans cet entretien, un diagnostic sans complaisance du secteur de la santé et esquisse des pistes de solutions pour le sortir de la zone de turbulence.

 

Comment analysez-vous le secteur hospitalier ?

En vérité, je dois dire que le secteur ne va pas bien. Plutôt, la santé dans notre pays ne se porte pas bien et cela se vérifie au niveau des structures hospitalières qui peinent à supporter les charges de fonctionnement. Il est temps d’alerter sur la nécessité de changer de fusil d’épaule car, à l’analyse, la réforme a été un échec dans sa mise en œuvre, et depuis des années, c’est le statu quo avec des problèmes récurrents, des conflits de compétences. Pourtant l’esprit et la lettre de la loi étaient de transformer les EPS en structures autonomes, en lieu et place de simples services d’une administration centrale chargés d’appliquer des directives. Aucune mesure d’accompagnement n’a été prise, aussi bien sur le plan budgétaire que sur le plan de la mise en œuvre des projets d’établissement.

Par ailleurs, la pesanteur de la tutelle étouffe les structures de santé. Pour illustrer l’incompréhension de la réforme par les autorités, on a vu des ministres nommer à des fonctions dans les EPS, en faisant fi de l’autorité délibérant, c'est-à-dire le conseil d’administration, mais aussi en montrant une ignorance totale des principes fondamentaux d’organisation en matière de gestion. On a vu des ministres qui parachutent des adjoints administratifs aux directeurs d’hôpitaux, créant une sorte de bicéphalisme.

Beaucoup de textes prévus par la loi n’ont pas été effectifs, comme le statut des directeurs d’hôpitaux, celui du personnel, la définition claire du régime financier spécifique aux EPS. Tous ces points sont des manquements, qui ont contribué à l’échec de la mise en œuvre de la réforme. Le mal est plus profond pour le cas spécifique de HOGGY, qui a vu ces tarifs diminués, contre l’avis du Conseil d’administration et de la direction. C’est ce qui a déséquilibré le budget. Et c’est ce qui est à l’origine du malaise social qui secoue cette structure, avec une crise de trésorerie réelle.

A ce niveau, il faut relever la part de responsabilité de l’Etat central, car on ne peut comprendre qu’un établissement public déficitaire puisse faire l’objet d’un redressement fiscal. Le casse-tête de tous les directeurs d’hôpitaux, c’est comment payer les salaires. Et les agents comptables peinent à honorer leurs engagements, du fait du reversement de la cotisation sociale et de la TVA précomptée. Donc, il est impératif, pour la tutelle, de revisiter les textes et d’adopter, dans une démarche de rupture, une politique plus cohérente.

Quelles sont, à votre avis, les mesures d’urgence pour relancer le secteur ?

C’est d’abord, évaluer la réforme au lieu de réformer la réforme. En effet, il y a du bon dans la réforme. Et il s’agit de la comprendre et de l’appliquer. Il faut repenser le système d’allocation des subventions et tenir compte de l’esprit et de la lettre de la loi portant sur la réforme. Il faut aussi faire jouer pleinement leurs rôles aux EPS et, en particulier, demander à la PNA de jouer son rôle, qui consiste à approvisionner correctement les hôpitaux dans un esprit de partenariat et de complémentarité. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Le problème est global et la mise en œuvre de la réforme, n’a obtenu que des résultats mitigés. Donc, c’est à plusieurs niveaux qu’il faut intervenir. Le plus urgent, pour nous, c’est de respecter l’esprit de la loi portant sur la réforme et de doter les structures de santé de moyens efficaces.

N’empêche, la situation semble alarmante au niveau des hôpitaux du pays…

C’est dommage de le dire. Mais c’est la stricte réalité. Et les autorités ne doivent pas se voiler la face. Plusieurs initiatives prises à l’époque pour booster le secteur ont été dévoyées. Nos structures ont des budgets déficitaires et déséquilibrés, des dettes de fonctionnement… Aujourd’hui, aucun établissement ne peut se vanter d’avoir un plateau technique sans défaillance, et la dette sociale s’accumule.

L’urgence, pour nous, en plus des dépenses de fonctionnement, c’est la masse salariale et toutes les charges de gestion. Les hôpitaux sont agonisants. Cette mauvaise passe des hôpitaux cache mal le malaise profond du secteur. Tout le secteur est gangrené et il faut une rupture totale dans le modèle de gestion, comme dans le management. Par exemple, les autorités doivent s’interroger sur la pléthore de directions au niveau central et rendre effective l’autonomie des hôpitaux. Ce sera aussi l’occasion pour le nouveau pouvoir de repenser les rapports avec les syndicats. Le ministère doit cesser de jouer le rôle de fournisseur d’équipements, à la place des structures elles-mêmes, ceci en contradiction avec la loi. Les structures, censées autonomes, et les collectivités locales peuvent et doivent s’acquitter de cette tâche. C’est ça l’esprit de la loi. Les chantiers sont nombreux et il urge, pour les nouvelles autorités, de s’y atteler.

Des programmes importants (contractualisation ou Plan Cobra, Plan Sésame, …) ont été dévoyés et vidés de leurs contenus. Même si leurs missions initiales, notamment dans le renforcement du personnel médical comme dans l’offre de soins, restent toujours d’actualité.

Pensez-vous qu’Eva Marie Coll Seck puisse réguler le secteur, dix ans après son premier passage à la tête du département ?

On ne peut trouver un meilleur profil. Et son passage, entre 2001 et 2004, l’a amplement prouvé. Au regard de son expérience personnelle dans le domaine de la santé, son vécu, ses responsabilités dans les organismes internationaux, mais surtout sa crédibilité auprès des bailleurs, les professionnels avaient même souhaité qu’elle soit renforcée, comme ministre d’Etat, pour davantage doper les énergies dans le secteur. Nous avons d’ailleurs constaté, coïncidence ou pas, le départ de la plupart des bailleurs après son limogeage en 2004. Seulement, la tâche ne sera pas facile et c’est de sa volonté de rupture que dépendra pour beaucoup son succès. Bref, elle doit opérer des ruptures pour réussir sa mission.

Après avoir occupé de hautes fonctions au niveau central, comme DAGE du ministère de la Santé, qu’est-ce qui vous incite à rompre le silence ?

C’est parce que, d’abord, je vis au quotidien les problèmes du secteur hospitalier et du système sanitaire, en général. Ensuite, je suis Sénégalais, praticien hospitalier, pur produit du système éducatif et de la faculté de Médecine et de Pharmacie. J’estime, désormais, que j’ai le devoir de m’impliquer, pour apporter ma contribution dans la résolution des questions liées au secteur. Je crois avoir un vécu suffisamment riche dans le secteur et j’estime que mon appui, voire ma contribution technique, peut servir mon pays.

Vous avez obtenu des résultats probants à l’hôpital Abass Ndao que vous dirigez. Quelle est votre recette ?

Ecoutez, à ce propos, il faut voir les choses sous un autre angle. En effet, c’est l’action de toute une équipe, avec à la tête, le Maire de Dakar, Khalifa Sall, qui s’est personnellement engagé, dès son arrivée à la tête de la municipalité de Dakar, dans la résolution des graves crises qui sévissaient à Abass Ndao, avec l’appui du Conseil d’administration et une implication effective et très motivée de l’ensemble du personnel.

C’est ainsi qu’on a pu dans une démarche novatrice, mais conforme à la loi sur la réforme, faire d’une pierre deux coups. C’est donc, le travail de toute une équipe. Nous sommes sortis d’une situation alarmante. Pour autant, les défis sont encore présents et nous travaillons toujours pour sortir de la zone rouge. Il faut que les autorités nous prêtent oreille. Pour notre structure, bien que n’échappant pas à la liste des hôpitaux croulant sous le poids des dettes sociales, nos efforts ont permis de nouer des partenariats de développement, dont le premier du genre en convention hospitalo-universitaire, validé par le conseil de l’UCAD. Aussi, avons-nous intégré le centre antidiabétique Mark Sankalé dans l’organigramme de l’hôpital, pour redonner au CHAN sa vocation de plate-forme sous régionale.

REALISE PAR ABDOUL AZIZ SECK



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